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Une application de la réexportation : le commerce des produits d’épicerie

ET MOTIVATIONS DES MARCHANDS FRONTALIERS Ce chapitre décrit les trajets suivis par les commerçants de notre enquête. Depuis les régions

5.3. Une application de la réexportation : le commerce des produits d’épicerie

Dans les paragraphes qui suivent, il s’agit de montrer à travers l’étude d’une autre activité, notamment le commerce de produits d’épicerie, comment des marchands s’organisent et organisent leurs activités autour de la réexportation de produits de grande consommation vers le Nigeria ? A l’opposé de la zone frontalière du Dendi, les commerçants impliqués dans cette activité à Birni N’Konni-Illela sont pour la plupart héritiers. Ils ne sont pas non plus venus d’autres régions pour profiter de l’effet de frontière. Si une partie importante des marchands frontaliers du Dendi ont construit leur fortune grâce au commerce de friperie, ceux de la zone frontalière Birni N’Konni-Illela ont bâti leur richesse en réexportant des produits de grande consommation au Nigeria.

Le commerce des produits d’épicerie est appelé communément vente de produits divers. Il s’agit d’un commerce tout à fait légal sur le territoire Nigérien, mais dont les produits sont, dans ce cas aussi, assez souvent illégalement introduits au Nigeria. Il s’agit de volumes très importants de produits de grande consommation comme le riz, le sucre, les huiles de cuisine, les pâtes, le thé en provenance de Chine. Toute l’économie de la ville de Birni N’Konni est tournée vers la réexportation de ces produits vers le Nigeria. Plusieurs marchands sont devenus très riches grâce à cette activité. Parmi ces commerçants, on peut citer El Hadj Yaromaidoukia. Il écoule, auprès des commerçants du Nigeria, des tonnages importants de riz, d’huile et de sucre principalement pour deux grands grossistes et pour lui-même. Il eut l’ingénieuse idée de payer en cash les produits de première nécessité destinés à l’exportation pour les revendre en petits lots au Nigeria en y introduisant une marge bénéficiaire. Ce faisant, il a réussi en huit années seulement, à faire fructifier son capital et à devenir un des principaux grossistes exportateur de riz, d’huile, de sucre et de thé d’Illela. Il doit cette position au fait qu’il soit à la fois le représentant de El Hadj Maikoudi et d’un autre grand commerçant grossiste de Tahoua, premier importateur de thé du Niger. C’est sans doute pour cette raison

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que dans le cadre de l’établissement de la base de données sur les marchands, El Hadj Yaromaidoukia s’est retrouvé plutôt parmi les marchands d’Illela Local Government même s’il est ressortissant de Birni N’Konni où il vit et d’où il exporte des produits vers le Nigeria.

Photo 11: Entreposage du riz dans un magasin sous douane de Konni

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Les deux photos ci-dessus renseignent sur les bases de l’enrichissement rapide de Yaromaidoukia. Les produits avaient été importés par El Hadj Maikoudi ; ils ont emprunté le corridor Béninois via Gaya pour finir par être stockés dans un des magasins sous douane de la ville de Birni N’Konni. Là, ils sont placés sous la responsabilité d’El Hadj Yaromaidoukia qui est l’interlocuteur des marchands nigérians. Il peut, en fonction de sa situation financière, soit les acheter en cash pour ensuite les revendre à son prix ou se contenter de les reverser sur le marché nigérian en s’octroyant une marge bénéficiaire. Ainsi, sur chaque sac vendu, il peut gagner entre 200 et 500 FCFA. Pour chaque entrepôt déstocké, il se retrouverait avec une somme d’argent oscillant entre 3 à 5 millions de francs CFA. Vu le flux important de marchandises qui passe du Niger au Nigeria ajouté au fait que El Hadj Yaromaidoukia est aussi l’homme de confiance d’un autre grand commerçant grossiste de la région en l’occurrence El Hadj Zobo, il se retrouve avec un bénéfice annuel fort confortable. La vraie richesse de Yaromaidoukia repose davantage sur la confiance dont il jouit de la part de deux grands grossistes du Niger concernant les produits de grande consommation. A l’interface des grossistes nigériens et des commerçants du Nigeria, il est à la charnière des deux marchés. Le camion chargé de la photo10 rentrera au Nigeria en passant par la voie de Dan-Issa au lieu de celle d’Illela.

