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I La génération de l’idéalisme missionnaire : Lamartine et Louise Colet

Le romantisme s’est construit sur l’idée décisive de la personnalité spécifique de l’écrivain, homme éclairé à la fois hors de la société et en communion avec elle du fait de sa sensibilité supérieure capable d’exprimer les maux de sa génération2. Et un regard rétrospectif sur 1789 aime croire que la Révolution française a bien été le fruit de la pensée et des discours

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mobilisateurs des Lumières. Tout se passe comme si les discours avaient engendré les actes3. Si l’efficacité des textes paraît avérée, elle implique une responsabilité des écrivains. Autour des journées de février 1848, cette vision évolue vers la formulation d’une mission sociale et politique des hommes de lettres. La responsabilité est devenue explicitement politique et même institutionnelle, d’où l’implication, plus ou moins précoce et active, des George Sand, Victor Hugo ou même dans une moindre mesure Charles Baudelaire dans l’agitation révolutionnaire de février. L’action politique d’Alphonse de Lamartine de février à juin 1848, sa candidature à la première élection présidentielle, soulignent cette inflexion dans la vision romantique du poète :

Le poëte n’est plus l’esprit qui rêve et prie ; Il a la grosse clef de la Conciergerie.4

écrira cinq ans plus tard Hugo dans Châtiments. Il s’agit en effet de transformer la mission de représentation symbolique du peuple en mandat républicain tout à fait institutionnel, formel, et hors du monde des lettres. L’ambition est également de porter la voix de sa génération comme Musset dans La Confession d’un enfant du siècle. Si l’échec retentissant de Lamartine, battu par Louis-Napoléon Bonaparte, a pu faire passer sa candidature pour peu sérieuse, il serait expéditif de mésestimer ce qu’elle représente de nouveau dans la relation que l’ethos de l’écrivain entretient au public en tant que Nation française. Et ce d’autant plus que malgré sa destitution du pouvoir, Lamartine compte sur l’écriture pour maintenir sa relation avec un public quand bien même celui-ci n’est plus un électorat. Il fait paraître en 1850 un roman en prose, Geneviève, histoire d’une

servante, qui non seulement est le premier roman français à choisir pour héroïne éponyme une

domestique, mais qui se revendique de cette conception à la fois missionnaire envers le peuple et mandataire de sa volonté politique.

A/ Trajectoire et positionnement de Lamartine.

Alphonse de Lamartine, né en pleine Révolution française, n’a pas connu l’Ancien Régime. Aristocrate de bonne origine, il est propulsé par la publication et le succès des

Méditations poétiques en 1820. Ce recueil marque la conjonction la plus représentative de la poésie

lyrique romantique et du soutien à la branche royale légitime. Lamartine a contribué avec Hugo

3 Voir Roger Chartier, Les Origines culturelles de la Révolution, Éditions du Seuil, 1990.

4 Victor Hugo, Châtiments, I, 11, [s.n.], Genève, 1853, p. 51. Le recueil ne gagne l’article pour s’intituler Les Châtiments que dans ses rééditions.

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et à la suite de Chateaubriand à constituer l’ethos d’un poète que sa sensibilité d’exception rapproche de manière presque mystique des sentiments du peuple. Cet ethos est également marqué par son désintéressement, son indifférence à l’argent, sa pureté morale et un sens du dévouement sacrificiel pour la nation. Le recours à la poésie lyrique en est le signe. Académicien, il appartient aux cercles consacrés, reconnus et officiels, au moment où naît à Paris le mouvement de la bohême. Or cette reconnaissance institutionnelle est le support d’une carrière politique : Lamartine est député depuis 1833. La démarche n’est pas neuve, Chateaubriand également a été ministre, et beaucoup d’aristocrates légitimistes trouvent dans les mandats électoraux le moyen de représenter le peuple comme l’entendait l’Ancien Régime. Il serait donc trop rapide d’interpréter son investissement en politique comme un moyen de se rapprocher du peuple et d’abolir les distinctions sociales. Jamais Lamartine ne souhaite revenir sur la division des états sociaux. Bien au contraire, il incarne le type d’une aristocratie sociale qui regrette l’Ancien Régime parce que l’aristocratie y protégeait le peuple. Cependant il se distingue des contre-révolutionnaires et des conservateurs en ce qu’il étudie très sérieusement l’économie et les différents rapports que son mandat met à sa disposition sur la situation de son pays. Il s’intéresse de près, comme il en rend d’ailleurs compte dans la préface de Geneviève, aux travaux de Frédéric Bastiat, économiste libéral et lui aussi député dans les années 1840. C’est qu’il s’agit selon lui de fonder un État stable, pérenne, adapté au monde moderne donc à l’abri d’une révolution. Lamartine incarne un courant aristocratique profondément social, celui de Claire de Duras5, qui deviendra le « catholicisme social » d’Albert de Mun à la fin du siècle6.

