• Aucun résultat trouvé

ET MOTIVATIONS DES MARCHANDS FRONTALIERS Ce chapitre décrit les trajets suivis par les commerçants de notre enquête. Depuis les régions

5.2. Le commerce de la friperie

5.2.2. Evolution chiffrée

Le commerce de la friperie connaît un développement régulier du début des années 1990 à aujourd’hui dans la zone frontalière Gaya-Malanville. Une société de transit, dénommée la Nitra avait jusqu’à une date relativement récente, le monopole de l’entreposage de la friperie à Gaya. De ce fait, les marchands de friperie où les propriétaires des entrepôts privés, étaient contraints de passer par elle pour être autorisés à entreposer des marchandises dans leurs propres magasins. Ils sont, en outre, par la suite, tenus de faire appel à un agent de la Nitra pour toute opération d’entrée ou de sortie des produits fripiers, cela en plus du contrôle de la douane. On constate, sur la base des données recueillies au niveau de l’agence de la Nitra de Gaya, qu’après une légère augmentation des importations, qui sont passés de 35 562, 983 tonnes en 2011, à 36 681, 365 tonnes en 2012, elles ont légèrement baissé en 2013 soit 35 122,714 tonnes.

Les données recueillies au niveau de l’INS22 qui proviennent de la Direction de la statistique de la Douane Nigérienne donnent l’évolution suivante pour l’ensemble du Niger.

134

Figure 17: Evolution des importations de friperie à l’échelle du Niger

Source : INS

On constate alors que les données fournies par la Direction des statistiques de la Douane relayées par l’INS ne concordent pas avec celles recueillies au niveau de la Nitra. Nous avons alors jugé utile de trouver une autre source de données, plus complète et surtout plus fiable car provenant du CNUT, qui les recueille directement auprès des transporteurs. Les statistiques fournies par la Direction Nationale des Statistiques du CNUT donnent l’évolution des importations de friperie qui passent par le port de Cotonou et transitent par le poste de Douane de Gaya. C’est à partir de là que ces données sont recueillies par les services du CNUT. Ces données montrent que les importations ont connu une augmentation régulière de 2002 à 2013. Ainsi après une légère chute en 2003, les tonnages importés sont passés de 3.167.000 Kg à 50.232.000 Kg en 2013.

La courbe ci-dessous montre que d’une manière générale, il y a eu un accroissement régulier des importations de friperie transitant par le poste de douane de Gaya et, pour l’essentiel, entreposée dans cette ville. On note cependant une légère baisse des tonnages importés en 2006. Les enquêtes révèlent que l’essentiel de la fripe en provenance de Cotonou est destinée au marché du Nigeria. 0 1000 2000 3000 4000 5000 6000 7000 8000 9000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 Années Q ua nt it é ( ton ne s ) 0 2000 4000 6000 8000 10000 12000 v a le ur( m il li on s C FA )

135

Figure 18 : Evolution des importations de friperie au poste de douane de Gaya de 2002 à 2013

Source : CNUT/DOT

Ces données remettent en cause l’opinion initiale qui se base sur une première lecture de la situation et selon laquelle il y a une baisse des activités de friperie. A en croire la plupart des marchands impliqués dans cette activité, ce secteur connaît une certaine baisse liée à une situation de mévente et non de la baisse du niveau des importations.

Le tableau ci-dessus et la courbe qui la visualise montre au contraire une hausse importante et surtout régulière des commandes de fripe. Cette situation incite à faire un constat : ce sont plutôt les ventes de friperie des marchands de Gaya qui connaissent une baisse. Comment expliquer alors qu’au moment où la plupart des marchands de fripe se plaignent de la baisse des ventes que les données sur les importations de friperie à partir du port de Cotonou se caractérisent paradoxalement par une forte augmentation ?

Nous avons cherché la réponse à cette interrogation en analysant de façon plus approfondie les entretiens avec des personnes averties comme les transitaires en charge des transactions des marchands auprès des autorités douanières. Il ressort que, de plus en plus, les commerçants du Nigeria commandent directement la friperie avec souvent des papiers de ‘’prête-noms nigériens’’ qui sont en règles vis à vis de la législation nigérienne. Une fois la marchandise écoulée, une partie des bénéfices est reversée aux commerçants propriétaires desdits documents en guise de rétribution. Cela reste une explication plausible de la situation décrite précédemment. En effet, la montée vertigineuse des commandes de fripe à partir de 2010 correspondrait au début des commandes par prête-noms des commerçants fripiers nigérians.

