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GASCOGNE-GUYENNE :

Dans le document Les roses flamboyantes en France (Page 167-181)

Lorsque nous atteignons la Gascogne-Guyenne, nous nous retrouvons en présence d'un parti-pris beaucoup plus sévère dans le traitement des roses en particulier et des fenêtres ou toute autre forme d'ouverture en général. Ici, c'est le souci défensif qui prime et qui va même devenir un des caractères typiques de 1'architecture de ces provinces, caractères qui

vont continuer à s'affirmer pendant tout le XVe siècle et jusqu'à 1'apparition des prémices de la Renaissance. On sent dans cette province que les grands foyers d'art gothique de la France du Nord ont eu peu d'influence sur 1 ' architecture religieuse et beaucoup plus sur sa sculpture. Il n'en demeure pas moins qu'il est vraiment difficile de définir une véritable école artistique régionale pour la Gascogne-Guyenne et qu'il faut au contraire y retrouver, à travers son expression architecturale et décorative, la multiplicité des contacts qu'elle a eu avec les autres centres artistiques saintongeais et poitevins, limousins, auvergnats, provençaux ou toulousains et Rodez affirme quant à elle, une profonde influence bourguignonne. Comme nous le verrons, le style est surtout dominé par des priorités d'ordre défensif, d'où une assez grande sévérité décorative et une absence de fantaisie. Malgré tout, on y découvre un esprit qui demeure ouvert à ce qui se passe ailleurs et qui permettra certaines tentatives pour le moins étonnantes.

L'idée de protection est bien visible au mur de la façade ouest d'où surgit la surprenante rose de la cathédrale de Rodez, réalisée vers la fin du XVe siècle (fig.34). C'est presque une muraille de château fort qui nous attend ici avec ses contreforts massifs et ses deux tours polygonales percées de meurtrières et coiffées d'échauguettes. La rose voit ses motifs de délicats soufflets-mouchettes isolés dans six vastes sections triangulaires réunies autour d'un oeil important et dentelé; ces motifs sont si rapprochés qu'ils semblent tisser un écran bouclier pour 1 'oculus pourtant juché bien haut dans la façade. La dentelle de l'oeil et les crochets des pinacles et clochetons ornant la partie supérieure de la façade sont les seuls éléments vraiment décoratifs pouvant alléger tout ce côté occidental de 1'édifice qui est d'une sécheresse peu commune et conçu beaucoup plus comme une forteresse que comme la maison de Dieu. Il fallait bien se défendre dans ce pays

sans cesse attaqué de toutes parts, et c'est sans doute pour cette raison que la cathédrale de Rodez se voit privée de grandes ouvertures et va même s'appuyer latéralement aux murailles de la ville.

Toujours à la même cathédrale, mais au croisillon sud cette fois, nous pouvons admirer une rose très originale réalisée entre 1448 et 1462 (fig. 35) et qui occupe, tout comme sa consoeur de la façade ouest, un diamètre important ; celui-ci est aussi divisé en six sections triangulaires, chacune enfermant un cercle reproduisant un motif différent en alternance. Les deux motifs offrent un dessin chargé, mais d'une grande cohérence dans leur enchaînement : le premier qui commence la ronde, à droite de l'axe vertical central, est composé d'une circonvolution de mouchettes enroulées autour d'un délicat trilobé ; lui succède, un autre cercle mettant en relief un long soufflet en forme de fer de lance qui traverse deux séries de mouchettes, pour atteindre le pivot central de l'oeil. Chacun des triangles se voit séparé de l'autre par des barres transversales puissantes qui nuisent un peu à l'élan giratoire que les cercles veulent propulser. Il y a ici un contraste important entre ce double effet de mobilité d'une part et de fixité de l'autre. En comparaison, la rose ouest de Saint-Martin d'Amagne en Picardie, qui offre beaucoup de similitude avec celle de Rodez sud dans le traitement simultané des cercles et des triangles, ne souffre pas de cette dualité de mouvement et produit plutôt l'effet contraire. Il n'en demeure pas moins, que le remplage très intéressant de la rose sud de Rodez rappelle beaucoup le travail du fer forgé et il est difficile d'imaginer qu'un

"rendu" d'une telle précision soit sculpté dans la pierre. Cette fois encore, 1'insertion est d'une extrême simplicité, et 1'oculus très sobrement encadré rend la rose encore plus surprenante, ainsi exposée sans aucun artifice, sur une vaste paroi de pierre. Les deux roses de Rodez affirment par leurs

différences les deux premières tranches chronologiques successives dont elles font partie, mais l'idée de la séparation en six pointes pour la circonférence de chacune démontre aussi que les périodes se suivaient au flamboyant mais toujours sans étanchéité absolue.

