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Approche fonctionnelle : des guildes à l’usage des traits écologiques

A. La pédofaune comme outil d’évaluation et de suivi de la qualité des sols

A.3. Méthodes d’évaluation des réponses de la pédofaune aux variations de la qualité

A.3.2. Approche fonctionnelle : des guildes à l’usage des traits écologiques

ces traits étant des composantes du phénotype des organismes qui influencent des processus écosystémiques (Hooper et al., 2005 ; Petchey & Gaston, 2006).Il peut s’agir de traits morphologiques, physiologiques, phénologiques ou comportementaux, de traits liés à la performance (biomasse, survie, succès reproducteur) ou encore de préférences écologiques, tous mesurables à l’échelle de l’individu sans référence à son environnement ou à un quelconque niveau d’organisation (Violle et al., 2007 ; Pey et al., 2014). Les traits fonctionnels sont des traits qui affectent les capacités de survie et/ou de reproduction des individus, c’est-à- dire leur fitness, et qui gouvernent leurs réponses aux perturbations de leur environnement (Lavorel & Garnier, 2002 ; Violle et al., 2007 ; Pey et al., 2014).

La diversité fonctionnelle peut donc être reliée, tout comme la diversité phylogénétique, à la notion de résilience des écosystèmes. En effet, de nombreuses études ont permis de montrer que les caractéristiques fonctionnelles des espèces influencent fortement les propriétés de l’écosystème (Hooper et al., 2005) notamment via les effets des espèces dominantes, clé de voûte et ingénieurs et via les interactions entre espèces (compétition, mutualisme, prédation,

etc.). L’extinction d’espèces sous l’effet des activités humaines et les invasions biologiques ont ainsi souvent altéré le fonctionnement des écosystèmes. Cependant, certains processus peuvent être insensibles aux pertes d’espèces si les écosystèmes en question contiennent plusieurs espèces ayant un rôle fonctionnel similaire (Hooper et al., 2005). On voit donc tout l’intérêt, en écologie de la restauration, de s’intéresser aux caractéristiques des espèces et à leur rôle dans les écosystèmes afin de reconstruire ou de préserver des écosystèmes sains et fonctionnels (Cadotte et al., 2011).

La mesure de cette diversité fonctionnelle requiert le choix de traits fonctionnels pertinents, pondérés selon leur importance relative. Elle doit permettre d’expliquer et de prédire les variations des processus écosystémiques (Petchey & Gaston, 2006).

De nombreuses études ont montré l’intérêt de l’utilisation des traits en écologie de la conservation notamment chez les plantes et les vertébrés (Diaz et al., 2001 ; Croci et al., 2008 ; Barbaro & Van Halder, 2009 ; Flynn et al., 2009) mais également chez les invertébrés du sol (Sattler et al., 2011 ; Vandewalle et al., 2010 ; Hedde et al., 2012). On peut ainsi citerdes travaux sur les collemboles (Ponge et al., 2006 ; Jorgensen et al., 2008 ; Auclerc et al., 2009 ; Makkonen et al., 2011 ; Salmon et al., 2014 ; Santorufo et al., 2014), les acariens (Lindberg & Bengtsson, 2005), les vers (Decaëns et al., 2011 ; Pérès et al., 2011 ; Pelosi et al., 2014), les carabes (Ribera et al., 2001 ; Cole et al., 2002 ; Barbaro & Van Halder, 2009 ; Woodcock et al., 2010b)ou encore les araignées (Bonte et al., 2006 ; Lambeets et al., 2009 ; Langlands et al., 2011 ; Puzin et al., 2011).

Il a d’ailleurs été mis en évidence l’existence d’associations entre traits fonctionnels et services écosystémiques chez les plantes mais aussi chez les organismes du sol (Hattenschwiler et al., 2005 ; Schmitz, 2009 ; De Bello et al., 2010). Il a même été montré que la prise en compte de traits fonctionnels chez ces organismes pouvait être un meilleur bioindicateur des effets de la pollution que la densité ou la diversité des communautés (Hedde et al., 2012). Les approches basées sur l’utilisation des traits peuvent donc améliorer la compréhension des réponses des invertébrés du sol aux perturbations environnementales et donner des informations complémentaires à celles délivrées par les approches taxonomiques (Moretti et al., 2009 & 2013 ; Pey et al., 2014). Les traits fonctionnels constituent ainsi de véritables indicateurs des perturbations environnementales (Vandewalle et al., 2010 ; Hedde et al., 2012) et leur étude pourrait permettre de prédire les réponses des espèces à certaines contraintes environnementales et par voie de conséquence d’expliquer la structure des communautés et les patrons de distribution des espèces en fonction des caractéristiques de l’habitat (Dias et al., 2009 ; Makkonen et al., 2011).

Les organismes de la faune du sol sont particulièrement adaptés à ce type d’approche étant donné les nombreuses classifications fonctionnelles et écomorphologiques existantes. Tous taxons confondus, la pédofaune a souvent été scindée en guildes, c’est-à-dire en groupes d’espèces utilisant de manière similaire les mêmes ressources alimentaires, ou plus généralement en groupes fonctionnels - soit des groupes partageant des stratégies d’histoire de vie communes : répartition, reproduction, stratégies de défense contre les prédateurs, etc. (Siepel, 1994; Lavelle, 1997; Brussaard, 1998). Une classification courante est celle de Lavelle (1997) qui sépare les invertébrés du sol en trois groupes fonctionnels : les microprédateurs, les décomposeurs et les ingénieurs de l’écosystème. D’autres classifications fonctionnelles et écomorphologiques existent également au sein des taxons. C’est le cas notamment pour les collemboles et les vers de terre (cf. §A.2.3.). Néanmoins, ces regroupements sont basés sur dires d’experts et donc subjectifs ce qui implique une perte d’information, les différences fonctionnelles entre taxons étant continues et non discrètes (Pey et al., 2014). D’où l’intérêt de l’utilisation des traits fonctionnels qui peuvent être chez les invertébrés du sol : la taille, la forme et la coloration du corps, le type de reproduction, le développement des ailes (carabes), des pattes ou de la furca (collemboles), le nombre d’ocelles, le régime alimentaire ou encore l’habitat.