Il serait inexact de lire dans la conversion de Lamartine aux idées républicaines une réelle conviction démocratique. Cette conversion traduit surtout son sentiment du danger que représente la formation de masses prolétariennes misérables7, et en ce sens il compte d’abord parmi ses admirateurs Louis Blanc. Mais le socialisme dont il se revendique explicitement consiste plutôt en une charité publique et une philanthropie d’État qui permettraient de contenir les masses en limitant les aspects les plus criants de la misère : la mission que Lamartine se forge est empreinte de verticalité aristocratique. C’est pourquoi, en 1848, il devient l’adversaire acharné de Blanc, de Barbès et d’Albert, qu’il a tôt fait d’évincer du gouvernement provisoire. Dans ses Souvenirs, Alexis de Tocqueville, lui-même rallié à la République, rapporte l’animosité que suscite Lamartine chez les « honnêtes gens »8 : si sa naissance les rassure contre un retour

5 Renee Winegarten, « Woman and Politics : Madame de Duras », New Criterion, Nov 2000, n° 19 (3), p. 21-28.

6 Voir la thèse de Dominique Dupart, « Le Lyrisme démocratique de Lamartine : étude des discours politiques de 1834 à 1848 », Revue d’histoire du XIXe siècle [en ligne], thèses et HDR soutenues, mises en ligne le 1er février 2009, consultées le 11 octobre 2017.

7 Voir Henri Guillemin, Lamartine et la question sociale, Gallimard, coll. La Palatine, 1973, chapitre IV, p. 201.

8 Alexis de Tocqueville, Souvenirs, Calmann Lévy, 1893, deuxième partie, chapitre VI « Mes rapports avec Lamartine », p. 162-172.

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possible de la guillotine, ses propositions d’instaurer un impôt sur le revenu, d’augmenter considérablement le traitement des instituteurs et surtout de nationaliser les chemins de fer ont tout pour évoquer une menace sur la propriété privée. Lamartine apparaît donc à gauche comme traître aux ouvriers, qu’il a évincés du gouvernement, et à droite comme dangereux partageux. S’il a tenté de parer au massacre des ouvriers en juin, ce n’est pas qu’il se solidarise avec leur vision mais qu’il pense que lui seul peut incarner cette équivoque : représenter le peuple pour garantir la pérennité des hiérarchies sociales. Lamartine serait-il cynique ? Il semble en tout cas que sa stratégie politique soit bien éloignée de l’image traditionnelle du poète nébuleux et malhabile en politique, image forgée à la suite de sa défaite électorale et empreinte du discrédit qui a pesé sur toute la génération de l’illusion lyrique. Sa position intenable le mène à une chute rapide, mais elle est également une matrice de discours : le parti de Lamartine n’étant clair pour personne, il est amené à se justifier, à légitimer ses décisions, à préciser sa vision politique sans cesse, et ses romans ne sont pas exempts de cette injonction à clarifier ses prises de position.

La figure de Lamartine porte donc à la fois une forte légitimité, et l’image d’une génération romantique dont février 1848 marque l’éclatant triomphe, et l’élection présidentielle de décembre le dépassement. Mais l’équivoque politique qu’il incarne, à savoir s’appuyer sur la République et les idées socialistes pour garantir précisément les institutions d’une irruption des ouvriers au sein du pouvoir, n’est pas sans conséquences dans sa conception des lettres et de leur rôle.

