• Aucun résultat trouvé

3-1 Les géographes africains face à l’objet TIC : des travaux parcellaires porteurs, une faible visibilité générale

CHAPITRE I : ANALYSE CRITIQUE DES SOURCES

PARCOURS CROISES DES TENDANCES ACTUELLES

II- 3-1 Les géographes africains face à l’objet TIC : des travaux parcellaires porteurs, une faible visibilité générale

Nous sommes sûrs de ne pas avoir consulté toute la littérature par disciplines et par langues disponible sur l‟Afrique. Nous avons mis l‟accent sur les travaux relevant de l‟espace francophone et sur quelques travaux réalisés en anglais. Au niveau de l‟espace francophone (Afrique de l‟ouest et du centre), il n‟émerge pas encore, chez les géographes africains travaillant dans l‟enseignement, la recherche et dans d‟autres secteurs, une dynamique collective sur l‟intérêt d‟asseoir une réflexion sur une approche géographique des TIC en Afrique. Par contre, on retrouve dans l‟histoire et actuellement, des travaux isolés et peu nombreux qui témoignent d‟une prise de position géographique sur le phénomène des TIC entendu dans son sens large (postes, télécommunications, etc.). Le Gabon et le Sénégal sont un exemple qui étaie ce point de vue :

515

L’approche géographique des TIC au Gabon : des travaux embryonnaires et discontinus

Le présent tableau donne bien la mesure de ce constat :

Tableau n° 4.a : Aperçu des travaux géographiques sur les TIC au Gabon

Type d’étude et cadre d’exécution Auteur, Titre et Année Synthèse analytique

1/Thèse de géographie de l‟Université de Montpellier III

Gisèle MAKIELA, La logistique portuaire au Gabon.

Contribution à une géographie des transports de la Communauté Economique et Monétaire de l‟Afrique Centrale, 2007516

Le cadre théorique de l‟étude s‟approprie l‟information comme une donnée éminemment géographique. Son rapport à la logistique participe à impulser des dynamiques spatiales. Les NTIC sont longuement abordées dans la complexité de leur sens et par rapport à leurs incidences. La société de l‟information est aussi une société de la communication (voies, signaux, etc.) qui intègre des temporalités. Le rôle des réseaux télécoms et de l‟ensemble des TIC (informatique, logiciels) dans le fonctionnement des ports transparaît, de même que leurs difficultés présentes liées à la déficience des TIC dans les ports au Gabon.

2/Thèse de géographie de l‟Université de Montpellier III

Michel MBADINGA, Etat, entreprise et développement au

Gabon : contribution à une étude géographique, 2006517

Les télécommunications sont appréhendées en tant que facteur de développement au Gabon dans le cadre médiatisé d‟une société de l‟information. L‟histoire des premiers moyens de communication à distance est mise en perspective pour établir un pont entre la période coloniale et celle qui a suivi. Le secteur a évolué à la faveur d‟importants investissements publics planifiés. Des réformes institutionnelles ont été engagées. L‟offre télécom révèle un sous-développement des industries d‟équipement. L‟impact économique des télécoms est esquissé.

Source : MAKANGA BALA (M.P.)

516 La 1ère partie (chapitre 1, 4ème point et chapitre 2, pp. 41-78) est assez éclairante sur les interactions géographiques entre information, TIC, logistique et ports au Gabon.

Tableau n° 4.b : Aperçu des travaux géographiques sur les TIC au Gabon

Type d’étude et cadre d’exécution Auteur, Titre et Année Synthèse analytique

3/Communication scientifique, Colloque International de Libreville (5-7 juin 2008), « Les usages intelligents des TIC dans la réorganisation universitaire »

Martial Pépin Makanga Bala, Le paradoxe de l‟université

gabonaise à l‟ère de la société de l‟information : un potentiel national réel, une insertion des TIC en dents de scie et l‟urgence d‟une solution globale, 2008.

