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Le génie tissulaire est un domaine de recherche utilisant une combinaison de méthodes biologiques, chimiques et physiques dans le but de recréer un tissu biologique.

1.7.1 Principes/avantages

Le génie tissulaire offre la possibilité d’augmenter et d’améliorer la quantité et la qualité des tissus disponibles pour traiter les patients. La notion de qualité est un aspect très subjectif. Elle se définit ici selon les critères de sélection des organismes gérants les greffes de cornées (banque d’yeux, Santé Canada, FDA, etc.) (Ehlers 2002). En d’autres mots, les tissus créés par génie tissulaire se doivent de surpasser les critères de sélection utilisés pour les cornées natives.

1.7.2 Isolement

Le premier défi du génie tissulaire est d’obtenir des cultures ne comprenant que le type de cellules qui nous intéresse. Dans le contexte de l’endothélium cornéen, les techniques d’isolement doivent prendre en considération les risques de contamination que pose la présence des kératocytes et des cellules épithéliales de la cornée, deux populations à forte capacité proliférante. Puisque la membrane de Descemet peut être facilement séparée du reste de la cornée, la stratégie la plus utilisée est de la détacher mécaniquement à l’aide de pinces. Les cellules endothéliales sont ensuite décollées via l’utilisation d’EDTA (Chen et al. 2001, Zhu et al. 2004), de collagénase (Li et al. 2007, Zhu et al. 2008), de trypsine (Yokoo et al. 2005) ou de dispase (Ishino et al. 2004). Toutefois, lorsque l’endothélium est trop mince (cornée fœtale) ou trop adhérent (modèle félin), des stratégies alternatives sont utilisées. Elles font intervenir un traitement d’EDTA et/ou de trypsine directement sur la surface endothéliale de la cornée ou elles utilisent une méthode d’explant qui consiste à laisser les cellules migrer d’elle-même hors du tissu (Bahn et al. 1982a, Proulx et al. 2007, Gao et al. 2011, Walshe et al. 2014).

1.7.3 Culture

Les CEC ont démontré une capacité de proliférer in vitro lorsque cultivées en présence de sérum et de facteurs de croissance. Toutefois, la division forcée des cellules semble causer un changement de morphologie. La morphologie hexagonale et homogène des

cellules tend à disparaître aux dépens d’une morphologie d’apparence fibroblastique (Peh et al. 2011). Ce phénomène s’explique par l’activation de la voie de signalisation Wnt canonique et par les facteurs de croissance comme le facteur de croissance fibroblastique basique (bFGF) (Zhu et al. 2012). Plusieurs milieux de culture ont été développés pour cultiver les CEC en tentant d’éviter cette perte de morphologie (Gospodarowicz et al. 1977, Giguere et al. 1982, Engelmann et al. 1988, Engelmann et al. 1989, Lee et al. 1991, Samples et al. 1991, Schultz et al. 1992, Woost et al. 1992b, Woost et al. 1992a, Engelmann et al. 1995, Bednarz et al. 2001, Joyce et al. 2004, Zhu et al. 2004, Proulx et al. 2007). Ces milieux ont eu un succès modéré considérant que le simple fait de causer le détachement des cadhérines lors des passages est suffisant pour activer la voie Wnt. De nouvelles approches ont été développées sur l’idée que le phénotype endothélial peut être récupéré à l’aide de milieux de « maturation ». La culture des cellules se fait donc en deux phases, une phase de prolifération et une phase de maturation (Peh et al. 2015a, Peh et al. 2015b).

1.7.4 Supports

L’endothélium ne forme qu’une monocouche de cellules très fragiles. L’endothélium cultivé peut être recueilli en conservant sa structure par une réduction de la température via l’utilisation de pétris sensibles à la température (Ide et al. 2006, Sumide et al. 2006, Lai et al. 2007, Nitschke et al. 2007). L’EDTA est aussi utilisé (Hitani et al. 2008). Bien que des transplantations aient pu être effectuées en utilisant ces méthodes, la transplantation sans support demeure un exploit technique (Sumide et al. 2006, Hitani et al. 2008). Le développement de supports est donc un aspect très important pour envisager la transplantation d’endothélium cornéen reconstruit. Ce support aura un impact important sur la vision du patient. Plusieurs types de supports ont été envisagés.

