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Gérer et reconnecter : les piliers de la refonctionnalisation écologique

B. Requalification de sites dégradés : de la reconstruction des sols à leur recolonisation

B.2. Gérer et reconnecter : les piliers de la refonctionnalisation écologique

La restauration de sols, et en particulier le retrait des horizons de surface les plus pollués, engendre des perturbations importantes laissant les sols nouvellement formés généralement vierges de toute vie (Scullion, 1992 ; Frouz et al., 2009) à l’exception des micro-organismes (Hafeez et al., 2012). Une fois le sol restauré ou reconstruit, il est donc nécessaire de l’aider à retrouver ses fonctions et de le rendre à nouveau fertile. Cette « refonctionnalisation » passe forcément par le rétablissement de communautés riches et diversifiées d’organismes de la pédofaune. Deux aspects sont particulièrement importants à prendre en compte : le mode de gestion du sol nouvellement restauré, qui doit être favorable à l’installation et au maintien des différents taxons de la pédofaune, et la connectivité au maillage écologique local, qui doit permettre la recolonisation d’organismes aux capacités de déplacement souvent limitées.

B.2.1. Impact du mode de gestion : traditionnelle vs. différenciée

L’impact du mode de gestion des sols sur les communautés méso- et macrofauniques a été bien étudié en agronomie avec entre autres des publications portant sur l’effet du tassement des sols (Beylich et al., 2010), l’effet du labour et de l’application de pesticides (Cortet et al., 2002), l’effet de l’application d’amendements organiques ou minéraux (Pernin, 2003 ; Ponge et al., 2013), la comparaison entre agriculture biologique ou raisonnée et agriculture conventionnelle (Marinissen, 1992 ; Diekötter et al., 2010) et même sur le type de couverture herbacée le plus favorable à l’hivernage des arthropodes (Collins et al., 2003).

L’impact du mode de gestion est cependant beaucoup moins documenté en milieu urbain même si plusieurs études font état de son rôle fondamental dans le rétablissement de la pédofaune dans

des sols industriels restaurés (Scullion, 1992; Pichtel et al., 1994; Koehler, 1998; Andrés & Mateos, 2006), des sols de paysages résidentiels (Loper et al., 2010) ou encore des

sols d’espaces verts urbains (Shwartz et al., 2013). On peut citer par exemple quelques publications faisant état de l’impact négatif de la gestion intensive des milieux herbacés urbains type jardins et bords de routes sur les communautés de carabes (Hartley et al., 2008 ; Do et al., 2014).

Il existe cependant très peu d’études scientifiques sur l’effet des pratiques de gestion différenciée.La gestion différenciée est une alternative à la gestion horticole intensive des espaces verts urbains qui a émergé en Allemagne dans les années 1990 et qui s’est répandue depuis dans toute l’Europe. Il s’agit d’un ensemble de pratiques visant à adapter l’intensité et la nature des modes de gestion des espaces non construits à leurs usages. L’objectif principal est ainsi de gérer de manière durable les espaces verts urbains avec pour objectif d’en augmenter la biodiversité : politique « zéro pesticides », utilisation de Bois Raméal Fragmenté (BRF) issu du broyage des résidus de taille des arbres, création d’habitats semi-naturels type prairies fleuries et mares, entretien raisonné des pelouses, etc. (ADEME, 2014). Cependant, malgré l’essor de ces pratiques dans les collectivités, leur efficacité n’est que très peu documentée dans la littérature scientifique si l’on excepte les travaux de Shwartz et al. (2013) qui montrent l’effet positif d’une gestion différenciée appliquée aux petits jardins publics parisiens sur plusieurs taxons (oiseaux, plantes et insectes pollinisateurs).

Quelques publications plus spécialisées portent également sur l’impact de l’application

de BRF sur les sols mais pas forcément en milieu urbain (Caron et al., 1998 ; Barthes et al., 2010).

Enfin, Philpott et al. (2014) ont récemment montré que la gestion des jardins publics et privés influençait davantage le maintien des communautés d’arthropodes en milieu urbain que la connectivité et les facteurs paysagers en général.

Il est donc clairement établi que la gestion des horizons de surface des sols revêt une importance considérable dans le processus de restauration, notamment en favorisant l’implantation de communautés de la mésofaune et de la macrofaune. Ces organismes doivent cependant recoloniser les sols restaurés à partir d’habitats sources n’ayant pas ou peu subi de dégradations, d’où la nécessité de penser à la connectivité des sols lors de toute opération de restauration.

B.2.2. Impact de la connectivité sur la faune du sol

La connectivité des paysages n’a été que trop peu souvent prise en compte par le passé dans les opérations de requalification de friches et de restauration de sols urbains. Elle bénéficie cependant d’un regain d’intérêt depuis l’avènement de la Trame verte et bleue issue du Grenelle de l’environnement. Cette démarche nationale, qui s’inscrit dans la Stratégie Nationale pour la Biodiversité, vise à aménager le territoire tout en préservant la biodiversité via la reconstitution d’un réseau cohérent de continuités écologiques permettant la survie et la libre circulation des espèces animales et végétales. La Trame verte et bleue est ainsi constituée de cœurs de biodiversité appelés « réservoirs » reliés par des éléments de paysage appelés « corridors » pouvant être empruntés par les espèces pour leurs déplacements. La trame « verte », qui se décline en plusieurs sous-trames correspondant à autant d’habitats différents, représente un réseau d’espaces essentiellement forestiers et prairiaux alors que la trame « bleue » correspond aux continuités hydrologiques (cours d’eau et autres milieux aquatiques).