L‟insertion des TIC est mise en interaction avec la gouvernance universitaire et le territoire. L‟espace national de la recherche et de l‟enseignement supérieur est dense et éclaté. Des réformes tel que le basculement au système LMD (Licence-Maîtrise-Doctorat) sont à l‟ordre du jour et nécessite de mieux prendre en compte les enjeux de l‟appropriation des TIC à l‟université (mise en réseau nationale, régionale et mondiale). A l‟absence de politique publique affirmée sur la question, correspond le dynamisme de la francophonie universitaire (campus numérique, centre Syfed, etc.) et une rhétorique médiatisée des politiques sur les TIC qui semble leur rapporter une plus value.

4/Communication scientifique, Symposium NETSUDS 2007 de Dakar (26-28 novembre 2007), « Accès aux TIC et service universel en Afrique Sub-saharienne. Comparaisons et dynamiques »

Martial Pépin Makanga Bala, Les territoires de l‟Internet et

de la téléphonie mobile au Gabon : analyse des accès aux TIC et perspectives du service universel, 2007.

De la corrélation Insertion des TIC/accès/services public et universel/territoire, il se dégage que le déploiement du mobile et la diffusion de l‟Internet, s‟accompagne de recompositions territoriales qui expriment des inégalités spatiales et qui interpellent tous les acteurs des territoires pour repenser leur aménagement en intégrant la question du numérique comme une constante à greffer aux options envisageables. 5/Communication au Forum scientifique,

« Quelle recherche pour le développement du Gabon ?», 21, 22 et 23 avril 2004. Manifestation co-organisée par l‟Association des Gabonais de la Gironde et les Universités de Bordeaux. [Les Actes du Forum]

Martial Pépin Makanga Bala, NTIC et Territoires au Gabon : l‟exemple des cybercafés et de la téléphonie mobile,

2004.

Loin d‟avoir favorisé la fin des distances et entériner la fin de la géographie, les NTIC dégagent à travers leur immatérialité, une matérialité tout aussi relative. Surtout, leur dynamique d‟insertion socio-spatiale s‟accompagne d‟une recomposition de territoires (celui de la couverture réseau GSM, celui des accès Internet, celui des zones peu peuplées et enclavées, etc.). Les NTIC interpellent les géographes sur la nécessité de penser autrement l‟espace.

6/Mémoire de maîtrise de l‟Université Omar Bongo (UOB), Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Département de Géographie.

Lazare MBADINGA, Les Nouvelles Technologies de

l‟Information et de la Communication (NTIC) : analyse spatiale et socio-économique du réseau Internet, 2003.

L‟étude s‟appuie sur des références (notamment celles des géographes français) pour fonder une étude géographique du réseau Internet. Plusieurs analyses montrent l‟impact spatial différencié du déploiement de l‟Internet aux plans socio-économique et de l‟aménagement du territoire. Les problèmes posés (du point de vue de l‟offre et de la demande) renforcent la nature géographique du sujet (inégalités territoriales) et l‟intérêt que des perspectives politiques soient définies.

D‟autres travaux géographiques sur les TIC au Gabon existent518

. Ils sont le fait de parcours individuels qui se répartissent entre des travaux de thèse menés en France et abordant partiellement les TIC, des mémoires de maîtrise réalisés au Département de Géographie de l‟Université Omar Bongo du Gabon proposant des études complètes sur les TIC (Postes, télécommunications, etc.), des contributions à des ouvrages collectifs sur le Gabon et quelques articles et communications. Dans la plupart de ces travaux, en s‟appuyant sur l‟état des débats sur les TIC au niveau de la géographie en France, on dénote un souci de définition d‟un cadre d‟analyse théorique. L‟orientation consistant à situer les analyses dans une approche spatiale apparaît aussi clairement. Quelques thématiques transversales ressortent de ces études sur les TIC au Gabon axées en grande partie sur la relation au développement :

