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Chapitre 4. Prévalence des problèmes psychopathologiques et facteurs associés

4.3. Genre et psychopathologie chez les adultes avec déficience intellectuelle

Dans la population générale, les différences entre hommes et femmes au niveau psychopathologique est largement documentées. Plus précisément, les femmes semblent être plus à risque de développer des troubles comme la dépression ou les troubles des conduites alimentaires. Les hommes quant à eux, semblent présenter plus fréquemment des troubles attentionnels et de l’hyperactivité (analyse de la littérature provenant du DSM-IV-TR, American Psychiatric Association, 2000). Cependant, l’étude des différences de genre sur les problèmes psychopathologiques chez les personnes avec DI a reçu beaucoup moins d’attention. Parmi les rares études examinant cette question, la dépression est le trouble qui suscite le plus d’intérêt de la part des chercheurs. Par conséquent, nous présenterons d’abord, à titre d’exemple, une étude analysant les différences de genre sur ce trouble. Nous nous concentrerons ensuite sur les études qui prennent en considération un spectre de problèmes psychopathologiques plus large. Ces études sont résumées dans le Tableau 4.

Tableau 4. Résumé des études examinant la relation entre genre et psychopathologie.

ICD-10 Les hommes montrent plus de troubles de la personnalité, tandis que les femmes plus

DSM-IV-TR DI : les femmes montre plus de troubles affectifs et les hommes plus d’abus de

Lunsky (2003) examine les symptômes dépressifs d’un groupe de 48 femmes avec DI en comparaison à un groupe de 51 hommes avec DI. Le niveau de DI (de borderline à léger) ainsi que l’âge chronologique (entre 20 et 63 ans) sont comparables. L’auteur étudie les symptômes dépressifs au moyen d’une interview semi-structurée avec le participant, ainsi qu’avec deux questionnaires destinés aux répondants (dont le RSMB). Les femmes rapportent significativement plus de troubles dépressifs que les hommes lors des interviews. Une analyse spécifique des items montre que les femmes rapportent plus de « problèmes d’estomac », de

« solitude » et d’ « ennui », et moins de « sentiments d’avoir de l’énergie » et de « prendre soins des choses plus que par le passé ». Alors que l’interview met en évidence plus de problèmes de dépression chez les femmes avec DI que chez les hommes, cette différence n’est pas confirmée par les résultats obtenus aux questionnaires. Les auteurs expliquent ce résultat par le fait que les répondants ont tendance à mieux reconnaître les symptômes psychopathologiques de type externalisé, plus fréquents chez les hommes que chez les femmes. Ainsi, il est possible que les symptômes internalisés tels que la dépression soient plus facilement détectables lors d’une interview directe plutôt qu’en interrogeant les

répondants. Cependant, ces auteurs ont pu utiliser une interview directe grâce au niveau de DI peu sévère des participants à l’étude. Cela aurait été plus difficile avec des participants présentant une DI plus sévère. Il semble donc difficile de généraliser ces résultats à l’ensemble des adultes avec DI.

Comme nous l’avons vu précédemment, les études analysant les différences de genre sur d’autres problèmes psychopathologiques que la dépression sont moins nombreuses. Les premiers à s’y intéresser sont Tsakanikos, Bouras, Sturmey et Holt (2006a). De manière rétrospective, ils analysent les évaluations psychiatriques de 590 adultes avec une DI allant de légère à sévère (295 femmes) et ayant consulté une clinique psychiatrique londonienne sur une période de 20 ans. Ces évaluations sont conduites par deux psychiatres en suivant les critères de l’ICD-10. Les femmes et les hommes ne présentent pas de différences significatives par rapport au niveau de DI et aux traitements médicamenteux suivis. Les hommes sont plus souvent diagnostiqués avec un trouble de la personnalité que les femmes.

Au contraire, ces dernières présentent plus fréquemment des états de stress et de la démence.

Cette étude comprend un grand échantillon et considère un spectre de symptômes psychopathologiques plus large que celui de Lunsky (2003). Cependant, comme nous l’avons décrit précédemment, les critères de l’ICD-10 ne sont pas adaptés à la population avec DI. De plus, le manque de comparaison directe avec la population générale ne permet pas de savoir si l’effet de genre sur la psychopathologie des adultes avec DI est spécifique à cette population ou alors comparable aux adultes sans DI.

Afin d’éclaircir ce dernier point, une nouvelle étude est réalisée par Lunsky, Bradley, Gracey, Durbin et Koegl (2009). De manière similaire à l’étude de Tsykanikos et collaborateurs (2006), ces auteurs répertorient la totalité des évaluations psychiatriques conduites entre 1998 et 2003 par les Hôpitaux psychiatriques de l’État de l’Ontario au Canada.

