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Frictions entre discours dominants et discours

subversifs

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Avant-propos

La lecture est considérée comme un acte fondateur dans l’élaboration du sens en littérature. C’est la raison pour laquelle la plus grande attention doit être consacrée à cette étape. La sociocritique considère que c’est par la lecture que s’accomplit une œuvre littéraire, il est alors évident qu’un texte qui n’est pas encore lu ne peut advenir à l’existence. Mais de quelle lecture parle-t-on ? Comment doit-on entreprendre la lecture sociocritique d’une œuvre littéraire ? Pour répondre à cette question, il faut d’abord faire la distinction entre deux types de lectures : d’abord, une lecture simple, celle du « consommateur » de littérature. Ce genre de lecture « passive » n’étant pas motivée par une obligation de résultats, tel que la mise en exergue d’une problématique particulière par exemple, ne s’intéresse (consciemment ou inconsciemment) qu’à la façade du texte littéraire.

Contrairement au premier, le second type de lecture, plus méthodique, est motivé par la formulation préalable d’hypothèses et dont les interprétations doivent servir une problématique. Cette deuxième lecture peut s’apparenter à une approche plus objective et scientifique du texte littéraire. Le problème de l’objectivité dans l’approche des textes littéraires a longtemps été posé en sociocritique sachant que toute interprétation du critique est nécessairement plus ou moins fonction de ses positions subjectives. Ceci étant admis, nous nous apprêtons dans ce chapitre à passer à la partie la plus importante de notre thèse, c’est-à-dire l’analyse proprement dite des œuvres de notre corpus. Pour ce faire, nous avons procédé à une lecture méthodique et orientée de notre corpus, une lecture en adéquation avec notre problématique.

Il s’agit, en effet, d’interpréter et de soupeser le sens de chaque mot, chaque expression et chaque unité porteuse de sens qui nous semblera pertinente afin de mesurer leur portée. Ainsi, dans cette partie, les « va et viens » entre le texte et le contexte social auquel renvoie celui-ci seront nombreux car notre objectif est avant tout de replacer les œuvres de notre corpus dans leur contexte socio-historique de production. Ceci afin de déterminer quels étaient les discours prédominants dans les sociétés concernées et de quelle manière ceux-ci ont été repris dans les romans de notre

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corpus. Cela permet également de démontrer quels contextes socio-historiques particuliers ont donné naissance aux œuvres littéraires de Tahar Djaout et Atiq Rahimi.

En effet, l’approche sociocritique qui se caractérise par des allers-retours entre le texte et le hors-texte, permet de montrer que la façon dont la littérature donne à voir la société est signifiante comme le souligne Duchet en précisant que « c’est dans la spécificité esthétique même, la dimension valeur des textes, que la sociocritique s’efforce de lire cette présence des œuvres au monde qu’elle appelle la socialité. »312

Nous envisagerons ici le texte littéraire comme un ensemble de signifiés et de signifiants, notre approche du texte se rapproche de celle du signe linguistique. En effet, le signe est une pièce à deux faces : D’un côté nous avons la face du signifiant qui se présente sous des ensembles de lettres dont les combinaisons forment des mots, des phrases et des paragraphes, et de l’autre, nous avons le signifié qui est la partie conceptuelle de chacun des ensembles. Un signe ne prend tout son poids que lorsque les deux faces du mot, le signifié et le signifiant, sont réunies. Ainsi, comme le signe linguistique, le texte littéraire ne revêt toute son importance que lorsqu’il est rattaché à son contexte de production. Considérer le texte comme une unité isolée, une Monade, c’est se passer d’une partie importante du sens de l’œuvre en le coupant du contexte dans lequel celui-ci a vu le jour et des circonstances qui lui ont donné naissance en quelque sorte. En effet, toute œuvre littéraire est par définition intertextuelle, c’est-à-dire qu’elle la résultante de plusieurs textes/discours. En tant que telle, comme nous l’avons rappelé plus haut, le texte littéraire « absorbe » des discours qui l’entourent et, en les insérant dans la trame du récit, il les met en scène. Ce qui fait que le texte ne peut être considéré comme une unité sans rapport avec le contexte dans lequel il a été produit et, encore moins avec les discours environnants.

Toute production littéraire s’inscrivant nécessairement dans un contexte sociohistorique, ce dernier nous permet de comprendre les motivations qui ont été à l’origine de l’œuvre et, par-là, d’apporter un plus au sens du texte. Évidemment, il ne s’agira pas de procéder à une comparaison entre l’univers du texte et la réalité afin de déceler les concordances historiques. Notre démarche vise avant tout le texte et ses

312 Duchet, C. (1979). Introductions. Positions et perspectives, dans C. Duchet, B. Merigot et A. Van Teslaar (dir.), Sociocritique. Paris : Nathan, pp. 3-8, p.4.

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structures. Le contexte de production de l’œuvre nous permettra d’apporter un plus à notre approche afin d’essayer de montrer les motivations des deux écrivains. La lecture doit donc être une médiation entre le texte et le hors-texte, dans la mesure où nous essayerons d’analyser la façon dont l’œuvre s’inscrit dans son contexte de production.

Nous avons déjà souligné que selon Zima, le texte littéraire est la traduction linguistique de faits sociaux. Si le rapport entre le texte littéraire et la société a toujours été au centre des problématiques en sciences littéraires, il a aussi été à l’origine de plusieurs théories. Nous avons vu dans la première partie de notre thèse la théorie du « reflet » de Macherey ou encore celle de Goldmann concernant la « vision du monde ». Dans ce sens, Barberis considère que la lecture permet de nous approprier le monde, de mieux le comprendre. Sans cette fonction essentielle du texte littéraire, comme il ne manque pas de le souligner, « que serait la science des textes si elle ne nous remettait pas en possession du monde, à travers le lire et la parole humaine ? Lire pour voir clair, lire pour apprendre et s'apprendre »313.