Dans le cas de la préservation de la ressource sol, le terme de « trame brune » (Pouyat et al., 2010 ; Pickett et al., 2011 ; Boudes & Colombert, 2012) a été évoqué à plusieurs reprises et témoigne de la nécessité de permettre le déplacement des organismes de la faune du sol, y compris dans les sols urbains.

L’efficacité de ces corridors écologiques a d’ailleurs été largement documentée depuis une vingtaine d’années pour le déplacement de quelques taxons emblématiques – notamment pour les oiseaux (Andren, 1994; Haas, 1995; Beier & Noss, 1998), les mammifères (Andren, 1994; Beier & Noss, 1998; Berger, 2004; Gilbert-Norton et al., 2010), les papillons (Sutcliffe & Thomas, 1996; Haddad et al., 2003; Lizée, 2011) et les plantes (Haddad et al., 2003 ; Damschen et al., 2006) – mais beaucoup moins pour les organismes de la faune du sol (Vermeulen, 1994 ; Knop et al., 2011 ; Vergnes et al., 2012). Si l’on se focalise sur les taxons bioindicateurs que nous avons choisi d’étudier, plusieurs publications font tout de même état de l’impact de la fragmentation sur le déplacement des organismes et du rôle positif des corridors écologiques. Il a par exemple été montré le rôle important des haies dans les agrosystèmes en tant que sources de recolonisation pour les collemboles (Alvarez et al., 2000), les carabes (Dennis& Fry, 1992; Vermeulen, 1994; Burel, 1996; Niemela, 2001) et les vers (Hansen et al., 1989).

Au sein de la matrice paysagère urbaine, de nombreux obstacles (routes, voies ferrées, bâti) constituent une barrière au déplacement des espèces animales et végétales en général et des invertébrés en particulier (Mader et al., 1990). L’application de la stratégie Trame verte et bleue consiste donc à lutter contre les effets néfastes de la fragmentation enutilisant, autant que possible, les éléments de paysage existants permettant le déplacement des espèces à partir et vers les réservoirs de biodiversité extra-urbains que sont les milieux agricoles et semi-naturels (Bryant, 2006). En milieu urbain, ces éléments de paysage peuvent être des espaces verts publics (Lizée et al., 2012), des friches (Eversham et al., 1996; Eyre et al., 2003), des jardins privés (Vergnes et al., 2012 et 2013) ou partagés ou encore des haies ou des alignements d’arbres bordant les voies ferrées et les routes (Vermeulen & Opdam, 1995; Rudd et al., 2002; Le Viol et al., 2008; Penone et al., 2012). Knop et al. (2011) ont d’ailleurs montré que le succès d’opérations de restauration en termes de rétablissement de communautés d’invertébrés était accru par une connectivité importante, notamment pour les espèces aux faibles capacités de déplacement.

Cependant, il est à noter que les connaissances sur l’impact de la fragmentation sur les invertébrés du sol sont encore lacunaires. Ainsi, certains auteurs ont conclu au contraire que les organismes de la faune du sol n’étaient que peu sensibles à la fragmentation au niveau local et ne constituaient pas forcément de très bons bioindicateurs de celle-ci (Small et al., 2006 ; Rantalainen et al., 2008).

Des différences de sensibilité inter- et intra-taxons ont également été mises en évidence. Il a par exemple été montré que le paysage avait une influence plus importante sur les

populations de carabes prédateurs que sur les espèces de carabes phytophages (Woodcock et al., 2010b).

La prise en compte de la trame brune dans les aménagements urbains, corroborée par l’augmentation du nombre de publications portant sur l’effet positif de la connectivité sur les invertébrés du sol, est donc indispensable au maintien de communautés diversifiées capables d’assurer de nombreuses fonctions.

Afin de favoriser le retour et le maintien de communautés de la pédofaune, la prise en compte de l’ancrage du projet de restauration dans le paysage et la gestion adéquate des sols restaurés sont primordiales (Diekötter et al., 2010). Un suivi dans le temps basé sur l’utilisation d’indicateurs est également nécessaireafin de juger de la réussite des opérations.

Par conséquent, il est intéressant d’aborder la question du processus de restauration des sols dégradés sous une approche temporelle. Celle-ci est relativement bien connue - étant clairement visible - chez les végétaux : ce sont les fameuses successions végétales. Dans le cas particulier des projets de restauration, on passe généralement de communautés dominées par des espèces plantées par l’Homme et/ou par des espèces pionnières, invasives ou non, à un état d’ « équilibre » correspondant aux exigences et aux attentes de l’Homme (pelouse, prairie, boisement à vocation récréative ou de préservation de la biodiversité). La dernière partie de ce chapitre s’intéresse ainsi aux successions de communautés d’invertébrés du sol suivant la restauration écologique d’un sol.