Deux minuscules roses à motifs de fleurs ont, pour des raisons bien différentes, aussi retenu notre attention en Gascogne- Guyenne. Ce sont celles qui ornent les façades ouest des églises de Port-Saint-Marie (fig.36) et de Saint-Côme d'Oit (fig.37). Elles offrent toutes deux des caractéristiques assez similaires : d'abord, pour leur datation, fin du XIV début XVe siècle ; ensuite pour leur diamètre, qui est comparativement restreint pour des roses occidentales, et finalement pour leurs remplages qui présentent des lignes assez rigides et où aucune concession n'est faite à la fantaisie, même au niveau de l'oeil. Il faut encore une fois souligner qu'en général, les églises du Midi ne recherchent pas de trop grandes ouvertures ; et que bien au contraire, leur habitude séculaire de se protéger de 1'envahisseur, comme nous 1'avions précédemment souligné, se double encore de la nécessité pour ces régions plus chaudes, d'éviter de trop laisser pénétrer le soleil, surtout du côté sud, afin de conserver la fraîcheur ambiante si nécessaire aux fidèles et parfois aux pèlerins harassés. Le manque de souplesse des réseaux auquel nous avons fait allusion donne des fleurs à l'allure figée, dont les pétales sont décidément rayonnants, sauf pour la rose de Port- Sainte-Marie qui s'adoucit grâce à l'ajout de délicats quadrilobes imitant de petites fleurs à la jonction de chaque paire de pétales. L'insertion des roses précitées est toujours d'une extrême simplicité comme on fait généralement en Gascogne-Guyenne, et les parois porteuses sont dénuées de toute ornementation, si l'on excepte la petite guirlande en arabesque qui sépare 1'élégant portail et la rose, à Saint- Côme d'Olt. Il faut aussi souligner que la disparition précoce

des triforiums dans ces provinces n'y a guère favorisé 1'éclosion d'importants décors. D'une façon générale, il est notoire que la décoration et les moulures des régions méridionales sont presque toujours en retard dans leur évolution par rapport à celles du Nord de la France. Ces remarques qui s'appliquent surtout aux églises plus anciennes et de moindre envergure et à celles se retrouvant en région rurale, ne trouvent cependant plus d'écho lorsqu'il s'agit de nous transporter dans la cité de Bordeaux, un siècle plus tard, en 1510 plus précisément, pour y admirer la très belle rose-fleur qui y pare la façade nord (fig. 38) de la cathédrale Saint-André. Ayant été brièvement commentée dans la présentation typologique, cette rose-fleur sera maintenant analysée le plus complètement possible.

Le projet de la construction de la cathédrale Saint-André de Bordeaux remonterait à 1260. Il faut donc considérer que le délai pour 1 ' édification de la grande façade a été d'une lenteur peu commune, puisque la rose fut établie par le maître Imbert Boachon en 1510, pour être, peu après, vitrée par le verrier Jacques de la Saulsaye. 7 Le remplage de cette rose présente des influences picardes dans son tracé qui n'est pas sans évoquer Crécy-en-Ponthieu; de plus, son implantation dans une façade à étages, 1'associe à Amiens ouest. Une certaine parenté bourguignonne est également décelable dans tout 1'encadrement géométrique très pur qui 1'entoure. La rose nord de Saint-André, qui arbore une fleur d'une rare beauté et d'une perfection de formes soutenant des comparaisons avec peu de ses consoeurs, allie la forme florale avec le jeu complexe des courbes et contrecourbes des soufflets-mouchettes d'une façon des plus harmonieuses. L'étage du portail se raccorde cependant assez mal aux trois petites arcatures qui le

7Ces deux références sont dues à 1'historien Jacques Gardelles.