0 10000 20000 30000 40000 50000 60000 Q ua nti Année Quantité (tonnes) moyenne

136

Selon les agents de transit, partenaires et observateurs privilégiés, cette situation constitue une véritable menace pour le commerce de friperie à Gaya, car une fois le circuit maîtrisé par les commerçants nigérians, ils n’auraient plus besoin de passer par les marchands nigériens. Et à terme c’est le territoire nigérien qu’ils pourraient ne plus traverser. A cette situation s’ajoute le désir des autorités béninoises de tirer plus de ressources du commerce de réexportation. A cette fin, ces derniers ont créé toutes les conditions permettant de réexporter une part plus importante de la friperie directement au Nigeria, sans passer par le Niger, de façon à exclure progressivement le Niger de ce commerce lucratif. Le centre de cette activité ne se trouvait-il pas initialement à Malanville au Bénin ? A ce propos, ces autorités semblent dire : pourquoi laisser au Niger, pays enclavé, la réexportation vers le Nigeria, d’une partie importante de la friperie alors que nous pouvons le faire et tirer davantage de bénéfices ?

Pour comprendre l’importance de la ville de Gaya dans le commerce de friperie, nous avons recensé et représenté les importations en provenance de trois autres pays. Les quantités de friperie sont exprimées en tonnes. Une partie importante de la friperie qui alimente le marché intérieur du Niger provient des autres canaux de ravitaillement.

Tableau 4 : Les importations de friperies au niveau des autres postes frontaliers.

Années 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 Togo 3309 3955 5379 5697 2365 1777 5299 2230 2215 16872 19462 3167 Ghana 55 41 6 53 190 1136 7119 Nigeria 122 18 87 20 34 28 20 6 1054 Total 3486 4016 5466 5717 2405 1805 5319 2289 2412 17062 20598 6255 Source : CNUT/DOT

La présence du Nigeria parmi les pays qui alimentent le Niger en friperie peut paraitre paradoxale. Cependant, l’importation de faibles quantités de friperie par des demi-grossistes a été plusieurs fois signalée par plusieurs sources lors des enquêtes. En effet, les enquêtes ont révélé qu’une partie de la friperie envoyée au Nigeria, aussi minime soit-elle, revient au Niger. Ainsi, il peut s’agir d’une transaction normale au cours de laquelle, une faible quantité des énormes quantités de friperie déversées au Nigeria est réintroduite au Niger en toute légalité, mais cela peut aussi être une opération de reversement de quantités plus importantes de la friperie en transit au Niger.

137

La courbe ci-dessous montre l’importance des importations en provenance de Cotonou par rapport aux importations cumulées de tous les autres pays à partir desquels les marchands de friperie du Niger s’approvisionnent. Ces autres lieux de provenance sont plus exactement les pays disposant de littoraux qui permettent l’acheminent de la fripe des pays occidentaux et asiatiques vers le Niger.

En général la friperie en provenance du port de Cotonou, stockée à Gaya est destinée au marché du Nigeria, tandis que celle en provenance des autres pays ci-dessous représentée par la courbe rouge est destinée au marché nigérien.

Figure 19 : Evolution comparative de quantités de fripe en provenance de Cotonou et les importations cumulées en provenance des autres pays de 2002 à 2013

Source : auteur

La menace la plus sérieuse est liée au fait que ce commerce repose sur un déterminant conjoncturel (Abdoul et al. 2007). En effet, le Nigeria peut décider du jour au lendemain de lever les mesures restrictives qui empêchent ses commerçants d’importer directement la friperie jusqu’alors (Galtier, Tassou 1996). Pour les commerçants nigériens, cela sera comme une fermeture des frontières nigérianes. Voilà ce qu’en dit un des marchands majeurs dans cette enquête en la personne d’El Hadj Baba Songnoy23 : « La fermeture de la frontière du Nigeria aurait de bien plus graves conséquences. Je peux vous dire que ça serait une situation de misère extrême. Et si jamais cette situation perdurait, je suis convaincu que tous les commerçants quitteront ces villes frontalières. Ne perdons pas de vue la raison pour laquelle les commerçants se sont installés dans la zone frontalière, c’est la proximité du Nigeria ».