L’utilisation de supports minces est devenue une approche très intéressante suivant le développement des chirurgies postérieures. L’utilisation de différentes membranes comme la membrane de Descemet, la membrane amniotique, les membranes à base de gélatine, la capsule antérieure du cristallin, la fibroïne de soie, les lentilles d’hydrogel, le collagène réticulé (« cross-linked ») et le vitrigel ont été envisagés (Jumblatt et al. 1980, McCulley et al. 1980, Schwartz et al. 1981, Lange et al. 1993, Mohay et al. 1994, Mohay et al. 1997, Griffith et al. 1999, Doillon et al. 2003, Ishino et al. 2004, Mimura et al. 2004b, Lai et al. 2007, Wencan et al. 2007, Yoeruek et al. 2009, Madden et al. 2011). Les supports minces ont la faiblesse d’être plus difficiles à manipuler, augmentant ainsi le risque de complications (Koizumi et al. 2007).

L’utilisation de cornée est une autre approche ayant l’avantage d’utiliser le tissu le plus compatible avec la transparence et la courbe physiologique nécessaires au dioptre oculaire. Sa biocompatibilité rend son utilisation plus facile, d’autant plus que les techniques actuelles de transplantation endothéliale utilisent déjà des cornées (Price et al. 2013a). La membrane de Descemet est débarrassée de ses cellules et les CEC cultivées sont ensemencées. Les cellules épithéliales peuvent toutefois migrer vers le côté endothélial et nuire à l’endothélium cornéen. La dévitalisation de la cornée offre une alternative à ce problème. Le but de la dévitalisation est d’éliminer toute cellule du support, avec l’intérêt d’éliminer tout risque de contamination par ces dernières et de réduire le risque d’immunoréaction provenant du support (Quantock et al. 2005, Hori et al. 2007). Différentes techniques de dévitalisation par congélation et par l’utilisation d’hydroxyde d’ammonium ont été développées (Bohnke et al. 1999, Engelmann et al. 1999, Chen et al. 2001, Amano et al. 2008, Proulx et al. 2009a, Proulx et al. 2009b). La dévitalisation thermique offre l’avantage de ne pas introduire d’agent chimique qui pourrait être toxique pour les cellules ensemencées.

1.7.5 Injection de cellules dans la chambre antérieure

L’injection de cellules endothéliales cornéennes dans la chambre antérieure afin qu’elles forment un endothélium in vivo offre l’avantage d’être une méthode peu invasive et techniquement simple à réaliser. Le principal obstacle est de s’assurer que les cellules adhèreront à la cornée. Ce faisant, des cellules ont été chargées avec des composants magnétiques et injectées dans la chambre antérieure. Suivant une attraction magnétique orientée vers la cornée, ces cellules ont été capables de recouvrir complètement la surface postérieure de la cornée (Mimura et al. 2003, Mimura et al. 2005a, Patel et al. 2009, Moysidis et al. 2015). L’utilisation de la gravité fut aussi utilisée avec un succès intéressant (Mimura et al. 2005b, Mimura et al. 2007, Okumura et al. 2012). La stratégie consiste à incliner l’œil de manière à avoir la cornée vers le bas. En injectant les cellules dans la chambre antérieure, les cellules se déposent naturellement sur la membrane de Descemet. Cette technique a permis de restaurer la transparence de la cornée sur des modèles lagomorphes et simiens (Mimura et al. 2007, Okumura et al. 2012). Il reste cependant à déterminer si la restauration de la transparence était due aux cellules injectées ou à l’ajout de l’inhibiteur des Rho kinases Y-27632. Cette question de recherche a été évaluée dans nos travaux présentés à l’annexe 2 (Bostan et al. 2016).

1.7.6 Modèles animaux

Trouver un modèle animal représentatif de l’humain est un défi, l’œil étant très différent d’une espèce à l’autre. Le rat et la souris, bien qu’utilisés dans certaines études, ne sont pas des modèles très populaires de par la petite taille de leurs yeux (Tchah 1992, Joo et al. 2000, Mimura et al. 2004a). Le lapin est utilisé dans plusieurs études. Par contre, les CEC du lapin se divisent in vivo, ce qui le rend beaucoup moins représentatif de l’humain dans les études impliquant une réparation endothéliale.

L’utilisation de différentes espèces de singe est considérée comme étant le meilleur choix de par leur proximité avec l’humain. L’ingénierie d’endothélia et de différentes techniques de greffes ont été rapportées dans plusieurs études avec ce modèle animal (Insler et al. 1986, Insler et al. 1991a, Insler et al. 1991b, Koizumi et al. 2007, Koizumi et al. 2008). Le singe Rhésus possède une cornée d’un diamètre de 10.6 mm avec une pachymétrie de 470 µm, des valeurs très proches de l’humain (Zurawski et al. 1989). Ses CEC ne se divisent pas in vivo (Van Horn et al. 1975, Matsubara et al. 1983, Insler et al. 1991a). L’espèce possède toutefois une densité endothéliale supérieure à l’humain de 4000 cellules/mm2 (Jackson et al. 1995, Ollivier et al. 2003). Ce modèle est toutefois très dispendieux en Amérique du Nord et en Europe, ce qui restreint son utilisation.

