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Les marchés frontaliers constituent des plates-formes de transit importantes pour les flux d’importation des pays enclavés, ainsi que pour le commerce de réexportation qui permet généralement d’éviter des frais de douane trop importants. Parmi les produits les plus concernés par la réexportation figurent ce que l’on appelle « épicerie » qui couvrent des produits de première nécessité, du thé aux batteries, ainsi que la friperie qui est particulièrement développée dans les zones de notre étude.

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Le commerce de la friperie a fait l’objet d’étude en Afrique de l’est, notamment en Zambie (Hansen 2000), et au Mozambique (Brooks 2013). Brooks a traité des conditions de collecte en amont de la fripe, notamment dans les pays fournisseurs, et du processus de son conditionnement par les organismes caritatifs. Il a relevé le flou entretenu, à dessein, quant à l’issue finale réservée à la friperie exportée dans les pays du Sud. Ainsi il constate que pour la plupart des donateurs, contrairement à ce qui s’observe, les vêtements de seconde main sont destinés à être distribué gratuitement aux populations les plus démunies dans les pays pauvres.

L’impact du développement du commerce de friperie sur la baisse de la production des industries textiles a été traité par des auteurs comme Brooks et Simon (2012). Ces derniers ont tenté de mettre en lumière le lien qui existe entre la libéralisation économique intervenue dans les années 1980, et la baisse de la production industrielle du textile en Afrique en se basant sur le cas du Malawi et du Mozambique. Ces auteurs ont relevé que 50% des exportations de friperie d’Oxfam vont vers l’Afrique de l’ouest, 25% vers l’Europe de l’est et 25% vers le Moyen-Orient (Brooks 2013). Les deux auteurs ont aussi relevé que le Nigeria et l’Afrique du Sud, pourtant deux pays qui ont officiellement fermé leur territoire aux importations de friperie, sont respectivement la onzième et la quinzième destination de vêtements d’occasion en provenance des pays de l’OCDE entre 1981 et 2000. Brooks relève encore que les vêtements de seconde main représentent officiellement 0,6% du commerce international de l’habillement, pour autant les exportations des pays de l’OCDE étaient évaluées à 1,9 milliards de dollars US en 2009, elles étaient à 1,4 milliards de dollars en 1995 dont un quart pour l’Afrique au sud du Sahara. La nature très rentable du commerce de friperie a suscité l’intérêt d’une grande diversité de marchands.

En Afrique de l’ouest, trois pays ont été concernés par des études similaires sur la friperie, il s’agit du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Cap Vert (Bredeloup et Lombard 2008). Ces auteurs ont renseigné les conditions dans lesquelles se déroule cette activité dans ces différents pays, la baisse constatée en ce qui concerne le Sénégal étant liée à la concurrence des produits vestimentaires bon marché chinois. Ils se sont également appesantis sur le sort réservé aux vêtements d’occasion en provenance des pays du Nord et des considérations d’ordre sociologiques qui entourent le recours à l’achat de la friperie appelée localement « dead white men ». Ces appellations connotent des considérations souvent péjoratives qui

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entourent l’achat et le port de ces habits. Ils se sont interrogés sur l’avenir de la friperie notamment les menaces qui pèsent sur ce commerce, parmi lesquelles les produits vestimentaires en provenance de la Chine. Cette concurrence chinoise a également été soulignée par des auteurs comme Hildegunn (2004) et Prag (2013). Ce dernier a traité des effets directs en terme de désorganisation et de déstructuration que peut avoir la production chinoise sur un secteur d’activité proche comme le commerce de pagne qui était jusqu’à l’arrivée des productions chinoises un commerce florissant, chasse gardée des marchandes béninoises et togolaises communément appelée Mama Benz, cela sans passer par la phase intermédiaire du commerce de la friperie.

La libéralisation du secteur des importations opérée par ces pays au profit de stratégies rentières et reposant sur les profits tirés de la gestion des opportunités conjoncturelles liées à la frontière (Bach 1994), constitue, selon cet auteur, un obstacle à l’émergence d’une véritable industrie nationale. D’autres auteurs ont mis l’accent sur les limites de telles politiques économiques reposant sur la réexportation de marchandises prohibées à travers un circuit de contournement, et l’existence des échanges des produits issus de la production domestique en croissance (Soulé 2011). En outre, la libéralisation opérée progressivement par le Nigeria engagé dans un processus d’harmonisation des législations douanières avec les pays de l’UEMOA accroît et met à nu la fragilité de cette activité de réexportation (Soulé 2000). Ce ne serait donc qu’un épisode conjoncturel mis à profit pour l’accumulation de profits.

Aujourd’hui, une part importante des produits fripiers qui alimentent le marché du Nigeria passe par le Bénin et le Niger. En effet, le Bénin à l’instar de la Gambie et du Togo, s’est constitué en pays entrepôt spécialisé dans la réexportation de la friperie et d’autres produits prohibés vers le Nigeria qui a adopté des politiques économiques plus protectionnistes (Igué et Soulé 1992, Nugent et Asiwaju 1996, Galtier, Tassou 1996). Le débat sur l’impact du commerce basé sur la réexportation avait été posé par un certain nombre d’auteurs parmi lesquels Tassou et Galtier (1998). Il reste d’actualité aujourd’hui, et concerne le commerce de friperie en premier lieu. Dans les villes frontalières cibles de cette étude, principalement à Gaya, le commerce de friperie est devenu, au fil des années, une activité économique majeure comme l’ont souligné plusieurs études (Galtier et Tassou 1996, Boluvi 2004, Géoconseil 2008, Walther 2010, 2013, Soulé 2011). Jusqu’à quand et vers quelles perspectives ?

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Les auteurs alternent entre deux positions sur le commerce de friperie comme cela ressort des propos du directeur de Choice Textile, cité par Brooks. Les premiers, « positifs » mettent en avant ses effets bénéfiques sur plusieurs plans notamment dans les pays destinataires : la création d’emplois directs et indirects : les commis comptables et vendeurs, les manœuvres temporaires, les gardiens des magasins et autres chauffeurs, les intermédiaires, les demi -grossistes et détaillants. En outre, pour les Etats spécialisés dans la réexportation, les recettes générées pour les caisses des Etats à l’image du Bénin et du Niger dont les taxes douanières et fiscales s’élèvent à plusieurs dizaines de milliards par an. Pour les Etats exportateurs, la vente de la friperie permet d’autofinancer la gestion des déchets (Brooks 2013) dont une bonne partie des ressources financières générées permettent de mettre en place des unités de conditionnement ou de transformation des vêtements usés en productions de chiffons, de torchons et autres serpillières pour des usages domestiques. Enfin, de l’autre côté, la possibilité est donnée aux petites bourses de s’habiller bon marché (Hansen 1995, 2005). A l’inverse les auteurs « négatifs » insistent sur ses effets déstructurant, notamment sur la production du textile et l’industrie de l’habillement en Afrique, considérant en gros que la friperie ‘’tue ‘’l’industrie locale du textile. En ce qui concerne le Nigeria, nous n’avons pas trouvé d’étude qui montre l’effet du développement de la vente de friperie sur les problèmes qui ont amené la société nigériane du Textile à fortement baisser sa production jusqu'à la fermeture de toutes les grandes unités de production. Ainsi, Hansen 2000 montre dans Salauta que l’entreprise de vêtement d’occasion est très populaire au point qu’il menace l’industrie textile des pays africains.