Ces évaluations comprennent une appréciation du fonctionnement global de la personne, ainsi qu’une interview psychiatrique basée sur les critères du DSM-IV-TR. Le groupe d’adultes avec DI est composé de 366 participants, dont 126 femmes (34 %). Le groupe d’adultes sans DI comprend 1'602 participants, dont 566 femmes (35 %). Dans le groupe avec DI, les femmes présentent moins de problèmes d’abus de substance et plus de troubles affectifs. Dans le groupe d’adultes à développement typique, les femmes montrent moins de troubles organiques, de troubles psychotiques et d’abus substance. Elles montrent également plus de troubles affectifs et de troubles de l’anxiété. En outre, les auteurs analysent l’effet d’interaction entre le genre et la présence d’une DI sur l’ensemble des troubles évalués. Deux

effets d’interaction sont mis en exergue et concernent les troubles psychotiques et les troubles des conduites alimentaires. En effet, dans le groupe avec DI, les femmes présentent plus de troubles psychotiques que les hommes, tandis que l’effet contraire est observé chez le groupe à développement typique. Concernant les troubles des conduites alimentaires, aucune différence de genre n’est retrouvée chez le groupe avec DI, alors que les femmes sans DI présentent plus de problèmes que les hommes. Cette étude démontre donc que pour certains troubles, notamment l’abus de substance et les troubles affectifs, les adultes avec DI présentent des différences de genre similaires à la population générale. À l’inverse, pour d’autres troubles, tels que les troubles psychotiques et des conduites alimentaires, l’effet du genre est différent chez les adultes avec ou sans DI.

Concernant les problèmes de comportement, Lowe et collaborateurs (2007) ont mené une étude épidémiologique dans un échantillon représentatif composé de 901 personnes avec DI. Les auteurs trouvent un taux de prévalence de ces problèmes égal à 78 % (n = 705). Parmi les personnes présentant des problèmes de comportement, 61 % sont des hommes. Ce pourcentage est légèrement moins élevé si nous considérons uniquement le groupe d’adultes (58 %). Ce résultat concorde avec les résultats d’autres études similaires démontrant également un taux plus élevé de problèmes de comportement chez les hommes avec DI (p.ex., Tyrer et al., 2006). Cependant, il est en contradiction avec d’autres travaux comme ceux de Jones et collaborateurs (2008). Ces chercheurs analysent les problèmes de comportement en utilisant l’échantillon de l’importante étude épidémiologique de Cooper et collaborateurs (2007). Ils s’intéressent plus spécifiquement aux facteurs associés à la présence de problèmes de comportement évalués selon les critères du DC-LD. Parmi d’autres facteurs, le genre montre un effet significatif : les femmes présentent plus de problèmes de comportement que les hommes. D’autres études montrent également des résultats similaires (p.ex., Hemmings, Gravestock, Pickard, & Bouras, 2006).

La cause de ces différences est peut-être due à la méthodologie employée dans l’évaluation des problèmes de comportement. Dans l’étude de Lowe et collaborateurs (2007), les auteurs utilisent des critères basés sur les conséquences concrètes causées par la présence des problèmes de comportement. Ces auteurs évaluent par exemple, « la présence d’incidents ou de dégâts » ainsi que « le besoin de la présence de membres additionnels du staff socio-éducatif permettant de gérer les problèmes de comportements ». Dans l’étude de Jones et collaborateur (2008) par contre, les critères du DC-LD sont appliqués lors d’un entretien clinique. Il est possible que cette dernière démarche puisse mettre en évidence davantage de

symptômes internalisés par rapport à la méthode suivie par Lowe et collaborateurs (2007).

Selon Lunsky (2003) ce type de symptômes est plus fréquent chez les femmes avec DI que chez les hommes. Les différences méthodologiques peuvent donc avoir eu un effet sur la mise en évidence de l’effet de genre sur les problèmes de comportement.

En conclusion, l’influence du genre dans l’évaluation psychopathologique des adultes avec DI reste à préciser. Il semble que les adultes avec DI présentent des différences similaires à la population générale, notamment au sujet de l’abus de substance et des troubles affectifs. Ces derniers troubles, sont les plus étudiés et il paraît que, quand la méthodologie employée permet l’évaluation des symptômes plus internalisés, les femmes présentent plus de troubles affectifs que les hommes avec DI. De notre point de vue, il est important que les études ultérieures examinent l’influence de ce facteur afin d’améliorer notre compréhension sur cette problématique et ainsi utiliser ces connaissances dans la pratique socio-éducative menée chez les adultes avec DI.

4.4. Résumé du chapitre

Les études épidémiologiques analysant la prévalence des problèmes psychopathologiques chez les adultes avec DI sont difficiles à comparer en raison des différences

méthodologiques.

L’étude épidémiologique la plus rigoureuse et convaincante rapporte un taux de prévalence psychopathologique compris entre 35 % et 41 %.

L’espérance de vie des personnes avec DI augmente de manière importante, d’où l’importance de s’intéresser à l’évolution des problèmes psychopathologiques pendant l’âge adulte et notamment au cours du vieillissement.

L’effet de l’âge sur la psychopathologie semble dépendre du type d’association et des problèmes psychopathologiques considérés.

Les associations entre genre et troubles psychiatriques chez la population générale sont bien documentées. Au contraire, les différences de genre sont rarement prises en considération par les études sur la population avec DI.

Chez les adultes avec DI, seuls les troubles affectifs ont reçu une attention suffisante de la part des chercheurs qui ont mis en évidence que les femmes en présentent plus que les hommes.

Chapitre 5. Le phénotype comportemental des adultes avec syndrome de