Le modèle félin est plus disponible et moins cher que les modèles simiens. Des études sur ce modèle ont montré qu’il était possible de recréer un endothélium par génie tissulaire et d’utiliser ce modèle pour étudier des transplantations cornéennes (Gospodarowicz et al. 1979, Bahn et al. 1982a, Bahn et al. 1982b, Lopatin et al. 1989, Cohen et al. 1990, Tripoli et al. 1992, Mohay et al. 1994, Ohno et al. 2002a, Ohno et al. 2002b, Proulx et al. 2009a, Proulx et al. 2009b, Shao et al. 2011). Le diamètre cornéen du modèle félin est de 15.5-18 mm et son épaisseur est de 545-650 µm (Bahn et al. 1986, Carrington et al. 1986, Bourne et al. 1994, Moodie et al. 2001, Kafarnik et al. 2007, Reichard et al. 2010). Comme pour les humains, les CEC du félin ne se répliquent que très peu in vivo (Van Horn et al. 1977, Ling et al. 1988, Petroll et al. 2001). Finalement, leur densité endothéliale est de 2 300-2 900 cellules/mm2, une densité similaire à l’humain (Bahn et al. 1986, Huang et al. 1989, Bourne et al. 1994, Jackson et al. 1995, Franzen et al. 2010, Reichard et al. 2010).

1.7.7 Modèles d’étude FECD par génie tissulaire

Bien qu’utiles pour développer de nouveaux traitements, les modèles animaux ne sont pas très pratiques pour étudier des endothéliopathies multifactorielles uniques à l’humain

comme la FECD. Des modèles d’études murins ont été développés à partir d’une mutation du collagène de type VIII connue pour causer la FECD de type précoce (Matthaei et al. 2012, Matthaei et al. 2013a). Toutefois, ils ne sont pas représentatifs des formes majoritaires dites sporadiques de la pathologie. Une dystrophie endothéliale chez le Boston Terrier a aussi été proposée pour être un modèle de FECD (Thomasy et al. 2016). Bien qu’il y ait une grande ressemblance clinique, rien n’indique toutefois qu’il s’agisse de la même maladie. De plus, la progression de la maladie se déroule sur une dizaine d’années et il n’y a aucun moyen de savoir si l’animal en est porteur à la naissance, rendant pratiquement impossible la planification et la mise en application d’une étude. Un modèle adéquat devrait alors n’être composé que des cellules humaines de patients atteints de cette maladie. Le développement de modèles humains FECD par génie tissulaire est, à ce titre, un secteur prometteur.

Les cellules endothéliales FECD ont été cultivées pour la première fois suivant leur transduction avec les oncogènes E6 et E7 du papillomavirus par l’équipe d’He et collaborateurs (He et al. 1997). Par la suite, mon laboratoire a montré qu’il était possible d’isoler et de cultiver ces cellules sans transduction avec une méthodologie utilisée pour les cellules non-pathologiques (Zaniolo et al. 2012). Ces cellules ont ensuite été utilisées pour reconstruire un endothélium sur une cornée non pathologique préalablement dévitalisée par des cycles de gel-dégel (Fig. 3.2). Sept de ces cornées furent transplantées chez le félin pour évaluer la fonctionnalité de l’endothélium FECD reconstruit (Haydari et al. 2012). Six d’entre elles montraient un rétablissement partiel de la transparence et de l’épaisseur cornéenne 7 jours suivant la transplantation. Ces valeurs ne s’approchaient toutefois pas des résultats obtenus en reconstruisant des endothélia avec des cellules non pathologiques, suggérant un maintien de la dysfonction endothéliale associée à la FECD. De plus, les endothélia FECD produisaient une matrice fibrillaire suggérant le maintien de l’épaississement pathologique associé à la maladie (Iwamoto et al. 1971, Bourne et al. 1982, Waring 1982, Yuen et al. 2005). Un attachement incomplet des jonctions cellule-cellule et une plus faible densité cellulaire furent aussi observés par microscopie à transmission.

Il en ressort un modèle intéressant pour étudier la dystrophie endothéliale cornéenne de Fuchs.

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