Elle marque en premier lieu sa conception de la figure du poète, de l’ethos digne de pratiquer la poésie. Henri Guillemin remarque ainsi le basculement de ses positions à l’égard des poètes ouvriers. Le mouvement des poètes ouvriers était largement animé et patronné par des dames du monde lettrées comme George Sand et Louise Colet. Lamartine les soutient d’abord, et affirme avec vigueur l’utilité et la gloire de ces poètes modestes :

On sait que Lamartine s’est plu, un temps, à couvrir d’éloges les artisans-poètes, les Reboul, les Jasmin et autres Savinien Lapointe. Dans sa nouvelle préface de Jocelyn, le 27 septembre 1840, il exaltait ces « pauvres ouvriers qui, après avoir limé le fer et raboté le bois tout le jour, s’enferment la nuit dans leur mansarde, et sentent, et pensent avec autant de nature et plus d’originalité que nous ». Plus tard, en 1859, écarté de la lutte politique, Lamartine parlera d’un autre ton et dira tout haut alors ce que les exigences de sa tactique l’obligeaient autrefois à taire ; on l’entendra railler ces « médiocrités rimées sur lesquelles des artisans, dépaysés dans les lettres, tentent trop souvent, sans génie et sans outil, de faire extasier leur siècle » ; cette « poésie des ateliers », ajoute-t-il, n’aboutit guère qu’à de pitoyables « avortements ». (Cours familier de littérature, t. VII, p. 304)

Mais avant 1848, il lui importait d’encourager ces doux rimeurs, auxiliaires trop utiles, prêcheurs bénévoles de soumission passive dans les

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rangs des ennemis de la paix sociale ; les couronnes qu’il leur décerne, d’ailleurs, flatteront la classe ouvrière tout entière.9

La palinodie que Guillemin interprète comme une forme d’hypocrisie de Lamartine, changeant de discours entre 1840 et 1859, vient peut-être d’une transformation immense des circonstances politiques et biographiques de ces deux discours. Il n’en reste pas moins que l’exemple du rapport aux poètes ouvriers laisse penser que la position de Lamartine sur la poésie est homothétique de celle qu’il adopte en politique : il faut s’appuyer sur le peuple, lui concéder quelque reconnaissance, afin de se prémunir contre une haine qui ne peut que se déchaîner en révolution sanglante.

Dès lors, qu’en est-il de ses prises de position sur le rôle des lettres après sa chute en 1848 ? C’est singulièrement la parution en 1850 de Geneviève, histoire d’une servante, qui lui donne l’occasion d’un manifeste. Il y définit son rôle d’écrivain, se présentant non comme dictator déchu mais comme homme de lettres ; il y précise en outre la mission qu’il attribue à l’écrit : celle de s’adresser aux masses en les représentant. Cette mission, Lamartine l’expose de deux manières et en deux lieux dans Geneviève. D’abord dans la préface, qui prend la forme du récit autobiographique d’une rencontre avec une jeune ouvrière méridionale ; puis dans les premiers chapitres du roman même, où l’auteur se met à nouveau en scène à la rencontre de son personnage éponyme.

1- Préface de Geneviève : le mandat de Reine Garde.

C’est tout d’abord la préface au roman qui porte la formulation la plus explicite de la mission de Lamartine. Cette mission, le romancier s’en sent mandaté par la volonté populaire incarnée par Reine Garde, une couturière et poétesse à ses heures, qu’il dit rencontrer au cours d’un voyage à Marseille. Cette jeune admiratrice du poète, dont l’existence historique est attestée, vient chez lui de sa propre initiative et devise de ses goûts littéraires. Lamartine se montre bienveillant envers la jeune femme, empreint de condescendance aristocratique. Ils constatent ensemble qu’il n’existe que très peu de lectures s’adressant à la masse des humbles et les mettant en scène, reprenant implicitement l’argument classique selon lequel le sujet doit ressembler à son public. Lamartine décide alors d’écrire des romans qui s’adresseraient au peuple, ce à quoi souscrit la jeune femme, qui devient la dédicataire du roman.

