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3 CONSOLIDATION D’UNE PENSÉE ÉCOLOGIQUE PONTIFICALE : LE PAPE

3.1 Laudato Si’ comme virage écologique

3.1.1 Analyse de la première encyclique écologique

Nous ouvrons cette partie en parlant de la structure et des thèmes-clés de Laudato Si’, une encyclique, la première entièrement sur l’écologie, et qui est composée de 192 pages, réparties en six chapitres et 246 paragraphes. Elle est caractérisée par deux grands axes. Le premier axe est un diagnostic, et il comprend les mesures à prendre pour affronter les défis écologiques planétaires qui ne sont pas d’abord d’ordre technique, mais essentiellement social. C’est pour cette raison que le pape François a refusé que son encyclique soit appelée une « encyclique verte ». Le pape s’exprime ainsi : « C’est pourquoi, à une question que l’on m’a posée, j’ai répondu : ‘Non, ce n’est pas une encyclique verte’, c’est une ‘encyclique sociale’ ».398

Le second axe est celui de la responsabilité commune pour protéger notre « maison commune » qui est, en même temps, « notre ‘sœur’ avec laquelle nous partageons l’existence, et comme une mère, belle, qui nous accueille à bras ouverts ».399 Cet axe est celui de l’insistance sur la

responsabilité collective à la rescousse de notre planète, notre ère et « notre sœur qui crie, en raison des dégâts que nous lui causons par l’utilisation irresponsable et abusive des biens que Dieu a déposés en elle ».400 Selon Mgr Lebrun, évêque de Saint-Étienne, « cette encyclique est un vrai

manifeste politique. Elle refuse le diktat de la technologie et de la finance. Elle réclame une autorité politique forte. Le politique doit gérer les progrès et les appétits financiers et doit se sentir soutenu

397Ibid.

398PAPE FRANÇOIS, Rencontre « Esclavage moderne et changement climatique : l’engagement des villes. Intervention du pape François, Salle du Synode, mardi 21 juillet 2015, [en ligne], créé le le 21 juillet 2015, consulté le 16 septembre 2014, URL : https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/speeches/2015/july/documents/papa- francesco_20150721_sindaci-grandi-citta.html

399 PAPE FRANÇOIS. Lettre encyclique Laudato Si’, n.1. 400Ibid. n.2.

par les citoyens qui doivent se manifester et faire pression. Le pape insiste même pour qu’il y ait une autorité mondiale, comme il y a la Banque Mondiale, l’ONU, etc.401

Selon Thomas Michelet, op.,402 en plus de ces deux axes

[L]es 6 chapitres qui composent l’encyclique se distribuent en trois parties, suivant le schéma classique de l’Action catholique « voir, juger, agir », depuis l’intelligence qui instruit et délibère vers la volonté qui élicite et met en œuvre (la tête, le cœur, les mains). En distinguant, à chaque fois, le plan de la raison et celui de la foi (fides et ratio), ce qui donne effectivement six chapitres. Voir l’état de la planète, notre maison commune, à la lumière des sciences environnementales qui font le constat de la crise écologique ; puis dans la lumière de la foi et de la révélation du dessein de Dieu sur la création (auditus fidei). Juger le problème en discernant ses causes philosophiques ; puis dans la perspective théologique, à la lueur des principes de la doctrine sociale de l’Église et d’une écologie intégrale (intellectus fidei). Proposer enfin des pistes pour l’agir, en invitant les hommes de bonne volonté à intégrer la diversité des approches dans un plus large dialogue ; puis, en présentant la sagesse chrétienne comme motivation profonde de la conversion et spiritualité de l’action (operatus fidei). Le pape averti que certains thèmes traversent toute l’encyclique et peuvent donner l’impression de redites, même si les chapitres ont bien chacun leur optique et leur méthode spécifique. Le plan n’est donc pas toujours suivi de manière rigoureuse dans le détail, mais la progression d’ensemble est bien celle-là.403