518 MAKANGA BALA (M.P.), « Les Télécommunications », in POURTIER (R.), dir., Atlas du Gabon, Paris, Editions Jeune Afrique, 2004, pp. 44-45 ; MAKANGA BALA (M.P.), « Géopolitique de la „„société de l‟information‟‟ au Gabon : état des connexions et perspectives », in Enjeux, n° 7, Yaoundé, avril-juin 2001, pp. 5-9 ; BOUANGA (A.), L‟évolution du service postal au Gabon, des origines à nos jours : cas de Libreville, Mémoire de Maîtrise, Université de Libreville (UOB), FLSH, Libreville, 1999, 90 p ; LEBIOGO (R.), La poste à

Libreville, Mémoire de maîtrise, Université de Libreville (UOB), FLSH, Libreville, 1990, 200 p ;

AGHOMA-MOLOMBO (C.), Les télécommunications au Gabon : état des lieux et perspectives, Mémoire de maîtrise, Université de Libreville (UOB), FLSH, Libreville, 1997, 82 p ; NSE (J.S.), Le téléphone à Libreville, Mémoire de maîtrise, Université de Libreville (UOB), FLSH, Libreville, 1989, 138 p ; WALTER (R.), « Postes et télécommunications », in [MEN, IPN et LNC], Géographie et cartographie du Gabon. Atlas illustré, Paris, EDICEF, 1983, pp. 92-95. (Publication conjointe du Ministère de l‟Education Nationale, de L‟Institut Pédagogique National et du Laboratoire National de Cartographie ; WALTER (R.), « Télécommunications et organisation de l‟espace national », in Revue gabonaise d‟études politiques, économiques et juridiques, n° 8, 1981.

Fig. n° 5 : Le thème du développement et la polarisation sur les études des TIC au Gabon

Toutefois, il n‟y a pas à ce jour des programmes de recherche qui aient été mis place ni encore des enseignements dispensés à l‟université sur les éléments d‟une géographie de la société de l‟information519

.

519

Il existe cependant un département sur les TIC créé au sein de l‟Ecole Normale Supérieure (ENS) de Libreville au Gabon depuis quelques années.

Croissance urbaine, appropriation des TIC et production territoriale : le cas de Touba au Sénégal

C‟est cette relation dynamique entre trois processus socio-spatiaux qui domine l‟étude de C. GUEYE520. Alternant son analyse sur plusieurs échelles, ce géographe sénégalais montre d‟abord la vitalité du fait urbain en Afrique et particulièrement au Sénégal. La ville est un espace de bouillonnement permanent, en même temps qu‟elle est simultanément le lieu privilégié d‟accueil et de diffusion des innovations techniques vers les autres territoires521

. Le Sénégal apparaît comme une parfaite illustration de cette observation de fond par rapport aux TIC. Avec une stratégie nationale et régionale associée à une vision politique volontariste, le Sénégal, à travers son opérateur historique des télécoms, la SONATEL, a mené depuis 1985 une ambitieuse politique de développement du téléphone (intégration de l‟offre publique et privée, boom de télécentres)522. L‟ensemble du pays en a tiré profit avec la construction d‟une infrastructure support nationale numérisée (avec de la fibre optique) et dotée de capacités régionales importantes. Resserrant ensuite son analyse à Touba523, C. GUEYE perçoit les NTIC comme une ressource et un facteur de recomposition des rapports entre acteurs urbains que la confrérie des Mourides a assimilée comme telle. Il explique que cette confrérie religieuse musulmane qui garde pourtant ses distances à l‟égard de ce qui concerne l‟occident, a fait de la ville de Touba, un théâtre de l‟appropriation des TIC à partir duquel s‟est structuré tout un système de relations complexes : 1) entre le national, le local et le global, les NTIC servent de canaux aux mourides pour la circulation de leur culture, de leurs valeurs, de leurs pratiques ; 2) on part de Touba pour se déployer dans l‟espace mondialisé-Afrique, Europe, USA, etc.- pour revenir à Touba se recueillir et se retrouver ; pour réaliser ces trajectoires, on se sert des TIC pour organiser les affaires, pour maintenir les relations avec la ville, pour renouveler les relations avec les familles restées à Touba ou installées ailleurs 524. De cette combinaison d‟éléments, C. GUEYE avance que, pour les Mourides, les TIC s‟apparentent à un territoire différencié (local/national/global), limité par les niveaux de projection et de contrôle, vers lequel ils multiplient des visées qui mêlent plusieurs représentations : effets de

