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2.c La gestion de l’hétérogénéité au cours de l’évaluation

Les enseignants que nous avons interrogés ici dans le cadre d’entretiens semi-directifs ne pratiquent pas tous le même type d’évaluations. En effet, les enseignants qui pratiquent les ceintures de compétences (E1, E2, E4 et E6) passent également par ce biais pour mettre en place l’évaluation tandis que les autres enseignants (E3 et E5 mais également E1 en complément des ceintures Pidapi) semblent pratiquer une évaluation plus ‘‘classique’’, en tout cas dans la forme de celle-ci.

La majorité des enseignants interrogés (E2, E3, E4 et E6) s’accorde sur le fait de ne confronter l’élève à l’évaluation que lorsque celui-ci est prêt et ce, pour différentes raisons. Les ceintures de compétences utilisées par E2, E4 et E6 constituent un dispositif pédagogique

permettant aux élèves de progresser à leur rythme en fonction de leur niveau et de leurs capacités, il paraît donc logique que l’évaluation n’intervienne que quand les élèves se sont suffisamment entraînés et qu’ils se sentent prêts à passer la ceinture en individuel. L’enseignante E3 quant à elle ne pratique pas le système des ceintures dans la mesure où elle pratique pleinement la pédagogie Freinet mais elle propose malgré tout l’évaluation quand les élèves sont prêts car elle affirme que « ça ne sert à rien […] d’évaluer […] un enfant si je sais déjà que la notion […] elle n’est pas du tout […] acquise » d’autant plus qu’elle souhaite que les enfants se sentent en confiance et valorisés c’est pourquoi elle leur laisse suffisamment de temps pour s’entraîner et leur faire passer l’évaluation dans des conditions de réussite ; l’enseignant E6 note aussi cet avantage pour l’évaluation par ceintures car cela est dû, selon ces enseignants, au fait d’évaluer les élèves quand ils sont prêts ce qui permet de ne pas les mettre en échec. Les enseignants E1 et E4 attribuent également un autre avantage à l’évaluation par ceinture qui est de constituer une forme d’évaluation positive dans la mesure où elle ne marque que les progrès : elle ne débouche sur aucune sanction de quelque forme que ce soit en cas d’échec (pas de « mauvaise note » ou de « point rouge ») et il n’y a pas de possibilité de régresser de grade une fois qu’il est acquis. Nous pouvons noter que les chercheurs de notre cadre théorique observent également l’avantage pour les enfants de toujours aller de l’avant, l’alliance du point de vue des enseignants et de celui des chercheurs nous permet de penser que cet apport est réel. Trois des enseignants pratiquant cette forme d’évaluation (E1, E2 et E4) expliquent également que les référentiels qui sont associés à chaque ceinture permettent aux élèves de savoir ce qu’ils doivent connaître pour passer un grade supérieur (E2 et E4) et ainsi cibler les attentes de l’enseignant (E2) mais également d’avoir un regard sur ce qu’ils ont déjà appris (E1). Encore une fois, les chercheurs s’allient à ces différents points de vue ce qui semble confirmer les avantages liés à l’évaluation par ceintures. Ces chercheurs affirment en effet que cette modalité d’évaluation permet aux élèves de connaître les points à travailler pour acquérir un niveau de ceinture mais elle leur permet aussi de visualiser la progression effectuée grâce aux ceintures acquises et ainsi de prendre confiance en eux sur leur capacité à progresser. En plus de permettre aux élèves d’avoir un regard sur ce qu’ils ont appris, l’enseignant E1 considère que toute évaluation doit avoir pour objectif de « mesurer ce qui est su, à mesurer ce qui n'est pas encore su et à voir comment est-ce qu'on peut retravailler pour […] pour progresser » ; c’est pourquoi Pidapi est d’autant plus adapté à ses yeux dans le sens où les ceintures acquises leur permettent de savoir ce qui est su tandis que les référentiels associés aux ceintures à acquérir permettent aux élèves de pointer ce qui nécessite un travail supplémentaire. Les chercheurs rejoignent d’ailleurs le point de vue de cet enseignant en affirmant que les