surmontent et ce n'est que lorsqu'on atteint l'étage de la rose que l'on découvre à quel point cette dernière ainsi que les deux tours couronnées de flèches élancées qui 1 'encadrent, forment un ensemble d'une majesté et d'une incomparable unité, malgré les différents motifs décoratifs utilisés pour chacune des parties. Les détails du remplage de la rose méritent une attention toute particulière. Soulignons d'abord la finesse de la linéarité du travail sculpté qui donne cependant, encore une fois, des réseaux aux lignes peu flexibles, et rappelons le dessin assez inusité de la fleur elle-même. Au départ, seulement quatre grands pétales se rattachent à un point central puis, entre chacun de ces derniers, on découvre quatre autres pétales plus délicats servant de liens entre les grands. Mais la véritable merveille de cette rose réside dans le fait que le jeu des lignes internes qui décorent les pétales suggère la présence d'une autre fleur qui est comme surimposée sur la première (ici, c'est à Amiens ouest à laquelle on pense). On y ressent de plus les prémices d'une troisième dimension sous les jeux de lumière nocturne que fait naître 1'illumination électrique moderne.

La cathédrale Saint-André de Bordeaux nous offre aussi à son flanc sud, une rose typique du début de 1'époque flamboyante réalisée à la toute fin du XlVe siècle (fig.39). Cette rose à connotation géométrique offre une lecture sans aucune corrélation entre son aspect extérieur d'une mathématique complexe, où s'enchevêtrent carrés et triangles curvilignes, et celle tellement plus douce et très fleurie du revers de façade. Le dessin captivant du remplage extérieur demeure unique dans la façon très organisée qu'il a de déployer autour d'un vaste oeil circulaire des pointes d'étoiles se surimposant les unes sur les autres ; il est aussi 1'exemple parfait réunissant la plupart des caractéristiques de la troisième tranche chronologique des motifs de roses flamboyantes.

Malgré toutes les tendances assez sévères que nous avons souvent remarquées au sujet des roses de la Gascogne, il faut cependant reconnaître que parmi les provinces méridionales, c'est cette dernière qui semble être la plus avertie au sujet de ce qui se passe ailleurs en France et s'empresse d'expérimenter les nouvelles versions pour ses roses flamboyantes. Ainsi, la rose du portail sud de Coutras (fig.40) reprend, mais d'une manière plus élaborée, ce que l'on voit à la petite rose ornant la portail sud de la chapelle Saint-Fiacre du Faouët en Bretagne, et elle n'est pas sans parenté avec les larges mouchettes qui ornent la rose ouest de la Trinité du Langonnet, dans la même province. En effet, deux grandes mouchettes aux lignes sinueuses et dont les formes s'épousent parfaitement occupent toute la place dans les trois cercles qui composent la rose et ces cercles sont réunis entre eux par trois autres minuscules cercles et se regroupent au centre, en laissant un tout petit résidu losangique à la place de l'oeil. L'oculus, de modeste diamètre, mais aux réseaux très souples et ondulants cette fois, répond aux canons déjà énoncés, pour ce qui regarde 1'insertion des roses en Gascogne : il se détache d'un mur presque nu, flanqué de deux puisssants contreforts et surmonte un portail en anse de panier couronné de trois petits pinacles.

A la façade ouest de 1'église de Coutras (fig.41), en cette fin du XVIe siècle, nous découvrons que le flamboyant, tout comme à Saint-André de Bordeaux, commence à s'afficher avec beaucoup plus de liberté même dans les régions rurales de Gascogne. Chaque élément de cette façade très ordonnée de Coutras reçoit un traitement bien individualisé et intéressant. Tout d'abord, la rose de petit diamètre rassemble sept cercles filiformes tous identiques, avec comme seul motif central pour chacun d'eux, un duo de mouchettes. Les contreforts carrés, cernant portail et rose, sont aussi

remarquables pour leurs fines proportions et leur projection verticale. Ceux qui ornent les angles offrent deux parois coiffées de niches, une en façade et une sur le côté. La magnifique tour-clocher carrée qui surplombe le centre de la façade comporte trois étages ajourés à remplages flamboyants et tourelles à crochets.

L'étude que nous achevons maintenant sur 1'ensemble des provinces de l'est, du centre et du midi, nous a démontré sinon des caractères aussi accentués que ceux des provinces nordiques et maritimes, tout au moins un savoir-faire extrêmement personnalisé et des interprétations d'une grande virtuosité qui prouvent que le phénomène flamboyant a vraiment marqué toute la France, à la fois dans son architecture et dans les remplages de ses roses aux XVe et XVIe siècles.

façade ouest.

3 -Illiers, Saint-Jacques, portail ouest.

4-Paris, Sainte-Chapelle porche ouest et rose.

17-Limoges, cathédrale portail nord.

bras nord.

25-Lhuître, Sainte-Tanche

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