• Aucun résultat trouvé

ET MOTIVATIONS DES MARCHANDS FRONTALIERS Ce chapitre décrit les trajets suivis par les commerçants de notre enquête. Depuis les régions

5.2. Le commerce de la friperie

5.2.4. La friperie exemplaire

Il ressort de cette étude que le commerce de friperie dans la ville frontalière de Gaya est dominé par des marchands venus d’ailleurs, principalement des régions de Dosso, de Tillabéry et de Tahoua même si on note la faible présence de quelques expatriés libanais et maghrébins.

Il apparaît que ce sont pour l’essentiel des entreprises familiales, mobilisant d’abord une main d’œuvre familiale. Ce qu’on observe, c’est plutôt une transmission de père en fils c'est-à-dire de la génération des pionniers qui, aujourd’hui, ont largement dépassé la soixantaine, vers leurs progénitures cultivées, connaissant les grandes villes du monde pour y avoir séjourné souvent pour raison d’études, et disposant aujourd’hui de carnets d’adresses plus fournis. Comme le montre l’historique de l’implantation de la friperie dans cette zone frontalière et les itinéraires des marchands investis dans la friperie, les horizons d’origine sont divers. Mais tous nos marchands impliqués sont riches d’un capital à la fois financier et relationnel et d’un savoir-faire avéré dans ce domaine pour faire fructifier un capital acquis ailleurs. C’est souvent dans des conditions très laborieuses, tout au long d’un parcours jalonné d’embuches de toutes sortes, parfois chassé de leurs pays d’accueil, qu’ils se sont constitués ce capital. Ils partagent une détermination à réussir dans cette activité de vente de friperie, activité pour laquelle ils ont progressivement acquis une solide compétence.

Le premier mérite de ces marchands est d’avoir compris assez tôt le bénéfice commercial qu’ils pouvaient tirer de la situation géostratégique des villes frontalières et précisément de Gaya à la fois proche du Nigeria et du port de Cotonou et disposant d’une certaine franchise douanière. Mais les ingrédients de la réussite de ces marchands est à rechercher plus loin, dans leur capacité à trouver des partenaires sérieux en amont auprès des fournisseurs occidentaux et asiatiques, et en aval au niveau des acquéreurs nigérians, puis dans leur habileté à nouer des relations d’affaires fructueuses et pérennes avec ces derniers.

Les marchands fripiers conscients de la fragilité de ce type de commerce essentiellement basé sur l’exploitation de différentiels de politiques économiques incitent la nouvelle génération constituée par leur progéniture à se diversifier et à s’investir, en plus de la friperie, dans d’autres secteurs d’activités. Ainsi, la réaction de ces marchands face aux vicissitudes qui entravent le commerce transfrontalier de friperie doit-t-elle être recherchée dans le

151

comportement de leurs fils qui représentent la nouvelle génération, plus instruite, ayant fréquenté, pour certains, de grandes écoles en Europe, aux USA et même en Chine. Dans la plupart des cas, la nouvelle génération s’est préparée à prendre la relève, ou l’a déjà fait dans quelques rares cas. Elle choisit plutôt la diversification à travers l’élargissement de la gamme des produits import-export et vise d’autres marchés que celui du Nigeria.

L’engouement observé autour de cette activité comme en témoigne la multiplication des entrepôts de plus en plus gigantesques dans la ville de Gaya, l’arrivée continu de nouveaux fripiers dans la ville parmi lesquels des Libanais, des Maghrébins, met en exergue le caractère dynamique de cette activité et laisse croire que le commerce de friperie à Gaya se porte bien. Cependant, selon le responsable en charge des magasins de friperie de la Nitra, cette multiplication des magasins est davantage liée au besoin qu’éprouvent les marchands à disposer de leurs propres magasins qu’à une augmentation du volume de friperie importé. Cependant les données montrent une augmentation régulière.

Les partenaires impliqués directement dans cette activité de réexportation de la friperie comme les agents en charge des formalités douanières (transitaires), le chef d’antenne départementale du CNUT, le responsable du bureau de la Nitra, le responsable départemental de la DGI sont unanimes à reconnaître que l’avenir du commerce de réexportation de friperie vers le Nigeria tel que cela se pratique depuis Gaya, est menacé. Mais les avis divergent sur la nature de la menace.