Quant aux thèmes qui reviennent assez souvent dans l’encyclique, il est bon de rappeler tout de suite que le pape François eut recours à la même sémantique que ses prédécesseurs, mais parfois il leur donne un sens nouveau ou dérivé. Mais il n’est pas rare qu’il fasse aussi recours aux concepts, jusque-là inconnus, dans la doctrine sociale de l’Église. Ou bien encore, il a privilégié certains concepts au détriment des autres. Ainsi, le pape utilise le concept de « nature » 107 fois ; « création » 62 fois ; « environnement » 61 fois ; « écologie » 30 fois ; « la paix » 38 fois ; « l’homme » 32 fois ; « bien commun » 29 fois ; « intégral » 28 fois, etc.

Cependant, d’autres concepts lui sont propres, tels que : « notre maison commune », « culture

de déchets », « inculturation », « écologie intégrale », etc. Michelet commente le choix de ce

401Dominique LEBRUN, « Lettre encyclique Laudato Si’ du Saint-Père, François sur la sauvegarde de la maison commune. Décryptage, [en ligne], consulté le 30 octobre 2015 à 11 :31, URL : http://www.diocese- saintetienne.fr/Decryptage-de-l-Encyclique-du-pape-html

402 MICHELET, o.p. Les papes et l’écologie, Paris, Artège, 2016, p. 54. 403Laudato Si’, n.15.

dernier concept en disant : Plutôt que de se référer directement à l’écologie, le pape a préféré faire le détour par l’étymologie (oikos, la maison), ce qui lui permet d’impliquer, dès le départ, la notion du bien commun, celle de la fraternité de ceux qui habitent une même famille, avec une origine commune, mais aussi une destinée commune : l’humanité et les autres créatures, comme dans l’arche de Noé.404 Il est noté que le pape François est le premier pontife à parler de « l’Évangile

de la Création », pour répondre à une opinion récurrente chez les écologistes, pour qui, la culture judéo-chrétienne est la source du problème écologique.

Selon le pape, la mission de l’homme était de cultiver et de garder la création. Le pape précise ce qu’il entend par cultiver : « cultiver signifie labourer, défricher ou travailler », tandis que « garder signifie protéger, sauvegarder, préserver, soigner, surveiller ».405 Le pontife propose aussi le

modèle de Jésus-Christ dans ses relations avec les créatures, qui était attentif à la beauté qu’il y a dans le monde parce qu’il était lui-même en contact permanent avec la nature et y prêtait une attention pleine d’affection et de stupéfaction ».406 « Jésus vivait en pleine harmonie avec la

création, et les autres s’en émerveillaient : « Quel est donc celui-ci pour que même la mer et les vents lui obéissent ? » (Mt 8,27).407

Finalement, le pape rappelle ce que signifie le rapport d’un chrétien envers la création : « Pour la compréhension chrétienne de la réalité, le destin de toute la création passe par le mystère du Christ, qui est présent depuis l’origine de toutes choses : « Tout est créé par lui et pour lui » (Col 1,16). Le prologue de l’Évangile de Jean (1,1-18) montre l’activité créatrice du Christ comme Parole divine (Logos). Mais ce prologue surprend, en affirmant que cette Parole « s’est faite chair » (Jn 1,14).408 Pour le pape, « les créatures de ce monde ne se présentent plus à nous comme une réalité

purement naturelle ; elles sont désormais enveloppées mystérieusement par le Ressuscité qui, en même temps, les oriente vers un destin de plénitude. Même les fleurs des champs et les oiseaux qu’il a contemplés dans son émerveillement sont maintenant remplis de sa présence

404MICHELET, Ibid. p.55. 405Ibid. p. 58.