C’est dans ce sens que la lecture ne saurait être une simple opération de déchiffrage du signe linguistique, à fortiori, celle que nous opérerons ici n’est évidemment pas non plus la lecture de surface qu’un amateur de littérature ferait, une telle lecture ne permettant qu’une interprétation intuitive, donc éloignée de nos aspirations dans le cadre de la présente recherche. Notre objectif est précisément d’étudier les discours présents dans les textes et de les mettre en dialogue avec les discours vis-à-vis, c’est-à-dire ceux qui ont historiquement cohabité avec les romans soumis à l’étude. Il s’agit donc de faire ce « va-et-vient » entre les structures internes du texte et celles de l’univers social qui a entouré la production de ce dernier. La mise en contexte est une opération relativement délicate dans la mesure où elle ne doit pas constituer une sortie de trajectoire par rapport au cadre de la recherche. Notre intention est de mettre en évidence le lien entre l’œuvre et le contexte de production afin de démontrer que celle-ci s’inscrit dans un cadre sociohistorique particulier, car c’est ce qui pourrait permettre de comprendre les motivations qui ont abouti à la création de l’œuvre.

313 Barberis, P. (1999). Sociocritique, dans Introduction aux méthodes critiques pour l’analyse littéraire. Paris : Dunod, p.123.

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Il est par ailleurs intéressant de se demander de quelle façon la sociocritique fait le lien entre les structures du texte et la dimension social de ce dernier. C’est justement sur ce point que s’opposent les théoriciens de la littérature. Nous avons vu dans la première partie de notre thèse les différences qui peuvent exister entre l’approche marxiste du texte littéraire et les thèses formalistes. Duchet offre une piste qui nous permet d’envisager la socialité du texte comme faisant partie des structures de ce dernier, il écrit à ce propos que la socialité du texte est présente « à travers tous les ensembles et réseaux signifiants du roman »314. Ainsi, aucun élément signifiant du texte ne doit être mis de côté. C’est pourquoi, nous nous intéresserons aussi bien aux personnages en tant qu’actants du récit, qu’au récit proprement dit, ainsi qu’à la façon dont les différents discours sont mis en scène. En effet, le texte ne doit pas être considéré comme une structure isolée, mais comme une traduction linguistique du social tel que le décrirait Zima.

Cette lecture, qui permet de se projeter de l’intérieur du texte vers le hors-texte permet à l’œuvre de s’inscrire dans un contexte global de production, un environnement dans lequel l’œuvre littéraire puise la majorité des discours qu’elle donne à lire. Cette approche met en exergue la façon dont le texte s’ouvre à des éléments extratextuels, ce qui pourraient permettre d’apporter un plus à notre problématique dans la mesure où l’œuvre littéraire peut être considérée comme une activité d’écriture et de lecture à la fois, un processus qu’on appelle « Intertextualité ».

Notre lecture s’articulera autour de quelques questions qui interrogeront l’œuvre en profondeur. Après avoir interrogé le cadre spatio-temporel dans lequel se déroulent les récits de notre corpus, nous tâcherons de repérer les différentes catégories sociales présentes dans chaque texte. Pour ce faire, nous analyserons les différents sociolectes afin de démontrer que ceux-ci font directement référence à la réalité sociale du contexte de production, c’est-à-dire celle du présent de l’écriture. Mais auparavant, nous introduirons chaque lecture par une analyse des éléments para-textuels propres à chaque roman. Dans cette optique, le titre peut être considéré comme porteur de sens et nous renseigner sur l’œuvre elle-même. Même si nous ne nous attarderons pas sur ces éléments, il serait tout de même intéressant de voir la relation qu’entretiennent les titres

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des romans de notre corpus avec les problématiques abordées. Dans l’étude du cadre spatio-temporel, nous avons relevé tout élément du texte susceptible de nous permettre de situer les faits dans le temps et l’espace, ceci afin de faire le lien entre l’univers du texte et la réalité du contexte de production.

Cette partie de notre analyse consistera ainsi à interpréter et à commenter le parcours narratif de l’œuvre tout en relevant les différents discours présents. Les différents sociolectes présents dans chaque œuvre seront répertoriés et comparés afin de démontrer qu’ils sont systématiquement opposés. Notre objectif est d’expliquer les raisons des relations conflictuelles entre les différents personnages des romans et de montrer qu’elles sont porteuses de sens puisqu’elles sont représentatives des conflits présents dans la réalité sociale de chaque contexte de production. En effet, nous partons de l’hypothèse que l’opposition systématique d’un discours à un autre est la mise en scène littéraire par l’écrivain des différentes idéologies présentes dans la société. Cette mise en scène vise à faire apparaitre les lacunes et les contradictions de ces idéologies.

Chacune des conclusions partielles des différents chapitres concernant l’analyse de l’œuvre et son interprétation constituera un apport à la conclusion finale et servira à répertorier les oppositions sémantiques majeures qui caractérisent chaque sociolecte. Les résultats de l’analyse et les commentaires qui les accompagnent seront mis en rapport avec les hypothèses de départ et les questionnements de la problématique, ceci afin de procéder chaque fois à une mise à jour de l’avancée de la recherche et d’avoir un aperçu sur les nouveaux éléments ayant rapport avec nos hypothèses.

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Chapitre I

Prédication et totalitarisme