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L’évaluation et l’expression écrite : un geste de l’enseignant

1. Les gestes didactiques

Avant de situer l’évaluation et plus particulièrement les actions régulatrices de l’enseignant par le moyen de l’évaluation, il convient de s’attarder sur la qualification des gestes didactiques de l’enseignant. Suivant Schneuwly (2009), les gestes didactiques ont pour but de

« transformer les significations attribuées par les élèves aux objets et de construire progressivement de nouvelles significations partagées par la classe, au plus près des significations sociales de référence » (p. 36). Ces dernières années, les caractéristiques de l’activité enseignante ont été conceptualisées par différents chercheurs (Bernié & Goigoux, 2005 ; Dufays, 2005 ; Aeby Daghé & Dolz, 2008 ; Bucheton & Dezutter, 2008). Les concepts dégagés permettent de saisir la manière dont s’organise l’activité enseignante. Notamment, ils permettent d’identifier d’éventuelles corrélations entre les pratiques des enseignants et les apprentissages des élèves qu’ils aient ou non des difficultés. Les gestes professionnels sont définis comme les actions que l’enseignant réalise dans le cadre de son travail pour favoriser l’apprentissage de ses élèves.

Bucheton (2009), au sein du laboratoire de recherche Lirdef6, propose une modélisation de l’agir enseignant qu’elle qualifie de dynamique, hétérogène et « partiellement verbalisable par les acteurs eux-mêmes ». Cet agir est stabilisé dans des formes scolaires descriptives, historiquement et socialement construites (Thévenaz-Christen, 2005). En classe, pour comprendre comment l’enseignement-apprentissage avance malgré tous les imprévus, le recours à des concepts comme le propose, par exemple, le modèle de l’action conjointe de l’enseignant et de l’élève peut être intéressant (Sensevy, 2001, 2007 ; Schubauer Leoni, Leutenegger, Ligozat & Fluckiger, 2007). Les auteurs s’appuient notamment sur la théorie des situations présentée par Brousseau (1998) avec les concepts de définition, dévolution, institutionnalisation et régulation. Pour saisir l’ampleur des actions des acteurs, il est nécessaire à notre projet d’évoquer les concepts de topogenèse (évolution des positions des actants dans le savoir), mésogenèse (objets et organisation de leurs rapports) et chronogenèse (succession temporelle des objets d’enseignement) (Chevallard, 1985/1991). Pour Bucheton et Soulé (2009), l’activité de l’enseignant est constituée de cinq préoccupations qui s’articulent de façon systémique, dynamique, hiérarchique et modulaire (Figure 2).

6 Laboratoire interdisciplinaire de recherche en didactique, éducation, formation.

Figure 2 : un multi-agenda de préoccupations enchâssées (Bucheton & Soulé, 2009, p. 33)

Les cinq préoccupations mentionnées par les auteurs constituent les invariants de l’activité de l’enseignant :

1. Le pilotage et l’organisation de l’avancement de la leçon (chronogenèse) : gestes en lien avec la gestion du temps et de l’espace.

2. Le maintien d’un espace de travail et de collaboration langagière qui a trait notamment au climat d’apprentissage de la classe : gestes au service de l’atmosphère.

3. Le tissage du sens des apprentissages qui se réalisent, ceci est d’autant plus important pour les élèves en difficulté pour qui les liens entre les apprentissages ne sont pas évidents (les moments d’activation de la mémoire didactique sont ici primordiaux ; Mathéron, 2000) : gestes qui donnent du sens au savoir travaillé.

4. L’étayage7 du travail des élèves (le scafolding de Bruner, 2003) est central et se trouve au cœur du métier d’enseignant : gestes qui relèvent de l’accompagnement

7 L’analyse du travail de l’enseignant d’après ces cinq préoccupations donne un inventaire des postures possibles d’étayage (Bucheton, 2009) : la posture de contrôle, la posture de contre-étayage, la posture d’accompagnement, la posture d’enseignement, la posture de lâcher-prise, la posture dite du « magicien ». Nous ne retenons pas ces différentes qualifications pour notre travail.

de l’élèves durant la tâche. L’étayage est fortement lié au concept de Zone Proximale de Développement (Vygotsky, 2005) et désigne l'ensemble des interactions d'assistance de l'adulte permettant à l'enfant d'apprendre à organiser ses conduites afin de pouvoir résoudre seul un problème qu'il ne savait pas résoudre au départ. L'adulte prend en charge les éléments de la tâche que l'enfant ne peut réaliser seul, il l’accompagne de façon plus ou moins proche.

5. L’apprentissage des élèves vers qui les quatre points précédents convergent. Cet apprentissage devrait nécessairement être clairement identifié afin d’être pensé comme un objet qui répond à une question posée plutôt que comme une activité à réaliser, « un faire quelque chose » (Crinon, Marin & Bautier, 2008) : gestes au service de la construction de l’objet enseigné (ajustement).

Chabanne et al. (2008) ainsi que Marlair et Dufays (2011), quant à eux, qualifient également de gestes les différentes interventions régulatrices de l’enseignant. Ils pointent particulièrement les gestes de pilotage liés à la gestion de la temporalité et de l’espace (anticipation, rappel, etc.) ; les gestes d’étayage et les gestes de pointage. En 2008, Bernié relevait l’intérêt de la « dimension évaluative de nombreux gestes professionnels » (2008, p.

244).