Les premiers pointent du doigt la concurrence béninoise. Effet, les autorités béninoises sont convaincues que la plus grande partie des marchandises à destination du Niger sont dans la réalité destinée au marché du Nigeria. Sur la base de ce constat, pourquoi ne pas créer les conditions pour que les marchandises passent directement du territoire béninois au territoire nigérian en excluant le Niger de la boucle ? Selon eux, le président actuel de ce pays, Yayi Boni, adepte de la politique de réexportation, a pris des mesures allant dans le sens de permettre à son pays de tirer un meilleur profit du commerce et principalement de la réexportation vers le Nigeria, cela en créant et en renforçant les voies qui vont directement au Nigeria, permettant le passage de grandes quantités de produits notamment de la friperie mais aussi certains produits de grande consommation comme le riz, le sucre, l’huile. A cet effet, au moins quatre voies ont été réactivées ou créées dont celles qui passent par Madekali vers Lolo, celle de Segouna. Selon les informations recueillies, l’intégralité de ces produits transitait

152

auparavant par le Niger. Par de telles mesures, le but recherché est de récupérer une partie importante du flux des marchandises en provenance du marché mondial, déchargés au port de Cotonou prétendument destinés au marché du Niger, mais dont la destination finale est en réalité l’imposant marché du Nigeria.

La seconde catégorie de marchands avance comme raison de la baisse des activités de friperie l’intrusion des marchands nigérians sur le marché nigérien. Ces grossistes venant du Nigeria, utilisent les papiers en règles des commerçants nigériens pour commander directement auprès des fournisseurs occidentaux et transportant par leur propre canal leurs marchandises jusqu’au Nigeria. Une partie des bénéfices est utilisée pour rétribuer le commerçant prête-nom. Par cette pratique, les marchands du Nigeria ont acquis une certaine maîtrise de la chaîne d’approvisionnent par conséquent ne passent plus forcément par les Nigériens pour assurer leur approvisionnement.

Le troisième groupe dit observer, depuis deux à trois ans, un changement d’itinéraire. Selon ces marchands une partie de plus en plus importante de la friperie passeraient par le port de Lomé, Torodi, Dosso puis Maradi. Pour cette catégorie, Maradi qui, auparavant, était seulement un lieu de passage est en train de devenir un centre important de stockage de la friperie avant la réexportation.

La quatrième catégorie de marchands imputent la mévente des produits à la menacent de Boko Haram. En effet, selon ces derniers, en multipliant les attaques dans les Etats du Nord comme Kano, Jos, Kaduna où se trouvent les grossistes grands importateurs de la friperie, les Djihadistes de Boko Haram ont réussi alimenter une psychose d’attentat fortement préjudiciable aux activités commerciales. Cette situation de terreur, nourrie par des attentats terroristes, aurait incité les marchands du Sud du Nigeria et de l’Ouest qui venaient s’approvisionner initialement au nord à ne plus venir. Ils auraient, avec l’aval des autorités nigérianes, mis en place des nouveaux corridors passant par le port de Lagos.

La réaction des marchands de friperie de Gaya semble être la forte diversification. Cette reconversion est rendue possible par le fait qu’ils détiennent pour la plupart un numéro d’immatriculation fiscal libellé import-export, ce qui les autorise à ne pas se limiter à la pratique exclusive de l’import-export d’un seul produit ; ils peuvent, s’ils le souhaitent, importer divers produits. Cette reconversion est observable au niveau des magasins où, de plus

153

en plus, à côté des magasins de friperie, on recense des entrepôts réservés au stockage d’une gamme variée de produits : du sucre, du riz, des pâtes et des cigarettes. L’essentiel alors est de pouvoir s’adapter en valorisant toujours les réseaux constitués. Le passage d’une filière à une autre, par le rapprochement de nos deux zones d’investigation, peut constituer aussi une forme de mobilité. L’opportunité d’une filière comme la friperie peut trouver là des sources de renouvellement.