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Le mouvement par lequel Lamartine construit son mandat d’écrivain populaire est double et redondant : d’une part, il fait porter au personnage de Reine Garde, personnage de jeune femme modeste et exemplaire, un discours très fidèle à sa propre vision historique ; d’autre part, il se met lui-même en scène comme recevant ce discours de cette jeune femme, et se mettant à son service. La redondance entre le discours formulé et le discours reçu est donc médiatisée par ce personnage, qui est d’ailleurs une ancienne domestique10 : Lamartine accepte de Reine Garde un point de vue qu’il lui rédige lui-même. Ce premier personnage de travailleuse sert donc de support et de légitimation à un discours d’édification populaire, qui suit plusieurs étapes.

Tout d’abord, les propos sont marqués par une vision verticale des classes sociales, montrées comme naturellement hiérarchisées. Comme le dit dès le début de son récit Reine Garde, « En Provence les nobles et le pauvre peuple, ça ne se méprise pas, au contraire ; les uns en haut, les autres en bas, mais tous de bon cœur sur le même pavé. »11 C’est là le ton du bon sens, qui rappelle les fins conservatrices du républicanisme de Lamartine. On ne saurait formuler plus simplement le principe aristocratique. Or cette hiérarchie sociale idéalisée n’est pas sans conséquences dans le domaine de la lecture et des lettres, qui vont être le sujet de la réunissant Lamartine et Reine Garde. Celle-ci, racontant ses années de service, rapporte l’anecdote suivante au sujet de ses maîtresses :

Quand elles sortaient bien belles et bien parées pour le bal, et que j’étais obligée de les attendre souvent jusqu’à des deux ou trois heures du matin dans leurs chambres pour les déshabiller à leur retour, elles me disaient : « Reine, Reine, voilà un de nos livres qui t’amusera pendant que nous danserons. » Je le prenais, je m’asseyais toute seule au coin de leur feu et je lisais le livre toute la nuit, et puis quand j’avais fini, je le relisais encore jusqu’à ce que je l’eusse bien compris ; et, quand je n’avais pas bien compris tout, à cause de ma simplicité et de mon état, je leur demandais de m’expliquer la chose, et elles se faisaient un plaisir de me satisfaire.12

La « simplicité » et l’ « état », c’est-à-dire la condition sociale, constituent un lectorat différent, moins capable, et qui a besoin de l’éclairage des classes supérieures pour comprendre. L’ordre aristocratique se trouve ici transposé au domaine de la lecture : la hiérarchie sociale recoupe une hiérarchie de compétence des lecteurs, lieu commun de l’élitisme culturel qui ne surprend guère venant de Lamartine et à cette époque, mais qui lui permet, placé dans la bouche de son personnage de servante, de justifier son rôle de missionnaire. La médiation de Reine Garde

10 Sur le passé de servante de Reine Garde, voir le chapitre 2.

11 Alphonse de Lamartine, Geneviève, Histoire d’une servante, réédition Nelson, 1932 [1850], p. 15.

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importe un discours politique dans le domaine des lettres, d’autant plus lorsque se pose la question d’un patrimoine littéraire fortement marqué par un propos politique :

C’est vrai, dit Reine, excepté Robinson et la Vie des saints, qu’est-ce donc qui a été écrit pour nous autres ? … Ah ! il y a encore Télémaque et Paul et Virginie. Mais, cependant, Télémaque traite de la manière dont il faut s’y prendre pour gouverner un peuple, et cela ne nous regarde guère ; et ce livre a été écrit pour l’éducation du petit-fils d’un roi ; ce n’est pas notre état à nous, n’est-ce pas ?13

Il est remarquable d’entendre ici de manière explicite que « cela ne nous regarde guère » : la profession de foi antidémocratique est des plus limpides, et confirme l’originalité du positionnement politique de Lamartine, dont l’appartenance au parti républicain n’a jamais signifié les convictions égalitaristes. Suivant l’homologie du modèle de la lecture et du modèle politique, le peuple, c’est-à-dire la majorité de la population, ne peut être concerné par les élites mises en scène dans la plus grande partie des romans.