406Laudato Si’, n. 97. 407Laudato Si’, n 98. 408Ibid. n .99.

lumineuse ».409 Il faut aussi signaler le concept de « culture du rebut » qu’il est le premier pontife

à utiliser. En effet, il avait parlé de cette culture dans son homélie devant une marée des auditeurs dans la messe de Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie, deuxième étape de son voyage apostolique dans son continent d’origine, le 9 juillet 2015.410 D’après le pape,

[La] logique du rebut est celle qui consiste à tout transformer en objet d’échange, de consommation, en écartant tout ce qui ne produit pas. […] Dans un cœur désespéré, il est très facile que prenne la logique qui prétend s’imposer dans le monde, dans le monde entier, de nos jours. Une logique qui cherche à tout transformer en objet d’échange, de consommation, qui rend tout négociable. Une logique qui prétend donner espace à un petit nombre, en écartant tous ceux qui ne produisent pas, qui ne sont pas considérés aptes ou dignes parce qu’apparemment, les comptes n’y sont pas. Jésus encore une autre fois nous parle et nous dit : « il n’est pas nécessaire de les exclure, il n’est pas nécessaire qu’ils s’en aillent : donnez-leur vous-mêmes à manger. […] La richesse authentique d’une société se mesure dans la vie de ses gens, elle se mesure dans les personnes âgées qui réussissent à transmettre leur sagesse et la mémoire de leur peuple aux plus petits. Jésus ne néglige jamais la dignité de la personne, avec l’excuse qu’il n’a rien à donner ou à partager. Il prend tout, comme cela vient.411

Nous faisons nôtre l’analyse de Sœur Damien Marie Savino, s.f.e., spécialiste de l’environnement, pour qui l’encyclique du pape François se résumerait en trois adjectifs suivants, « radicale, intégrale et profondément franciscaine ».412

3.1.1.1 Une encyclique radicale

L’adjectif radical vient du mot latin « radicus » qui veut dire « la racine ». Ainsi, Laudato Si’ identifie, au chapitre 3, deux racines humaines de la crise écologique : le « paradigme technocratique » (nos.106-114) et un anthropocentrisme démesuré » et « dévié » (nos.115-129). Comme tous les pontifes qui le précèdent, François ne s’oppose pas à la technologie en soi, car il reconnaît la créativité humaine engagée dans son développement et les avantages que nous en

409Ibid. n.100.

410PAPE FRANÇOIS, Homélie à Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie, du 9 juillet 2015, [en ligne], consulté le 21 janvier 2016, URL : https://w2.vatican.va/content/francesco/fr/homilies/2015/documents/papa- francesco_20150709_bolivia-omelia-santa-cruz.html

411PAPE FRANÇOIS, Homélie à Santa Cruz de la Sierra, en Bolivie, Ibid.

412Marie Savino DAMIEN, s.f.e., « Réflexion d’une franciscaine, spécialiste de l’environnement », Sel et Lumière, p.23.

avons tirés (nos.102-103). Il qualifie de « vocation noble » l’activité d’entrepreneur (no.129), en particulier lorsqu’elle promeut la « créativité entrepreneuriale », la dignité du travail (nos.124-129) et « un modèle circulaire de production » (no.22).

En même temps, ce qui inquiète le pontife, c’est le déséquilibre qu’il constate entre le pouvoir concentré entre les mains de quelques-uns, au détriment de la masse pauvre et défavorisée ; paradigme de domination inhérent au paradigme technocratique ; « l’accélération » de l’activité humaine (no.18) qui alimente l’idée de progrès illimité, coupé d’un développement proportionnel des valeurs, de l’éthique et de la contemplation (nos.105-106) ; et « la logique interne » du paradigme technologique qui débouche sur un « surdéveloppement, où consommation et gaspillage vont de pair » (nos.107-109), d’où résulte une culture du déchet, dominée par une technologie qui finit par couper les gens de la réalité (nos.115-117). Dans un énoncé admirablement prophétique, le pape François déclare : « Quand on ne reconnaît pas, dans sa réalité même, la valeur d’un pauvre, d’un embryon humain, d’une personne vivant une situation de handicap. […], on écoutera difficilement les cris de la nature elle-même » (no.117).

L’encyclique invite donc à la radicalité pour déraciner les attitudes et les comportements désordonnés et revenir à une conception plus complète de la réalité, « et à la lire avec une clé trinitaire », de manière à vivre notre appel fondamental d’union à Dieu, aux autres et à toutes les créatures (nos.239-240). Bref, un appel à la réconciliation, à la conversion et à l’amour profond des pauvres et de manière inclusive.