23 Entretien MA_1_ du 23.4.2012 à Malanville

0 10000 20000 30000 40000 50000 60000 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013

Quantité en tonnes en provenance du Bénin (Cotonou )

Quantité (tonnes) en provenance d'autres pays

138

Selon El Hadj Maibouraboura le nombre des entrepôts dépasse aujourd’hui largement la soixantaine et pourtant, précise-il : « A nos débuts à Gaya, en 1991 il n’y avait aucun magasin. Nous étions obligés de stocker le produit dans les magasins sous douane 24 ». Selon le responsable en charge des magasins de la Nitra, le nombre d’entrepôts uniquement destinés au stockage de la friperie a atteint aujourd’hui la quarantaine.

La ville de Gaya a vu surgir de terre des entrepôts de plus en plus grands, construits d’abord dans le quartier appelé Plateau, puis de plus en plus vers la zone acajou (Walther 2006 :119) et la zone cotonnière 2 comme le montre la carte ci-dessous. Ces entrepôts, de plus en plus gigantesques permettent aujourd’hui de faire entrer plusieurs camions en même temps afin de les vider ou de les charger en toute discrétion comme le montre la photo ci-dessous.

Photo 8: Entrepôt de stockage de tonnage important de friperie à l’entrée de Gaya

Le prix de location de ces entrepôts varie en fonction de leur volume. Ainsi, au cours de l’exercice budgétaire 2012-2013, il oscille entre 100.000 et 300.000 FCFA. Pour la DGI, il y existe trois modes d’occupation des entrepôts à Gaya : la location, le mode d’occupation professionnel, la vacance. En ce qui concerne la première et la deuxième forme une taxe immobilière équivalant à 10 % de la valeur locative annuelle est prélevée. Pour les magasins en vacance, c’est seulement 5 % de cette valeur locative qui est prélevée. Cette taxe

139

immobilière est équitablement partagée entre l’Etat à travers la DGI et la commune de Gaya soit 50 % chacune. Cette somme constitue une entrée substantielle de fonds pour la Mairie de Gaya vu le nombre important d’entrepôts.

Photo 9: Ballots de friperie dans un entrepôt à Gaya

Photo 10: Entrepôt de friperie au quartier plateau de Gaya

Cependant, on observe que les entrepôts sont construits dans les zones habitées, un peu en désordre par les promoteurs de ses entrepôts, qui sont très souvent les grands commerçants. Ces derniers décident de construire où ils veulent et selon leurs normes. La municipalité de Gaya ne semble pas avoir une quelconque autorité en ce qui concerne cette question comment

140

il ressort d’ailleurs d’un entretien avec le Maire25

de cette ville. Il fustige et déplore le fait que l’immensité de certains des entrepôts permet de faire entrer n’importe quel camions sans que la municipalité puisse avoir un droit de regard le contenu.

De quel pouvoir dispose la municipalité de Gaya ou de Malanville, de Birni N’Konni face aux milliardaires cibles de cette étude ? Comme le note secrétaire général de la municipalité de Malanville26 « ces marchands préfèrent satisfaire les intérêts privés et individuels de quelques acteurs politico-administratifs au détriment de l’intérêt général. Ils établissent entre eux un code de sécurité difficile à pénétrer ». Plus loin il précise « comme ils sont dans l’informel, on ne peut ni prouver ni justifier leurs actions. Ils investissent dans l’informel ! Ils interviennent dans l’informel, et les services qu’ils demandent sont dans l’informel ; c’est là où c’est délicat. Tout se fait dans le ni vu ni entendu ».

Ainsi, les autorités en charge de la gestion de ces municipalités mentionnées ci-haut demandent juste un peu plus de visibilité en ce qui concernent les affaires traitées au niveau de leur entité administrative, de façon à tirer davantage de ressources au profit du développement de leur ville respective.

25 EntretienGA_PO_01_du_28_02_2012 à Gaya

26

141

142