Afin de cerner l’objet enseigné, l’équipe genevoise (Aeby Daghé & Dolz, 2008 ; Schneuwly

& Dolz, 2009) s’est focalisée aussi sur les gestes spécifiques à la profession enseignante, plus particulièrement en didactique du français. Les chercheurs suisses s’appliquent à cerner les gestes et leur généricité du point de vue didactique. Ce faisant, les chercheurs tentent de mettre en évidence l’essentiel du travail de l’enseignant : canaliser l’attention de l’élève sur l’objet. Les gestes ont comme but de « transformer les significations attribuées par les élèves aux objets et de construire progressivement de nouvelles significations partagées par la classe au plus près des significations sociales de référence » (Aeby Daghé & Dolz, 2008, p. 84). Les auteurs distinguent trois catégories de gestes qu’ils nomment « les gestes didactiques fondamentaux de l’enseignement ». Ces gestes régulent la transformation de l’objet d’enseignement dans la classe afin de modifier les significations attribuées par les élèves à l’objet. Ils doivent également permettre aux apprenants de construire de nouvelles significations en rapport direct avec les significations sociales de référence. La première catégorie de gestes décrits par les équipes genevoises (2008, 2009) permet la structuration de

la situation didactique par la mise en place de dispositifs didactiques et par l’institutionnalisation, la deuxième recouvre les gestes d’ajustements à la situation dans son déroulement par les étayages ou régulations diverses et, pour finir, la troisième catégorie représente les gestes mixtes de tissage qui rendent visibles les liens entre les tâches :

1. Les gestes de structuration se rapportent à la chronogenèse :

- La mise en place de dispositifs didactiques, en tant que geste de l’enseignant, renvoie au déploiement des outils à travers les consignes, les questions ou tout autre type d’intervention langagière. La particularité de ce geste réside dans tout ce que l’enseignant met en œuvre pour enseigner et permettre aux élèves d’accéder aux apprentissages. L’objet d’étude est présenté, pointé, découpé et organisé. En d’autres termes, les caractéristiques de l’objet sont rendues visibles et permettent son étude. La mise en œuvre des dispositifs didactiques implique également la mobilisation de divers moyens tels que l’organisation spatiale de la classe, les formes sociales de travail et les supports d’enseignement choisis.

- L’institutionnalisation : Pour l’ensemble des protagonistes, elle permet d’officialiser les apprentissages, de les stabiliser et de spécifier leur utilité (Brousseau, 1998). Elle représente un phénomène social important et une phase essentielle du processus didactique, car elle rassemble élèves et enseignant autour de l’objet officiellement nommé. Sensévy (2001) ajoute que c’est un processus par lequel « l’enseignant montre aux élèves que les connaissances qu’ils ont construites se trouvent déjà dans la culture d’une discipline » (p. 211). Les savoirs et/ou savoir-faire sont ainsi identifiés afin d’être mobilisables dans des conditions futures similaires ou nouvelles.

2. Les gestes d’ajustements (régulations-étayage)

La régulation permet d’assurer la construction et la transformation de l’objet enseigné.

Elle concerne l’ensemble des processus d’enseignement et d’apprentissage qui permettent de franchir les obstacles à l’apprentissage.

3. Les gestes de tissage

La création de la mémoire didactique, quant à elle, permet de donner du sens aux apprentissages en rétablissant la compréhension menacée par le découpage par séances. Elle a pour objectif de reconstituer l’intégralité des objets d’apprentissage.

Les deux équipes, française et genevoise, ont une définition très proche si on ne retient pas les gestes d’atmosphère. Cet aspect socio-psycho-affectif n’est pas à négliger. Par ailleurs, elles se placent en continuité avec les gestes de base de l’action de l’enseignant distingués par Sensévy, Mercier et Schubauer-Leoni (2000) à partir de la théorie des situations didactiques de Brousseau (1998).

Notre recherche se centre sur l’enseignement-apprentissage de la production écrite. Les éléments qui retiennent notre attention sont les facteurs qui favorisent l’apprentissage d’un genre de texte particulier. De ce fait, il convient de partir du principe qu’une conjugaison de facteurs va agir comme un faisceau pour favoriser la progression des élèves. Dès lors, l’attention est portée sur (i) le déploiement de l’objet (dispositif), mais aussi et plus particulièrement sur (ii) l’outillage proposé et l’engagement des élèves dans l’élaboration de ces outils et, pour finir, sur (iii) les régulations des enseignants face aux difficultés d’apprentissage rencontrées par les élèves. Il est opportun de s’appuyer sur les gestes de l’enseignant (pilotage/structuration ; tissage ; étayage/ajustement), mais aussi sur l’engagement des élèves dans l’élaboration et le déploiement de ces gestes. L’apprentissage des élèves se trouve aux confluents de ces différents facteurs qui créent un système dynamique. A la base de tous ces gestes, nous ajoutons l’évaluation de l’enseignant. Cette évaluation permet de prendre les décisions qui vont mobiliser les différents gestes. Elle constitue donc la base de la réflexion et le levier qui va dynamiser les décisions.

Afin d’éclairer les différents gestes et plus particulièrement les gestes d’ajustement-étayage-régulation de l’enseignant, nous les situons plus spécifiquement tels que définis par les auteurs qui s’inscrivent dans les approches socioconstructiviste et socioculturelle située. Pour être mis en œuvre dans la classe, ces gestes nécessitent une évaluation de la part de l’enseignant. Dès lors, nous allons les éclairer avec le cadre plus large de l’évaluation formative.