3.1.1.2 Une encyclique intégrale

D’une façon générale, le pape François fait de l’« écologie intégrale » le cœur même de l’encyclique Laudato Si’. L’encyclique elle-même est intégrale dans sa façon de s’adresser à l’humanité tout entière, les chrétiens et non chrétiens, les croyants et non-croyants, le bas peuple et les grands de ce monde, la population et les politiciens. Ne peut-on pas y voir un parallélisme avec l’encyclique Pacem in terris de Jean XXIII (1963), la dernière encyclique qui s’est adressée au monde entier sans distinction ? La réponse est bien sûr affirmative. Dans le cas de l’encyclique de Jean XXIII, les menaces nucléaires étaient réelles et imminentes, ce qui exigeait la réaction de toute l’humanité, tandis que pour le cas de Laudato Si’, les menaces de la crise écologique sont non seulement réelles et imminentes, n’en déplaise aux climatosceptiques ! Mais il est également,

plus que temps de réagir, et surtout d’agir. Le concours de toute personne habitant la terre, quel que soit son rang dans la société, est nécessaire.

D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que l’encyclique est publiée, juste quelques mois avant la tenue de la Conférence de l’ONU sur le climat, COP21, à Paris, sur l’environnement et à laquelle le pape voulait apporter sa contribution. Il s’exprime à ce propos dans le discours aux ministres de l’Environnement des états membres de l’Union européenne : « Je vous remercie vivement d’avoir souhaité cette rencontre qui m’offre l’occasion de partager avec vous, même brièvement, certaines réflexions, en vue des importants événements internationaux des prochains mois : notamment l’adoption des objectifs de développement durable, à la fin de ce mois, et la COP21 de Paris ».413

Après la Conférence qui, par ailleurs, a été couronnée par un succès, Ban Ki-moon, alors Secrétaire général des Nations Unies, l’a félicité de l’impact positif qu’a eu la publication de Laudato Si’ dans la prise des résolutions. On se souviendra de l’appréciation de madame Ségolène Royal vis- à-vis de cette encyclique. Ce n’est donc pas étonnant, puisqu’avant la tenue de ladite conférence, l’Archevêque de Paris, le Cardinal Vingt-Trois avait fait entendre la voix de l’Église dans son homélie du 22 novembre 2015 dans la Basilique Notre Dame de Paris.414 Alors qu’il ne restait à

peine qu’une semaine avant le début de la Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique (30 novembre-11 décembre 2015) à Paris, l’Archevêque de Paris relève deux tentations que les congressistes doivent à tout prix éviter : celle d’une écologie sans l’humanité, et celle d’une écologie partielle qui n’aurait pas pour ambition d’aider le plus grand nombre à vivre, mais plutôt de conserver le mode de vie des plus privilégiés.

Pour le cardinal, il n’y a pas d’écologie partielle. L’écologie est un projet de vie global qui doit toucher tous les secteurs de l’existence humaine en vue d’atteindre un meilleur niveau vie pour le plus grand nombre. L’écologie n’est pas un luxe décoratif réservé aux sociétés développées ; c’est une question de vie et de mort. On ne peut pas vouloir une écologie globale, universelle et juste en

413LE PAPE FRANÇOIS, « Discours aux ministres de l’environnement des états membres de l’Union européenne », dans MICHELET Thomas, o.p. Ibid. p. 403.

414CARDINAL André VINGT-TROIS, “Homélie de la messe du Christ-Roi de l’Univers du 22 novembre 2015 dans la Basilique Notre Dame de Paris”, [en ligne] consulté le 24 novembre 2015, URL : https://www.zenit.org/fr/articles/le-christ-roiet-lacop21-par-lecardinal-vingt-trois ?

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continuant d’exploiter les ressources naturelles du monde pour le profit d’une proportion très faible de l’humanité. Avec ces mots, l’Archevêque Vingt-Trois résume ce que le Pape François entend par l’« écologie intégrale ».