520 GUEYE (C.), « Enjeux et rôle des nouvelles technologies de l‟information et de la communication dans les mutations urbaines : le cas de Touba (Sénégal) », in MOUMAR-COUMBA (D.), dir., Le Sénégal à l‟heure de

l‟information. Technologie et société, Paris, Karthala-UNRISD, 2003, pp. 169-222.

521

GUEYE (C.), op. cit., p. 169. 522 GUEYE (C.), op. cit., p. 169.

523 Fondée en 1888 par Cheikh Ahmadou Bamba, Touba est aujourd‟hui la deuxième ville du Sénégal avec au moins 500 000 habitants.

mode, fascination, opportunités, besoins d‟information et d‟autonomie, etc. Pour lui, ces différentes dynamiques entrecroisées rentrent dans son cadre d‟analyse qu‟il définit ainsi : « Le territoire est le cadre théorique approprié de la projection des structures et valeurs de la confrérie mouride sur les espaces sénégalais et internationaux. C‟est une notion identitaire avec un sens juridique, social, culturel, affectif. Le sentiment d‟appartenance et la cristallisation en son sein de représentations collectives le définissent très souvent. Mon hypothèse est que les Nouvelles Technologies de l‟Information et de la Communication constituent le nouveau territoire que les Mourides cherchent à conquérir. La projection voulue et réalisée de la société maraboutique, de ses jeux politiques, de ses faits culturels et cultuels, et de son dynamisme économique sur un espace qui s‟étend toujours, au Sénégal comme à l‟extérieur, peut faire valablement parler de territoire et appelle une analyse en ces termes »525. Il se dégage par ailleurs que le dynamisme économique de Touba et son poids démographique (500 000 habitants environ) en ont fait un espace de projection des stratégies concurrentes des opérateurs télécoms-SONATEL et SENTEL- visant le rattrapage par rapport à la demande et l‟anticipation des mutations du marché. A partir de l‟articulation de départ, l‟auteur développe de nombreux axes d‟analyse que l‟on peut résumer ainsi526

:  Les pérégrinations de la confrérie Mouride, du local au global ;

 L‟évolution des réseaux télécoms à Touba ;

 Les NTIC comme instrument des chefs religieux dans la gestion urbaine (quartiers) ;  Les commerçants du secteur informel et les stratégies d‟appropriation des TIC

(fixe/portable/micro-informatique/Internet) ;  L‟esquisse d‟une sémiologie527

du web mouride révélatrice d‟une territorialisation conquérante de l‟Internet ;

 Les NTIC en tant que facteurs de production des identités, des sociabilités par la domestication des distances.

Par la posture scientifique prise, par les mécanismes socio-spatiaux mis en lumière, par la diversité des thématiques mises en corrélation, cette étude témoigne de l‟intérêt des géographes africains à l‟égard des problématiques suscitées par les TIC en Afrique. Cet engouement est à priori limité par la nature isolée des travaux, l‟insuffisance des rencontres

525

GUEYE (C.), op. cit., p. 170. 526 GUEYE (C.), op. cit., pp. 173-222.

527 Utilisé par de nombreuses disciplines notamment la géographie, la sémiologie est l‟étude de la manière dont les différents systèmes de signes permettent aux individus et aux collectivités de communiquer. Cf., http://www.mediadico.com/dictionnaire/definition/semiologie/1.

dédiées, le manque global des moyens accordés à la recherche et l‟enseignement ainsi que l‟absence de programmes de recherche approfondis.

II-3-2 Les géographes du Nord et la place des TIC en Afrique : entre