Le principal avantage des approches basées sur l’utilisation des traits fonctionnels est d’améliorer la prédiction et la compréhension des relations existant entre les invertébrés du sol et les changements environnementaux en s’affranchissant - au moins en partie - des facteurs spatio-temporels (Pey et al., 2014). Ces approches semblent fiables quelle que soit la zone géographique ou la perturbation environnementale considérées (Vandewalle et al., 2010 ; Pey et al., 2014). Elles ont notamment permis de confirmer l’importance des filtres environnementaux sur la structure des communautés (Decaëns et al., 2008).

Néanmoins, d’après certains auteurs, ces différents indices de diversité - bien que couramment usités - ne se révèlent pas assez spécifiques ni sensibles, la diversité étant influencée par un grand nombre de facteurs différents (Van Straalen, 1998). Une meilleure résolution pourrait être obtenue via l’utilisation de méthodes statistiques multivariées permettant l’analyse des communautés. Cependant, ces techniques purement descriptives ne permettent pas l’obtention de bioindicateurs spécifiques. La spécificité de ces bioindicateurs pourrait quant à elle être améliorée en se basant sur les attributs écologiques des espèces (histoire de vie, régime alimentaire, fonction dans le système, physiologie) pour établir une classification au sein des communautés (Van Straalen, 1998).

Une combinaison d’analyses multivariées et de classifications écophysiologiques apporterait ainsi à la fois spécificité et résolution.

Cette première partie a permis de mettre l’accent sur le rôle essentiel de différents taxons de la pédofaune dans les services écosystémiques assurés par la ressource sol et par voie de conséquence sur leur potentiel en tant que bioindicateurs d’évaluation de la qualité des sols. Différentes approches, taxonomique mais aussi fonctionnelle, ont ensuite été proposées afin d’interpréter au mieux les réponses de ces bioindicateurs aux perturbations de leur milieu de vie. Le tableau 1 ci-après synthétise les informations recueillies quant au potentiel de bioindication des 5 taxons de la pédofaune étudiés et à la façon concrète de les utiliser dans le cadre de l’évaluation de la qualité des sols.

La deuxième partie de ce chapitre vise quant à elle à présenter l’intérêt de la prise en compte de ces bioindicateurs dans le processus de restauration des sols.

Tableau 1 : Potentiel de bioindication et techniques d’utilisation de 5 taxons de la pédofaune pour l’évaluation de la

qualité des sols construits en milieu urbain

Taxons/Potentiel de

bioindication Collemboles Acariens Vers de terre Carabes Cloportes

Biologie/Ecologie

Relativement bien connues pour la majorité des esp.

Souvent lacunaires au niveau spécifique

Bien connues pour la majorité des esp.

Bien connues pour la majorité des esp.

Bien connues pour la majorité des esp.

Rôle fonctionnel Microfragmentation de la matière organique & régulation de l’activité microbienne Oribates : idem collemboles Ingénieurs de l’écosystème, activité bioturbatrice

Prédateurs : influence sur l’équilibre biologique des sols

Fragmentation de la matière organique Abondance En moy. 7045 ind./m

2 En moy. 4698 ind./m2 En moy. 59 ind./m2

Modérée Faible

Source : programme Bioindicateurs 2 de l’ADEME pour les friches urbaines (n=60)

Richesse spécifique Elevée Elevée Faible Modérée Faible

Classifications fonctionnelles 3 catégories écomorphologiques : épiédaphiques, hémiédaphiques et euédaphiques Oribates (phytosaprophages), prostigmates & gamasides

(prédateurs) 3 catégories écomorphologiques : épigés, anéciques et endogés Phytophages, prédateurs généralistes ou spécialistes Aptères/brachyptères/macroptères Habitats Habitats Facilité et techniques de prélèvement Relativement aisé

Carottage de sol et extraction sur Berlèse

Relativement aisé

Méthode AITC et/ou excavation + tri manuel

Aisé Pièges Barber Aisé Pièges Barber Facilité de détermination Montage au microscope nécessaire

pour certaines esp.

Systématique complexe Peu d’espèces, clés existantes suffisantes

Relativement aisée avec une loupe binoculaire, nombreuses clés de détermination, Aisée, peu d’espèces Indicateurs utilisables d’évaluation de la

qualité des sols

Abondance, richesse et diversité spécifique,

équitabilité Prop. des 3 catégories

écomorphologiques Traits fonctionnels Abondance totale Proportion oribates/acariens prédateurs Abondance et richesse spécifique Biomasse Prop. des 3 catégories

écomorphologiques

Abondance et richesse spécifique Abondance et richesse spécifique

Légende : De vert à rouge : caractéristique d’intérêt décroissant pour la bioindication.

B. Requalification de sites dégradés : de la reconstruction des sols à leur