référentiels permettent également aux élèves de cibler leurs difficultés en leur donnant la possibilité de progresser. E1 explique d’ailleurs que les échecs, en plus ne pas être sanctionnés, renvoient à des fiches d’aides leur permettant de progresser. La question de la gestion de l’échec semble importante en ce qui concerne la gestion de l’hétérogénéité au cours de l’évaluation puisque nous avons vu que les enseignants souhaitent mettre en place une évaluation : quand les élèves sont prêts (E2, E3, E4 et E6), une évaluation positive (E1 et E4) ou encore mettre les élèves en conditions de réussite (E3 et E6) ; mais la moitié des enseignants interrogés (E1, E2 et E6) donnent la possibilité aux élèves de repasser l’évaluation s’ils ne sont pas parvenus à la valider. Ces éléments permettent de donner à l’évaluation une dimension assez différente de celle que l’on attribue ‘‘classiquement’’ à l’évaluation, à savoir évaluer tous les élèves au même moment en associant une mauvaise note au fait que l’élève n’ait pas acquis un apprentissage ce qui donne lieu à une remédiation dans le meilleur des cas mais rarement à une réévaluation pour savoir si l’élève a finalement réussi à assimiler la connaissance ou la compétence.

L’enseignante E5 est un peu à part ici dans le sens où lorsque nous l’avons interrogé sur la manière dont elle mettait en place l’évaluation elle a tout de suite expliqué mettre en place les trois types d’évaluation à savoir diagnostique, formative (également mise en place par E1 et E3) et sommative. Cela fait écho avec notre cadre théorique concernant la différenciation pédagogique au travers de l’évaluation qui met en avant l’importance de ces trois formes d’évaluation. E5 affirme qu’elles sont nécessaires pour suivre les élèves dans leur parcours singulier et l’évaluation est donc un levier permettant de gérer l’hétérogénéité comme le mentionne le point de vue des chercheurs au début de ce travail de recherche. Elle ne semble cependant pas mettre en place d’autre dispositif permettant de gérer l’hétérogénéité au sein de l’évaluation hormis entre ses deux niveaux de classe ou encore des adaptations pour ces élèves en difficulté. E1 et E5 pratiquent en effet une différenciation qui touche les supports pour leurs élèves en difficulté, même si E5 précise que « l’objectif reste le même ». Cette dernière propose également des « exercices […] pour aller plus loin pour mes élèves à fort potentiel ». L’évaluation peut également être différenciée par rapport aux parcours des élèves pendant le plan de travail (E1 et E3), il est en effet impossible de proposer la même évaluation à des élèves qui ne travaillent pas les mêmes notions. Cela fait écho aux variables que nous avons exposées dans notre cadre théorique sur lesquels peuvent jouer les enseignants pour différencier non seulement pour faciliter l’acquisition des apprentissages mais également pour adapter les modalités d’évaluation à la singularité des élèves. Mais nous pouvons observer que les modalités de différenciation dites plus ‘‘classiques’’ restent minoritaires ici. Cela résulte peut- être du fait que lorsque nous donnons aux enfants le temps qui leur est nécessaire pour acquérir

une notion, ils sont davantage capables de passer l’évaluation sans que celle-ci soit nécessaire. D’autres aspects de l’évaluation contribuent peut-être également à cette réduction de différenciation dite ‘‘classique’’ et notamment la dédramatisation de l’échec qui n’est pas sanctionné (et qui n’est d’ailleurs parfois même par gardé en mémoire) et qui débouche sur un nouvel entraînement permettant de repasser l’évaluation. L’évaluation est donc vue comme un moyen pour les élèves de démontrer l’acquisition de leurs connaissances et de leurs compétences.