Le second est El Hadj Dandubai28 un commerçant Zarma nigérien né en 1974 à Nasamné Souley Koira (Dosso). Polygame et père de sept enfants, El Hadj Dandubai fréquenta l’école jusqu’au secondaire. Il quitta en 1989 pour tenter sa chance dans le commerce de détail à Niamey où il resta jusqu’en 1992. Puis il quitta cette ville pour s’installer à Birni N’Konni où il exerce ses activités commerciales jusqu’à la date de l’enquête. A partir de 1992, il est installé dans une boutique du marché où il exerce des activités commerciales basées essentiellement sur la vente de produits d’épicerie. De 2007 à 2012, il est installé dans sa nouvelle et très imposante boutique en bordure de la route principale menant à la Douane. L’architecture moderne, la position stratégique de cette boutique reflètent les ambitions de ce jeune commerçant régulièrement en déplacement en Chine, à Dubaï où à Niamey. Au cours de cette période, il aurait largement bénéficié de prêts auprès d’Ecobanque. Ces fonds lui auraient permis de faire de grosses commandes en Chine et à Dubaï, ce qui a fortement accru ses capacités financières et lui a permis de se hisser parmi les plus grands commerçants de Birni N’Konni. Au fur et à mesure que ses activités économiques prospéraient, El Hadj Dandubai

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diversifiait son offre. Actuellement il vend des produits alimentaires comme les céréales, le riz, les pâtes alimentaires, l’huile, des produits manufacturés, des vêtements. A côté de ces produits on trouve des motos, des meubles importés de Dubaï. Comme on peut le constater, il a opté pour la diversification mais aussi la flexibilité afin d’importer en fonction des besoins du moment. L’essentiel de ses activités commerciales se font à Birni N’Konni même si une partie de sa famille demeure à Niamey. Sa stratégie repose largement sur l’emprunt de gros montants à la Banque. Il incarne la nouvelle génération de marchand qui n’a pas peur de s’endetter et qui, parti de rien, construit une fortune même s’il faut traîner avant de rembourser les banques.

Comme à partir de Gaya, la réexportation depuis Birni N’Konni doit suivre des voies illégales. Deux façons d’introduire les marchandises au Nigeria sont identifiées : d’une part le contournement ou l’évitement, d’autre part l’arrangement avec les agents chargés du contrôle douanier du côté du Nigeria. Le contournement dans le cas des marchands de cette étude consiste à utiliser des voies informelles pour introduire le produit illégalement dans le territoire nigérian avec, bien entendu, des complicités monnayées tout au long des routes empruntées. Ainsi, selon les informations recueillies auprès des marchands fripiers, les transporteurs profitent souvent des coupures d’électricité, très courantes au Nigeria, pour faire passer plusieurs dizaines de véhicules au niveau du poste frontalier de Magama. Les données d’enquête permettent d’avancer que le contournement est davantage une pratique courante au niveau du poste frontalier de Dan Issa où les produits passent en toute légalité pour rentrer à Magama, côté nigérian, par contournement. En ce qui concerne l’arrangement, c’est la pratique la plus observée entre la frontière de Birni Konni et Illela. Il consiste à introduire les marchandises en petits lots, dans des véhicules Peugeot 4x4 bâchés moyennant paiement de frais aux niveaux des différents postes de contrôle. Au bout de cinq à dix voyages l’équivalent de camions de quarante tonnes est introduit dans marché du Nigeria. Les deux photos ci-dessous montrent les moyens de transport utilisés pour introduire l’huile de cuisine au Nigeria.

Les Peugeot 404 sont les véhicules les plus utilisés pour assurer le transport des bidons d’huile de cuisines à Illela d’où, ils sont acheminés à Sokoto. Ainsi chaque véhicule peut contenir jusqu’à cent bidons d’huile de 25 Kg soit 2,5 Tonnes. Parfois, le châssis et la suspension sont renforcés pour pouvoir transporter un tel tonnage.

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Photo 13 : Transport d’huile entre Birni N’Konni et Illela

Photo14 : Transport des bidons d’huile en convoi pour Illela

Friperie ou épicerie, puis matériaux de construction, céréales : les filières commerciales ne sont pas réduites à une seule possibilité. Les spécialisations sont affaire de contexte et malgré les réseaux établis, la prospérité commerciale tient avant tout à la faculté double d’adaptation :

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une adaptation « géographique » qui consiste à rejoindre les lieux qui portent ; une adaptation sectorielle que l’on voit plutôt à l’œuvre chez les héritiers capables de faire fructifier les investissements locaux dans une plus grande diversité d’activités ou de rentes. L’immobilier et les infrastructures sont de celles-là, qui mériteraient une autre enquête. Car rien n’est sûr ou jamais définitivement établi. Au moment même de l’enquête, le besoin de penser à d’autres possibilités de faire fructifier le capital accumulé se présente déjà. La future génération devra s’y attacher en héritant non seulement du capital financier mais aussi du réseau des relations soit sous la forme de la communauté d’affaires, soit sous la forme de la diaspora. C’est là, en vérité, la meilleure réponse qui puisse être apportée aux hypothèses de départ de ce travail. Avons-nous bien affaire à ces communautés d’affaires que la littérature nous propose, à ces diasporas en cours de construction ? Ou bien, au paroxysme des hypothèses de l’espace mobile, ne s’agit-il que de la mise en œuvre des propriétés de l’espace mondial mobile, le sauve qui peut généraliser de stratégies opportunistes individuelles instrumentalisant des dispositions qui semblent (provisoirement) collectives ?

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