Cette conception a une conséquence immédiate : de même que le peuple n’est pas appelé à gouverner mais à être gouverné, de même il ne saurait occuper la place d’auteur, et ne peut qu’être le public d’un auteur. Ainsi lorsque Lamartine dit lire les vers que Reine Garde a écrits à son oiseau, il livre ce premier commentaire :

J’étais étonné et touché de ce que je lisais. C’était naïf, c’était gracieux, c’était senti, c’était la palpitation tranquille du cœur devenue harmonie dans l’oreille ; cela ressemblait à son visage modeste, pieux, tendre et doux ; vraie poésie de femme, dont l’âme cherche à tâtons, sur les cordes les plus suaves d’un instrument qu’elle ignore, l’expression de ses sentiments.14

L’éloge est ambigu, et rappelle ce qu’Henri Guillemin souligne de la position de l’auteur vis-à-vis des poètes ouvriers. La poésie n’est pas reconnue comme valable dans l’absolu : c’est une « vraie poésie de femme », le complément du nom suffisant à annuler le compliment. Le poète est touché par la recherche poétique, sans pour autant reconnaître le texte comme commensurable à sa propre production et c’est pourquoi il ajoute :

J’étais bien loin de lui conseiller d’imprimer encore un recueil de ses poésies, qui n’étaient, comme certaines eaux, bonnes à boire qu’à la source.

― Ah ! monsieur, s’écria-t-elle, que dites-vous là ? je n’y ai jamais pensé. Moi, faire des livres !15

Comme ce sera le cas de Geneviève, Reine Garde se montre ici d’une modestie exemplaire et sa vertu consiste à ne pas se forger d’ambitions hors de sa classe16. Elle est donc vouée à

13 Ibid., p. 33-34.

14 Ibid., p. 23-24.

15 Ibid., p. 25.

16 Remarquons néanmoins que Reine Garde n’a pas toujours suivi le conseil de Lamartine, puisqu’elle a publié des poèmes au sein de l’anthologie de François Gimet, Les muses prolétaires, E. Fareu, 1856. Reine Garde : page 187

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l’admiration des grands auteurs et au respect de gouvernements éclairés. Elle reprend docilement et avec admiration les opinions du grand homme, qu’elle semble devancer pour mieux les légitimer. Or c’est la personne de Lamartine qui opère cette jonction entre rôle politique et rôle dans l’économie des lettres. De même que Lamartine se montrait républicain pour défendre des positions philanthropiques, de même il devient auteur de roman afin d’alléger le déficit de lecture des petites gens. En cela, il ne fait que répondre à un souhait qu’il place de manière explicite dans la bouche de Reine Garde, attristée du manque de livres dont elle puisse être la lectrice : « Ah ! quand viendra donc une bibliothèque des pauvres gens ? Qui nous fera la charité d’un livre ? »17 À la modestie de la couturière répond donc la charité de Lamartine auteur. Si la rhétorique de justification du livre est habituelle dans la préface, elle se double ici d’un mandat populaire : non seulement Lamartine écrit pour donner au peuple des livres qui le concerneraient, mais il écrit aussi à leur demande. La « charité d’un livre » transpose ainsi la philanthropie catholique revendiquée par l’auteur en politique dans le domaine des lettres. Et la préface met en scène avec beaucoup d’insistance ce mouvement qui donne l’initiative fictive à Reine Garde, et présente le récit de Lamartine comme la réponse à une humble commande. L’auteur sollicité à mots couverts quoique fort lisibles par sa jeune admiratrice lui répond ainsi :

C’est vrai pourtant ! le peuple qui veut s’instruire, se distraire, s’intéresser par l’imagination, s’attendrir par le sentiment, s’élever par la pensée, va mourir