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Frege & les langues naturelles

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 29-42)

Frege & les langues naturelles 

« Le théorème de Pythagore exprime la même pensée pour tous  les  hommes  même  si  chacun  a  ses  propres  images,  sentiments  et décisions (…) Les pensées ne sont pas des entités mentales et  la pensée n’est pas une génération interne de telles entités mais  la  saisie  de  telles  pensées  qui  sont  déjà  présentes  objectivement. » 

Frege Lettre à Husserl oct.‐nov. 190618   

Frege était un platonicien. En tant que tel, il considérait qu’il existait, extérieur et  indépendant  de  nous  des  pensées  ayant  une  réalité  objective.  Les  lois  de  la  logique sont les lois de la pensée en tant qu’elles gouvernent cet ordre de réalité. 

Le  raisonnement  humain  devrait  certes  nous  permettre  de  saisir  ces  pensées  objectives  mais  il  en  est  empêché  par  notre  subjectivité  et  surtout  par  la  structure de nos langues naturelles qui ne correspond pas du tout à celle de la  pensée.  Frege  considérait  donc  que  les  langues  naturelles  étaient  une  source  d’obscurité  dans  exploration  de  la  Pensée  et  proposait  le  moyen  d’y  remédier. 

Nous  verrons  par  la  suite  que  point  n’est  besoin  de  partager  le  platonisme  de  Frege pour considérer qu’il nous faut nous défaire de la structure de nos langues  naturelles  si  nous  voulons  mettre  à  jour  la  structure  logique  des  pensées  qui  essaient de s’exprimer par leur biais.   

Le projet frégéen 

« Toutefois,  le  langage  se  révèle  défectueux  lorsqu'il  s'agit  de  prévenir  les  fautes  de  pensée.  Il  ne  satisfait  pas  à  la  condition  ici  primordiale,  celle  d'univocité.  [...]  Parmi  de  nombreux  exemples,  on  citera  un  cas  typique fort commun: c'est le même mot qui sert à désigner un concept  et  un  objet  particulier  tombant  sous  ce  concept;  de  manière  générale,  aucune  différence  n'est  marquée  entre  le  concept  et  l'objet  particulier. 

[...]. La langue n'est pas régie par des lois logiques telles que l'observance  de la grammaire puisse suffire à garantir la rigueur formelle du cours de  la pensée. » 

Frege [1882] 

 

A l'origine, les préoccupations de Frege étaient strictement mathématiques. Ses  travaux  s'inscrivaient  dans  le  mouvement  qui,  à  la  suite  de  la  découverte  des  géométries  non  euclidiennes,  cherchait  à  trouver  un  fondement  solide  aux        

18   cf. Beaner (1997 :301‐307) 

mathématiques. Le programme de recherche que se proposait de réaliser Frege  consistait  à  prouver  que  l'on  pouvait  dériver  toutes  les  mathématiques  de  la  logique via l'arithmétique dont il pensait que les concepts étaient identifiables à  des concepts logiques. C'est ce qu'il explique dans la préface de son Idéographie19  quand il écrit: « ma démarche était de chercher d’abord à réduire le concept de  succession  dans  une  suite  à  la  conséquence logique,  puis  à  progresser  vers  le  concept de nombre. ». Le but de Frege était donc d'abord de fonder les concepts  et  les  méthodes  de  l'arithmétique  sur  la  logique  puis  de  montrer  que  tout  l'édifice mathématique pouvait être rebâti à partir de cette arithmétique dont on  aura préalablement établi qu'elle est formellement impeccable. Pour cela, Frege  se  proposait  de  procéder  en  trois  étapes.  Dans  un  premier  temps,  il  fallait  dégager  un  certain  nombre  de  propositions,  dont,  une  fois  qu'on  en  aurait  expliqué  clairement  le  sens,  tout  le  monde  reconnaitrait  la  validité.  Ces  propositions  serviraient  d'axiomes  au  système.  Ensuite,  il  fallait  énoncer  clairement  des  règles  d'inférence  telles  que  leur  application  correcte  à  des  vérités  de  logique  mène  nécessairement  à  la  dérivation  d'autres  vérités  indiscutables.  Enfin,  Frege  se  proposait  de  déduire  tout  l'édifice  de  l'arithmétique à partir des seules propositions logiques préalablement exposées. 

En  essayant  de  réaliser  ce  projet,  Frege  se  heurte  à  un  problème  inattendu: 

l'inadéquation du langage naturel comme outil de précision dans l'exploration et  la refondation des concepts arithmétiques. Le but de Frege était de faire en sorte  que rien d'intuitif n'entrât dans ses dérivations et que tout passage d'un maillon  à l'autre de la chaine de déductions fût clairement justifié. A un certain point de  cette reconstruction, il apparaitra à Frege que la réalisation de son projet restera  hors  de  portée  tant  qu'il  fera  usage  du  langage  naturel.  Voici  comment  Frege  résume  sa  prise  de  conscience  de  la  nécessité  d'un  outil  plus  efficace  que  nos  langues naturelles:  

« Pour que, ce faisant, quelque chose d’intuitif ne puisse pas s’introduire  de façon inaperçue, tout devait dépendre de l’absence de lacunes dans la  chaîne  de  déductions.  Tandis  que  je  visais  à  satisfaire  cette  exigence  le  plus  rigoureusement,  je  trouvai  un  obstacle  dans  l’inadéquation  de  la  langue ;  malgré  toutes  les  lourdeurs  provenant  de  l’expression, plus  les  relations  devinrent  complexes,  moins  elle  laissa  atteindre  l’exactitude  que mon but exigeait. De ce besoin résulta l’idée de l’idéographie dont il  est question ici. Elle doit d’abord servir à examiner de la manière la plus  sûre la force concluante d’une chaîne de déductions et à dénoncer chaque  hypothèse qui veut s’insinuer de façon inaperçue » 

Frege (1999 :)   

L'on voit donc que la création même de l'idéographie, du langage formulaire était  motivée  par  les  limitations  que  Frege  voyait  dans  les  langues  naturelles,  limitations  qui  en  faisaient  des  outils  peu  fiables  pour  le  raisonnement.  Mais  quels reproches Frege faisait‐il aux langues naturelles? 

 

Le piège de la subjectivité 

Pour comprendre ce reproche, considérons les trois phrases suivantes: 

      

19  Frege  [1879], L’Idéographie,  Traduction  française  de  C.  Besson,  Librairie  philosophique  Vrin, Paris 1999. Nous citerons ce texte désormais comme Frege (1999 :pp)  

(a). Ce cheval est très chanceux  (b). Ce pur sang est très chanceux  (c). Cette rossinante est très chanceuse.  

 

 Si  nous  nous  plaçons  par  exemple  dans  une  situation  où  nous  nous  trouvons  dans  un  champ  de  courses  et  où  contre  toute  attente,  un  cheval  remporte  la  course parce que les chevaux qui le précédaient ont tous chutés, n'importe quel  locuteur de la langue française verra clairement qu'il y a une différence dans ce  qui  est  communiqué  par  ces  trois  phrases.  La  première  proposition  est  plutôt  neutre et se limite à constater que le cheval qui est sorti victorieux de la course  est  chanceux.  La  deuxième  phrase  nous  donne  en  plus  l'information  que  ce  cheval est un pur sang. On peut par exemple imaginer, en entendant cette phrase  que  la  personne  qui  la  profère  considère  que  le  fait  d'être  chanceux  est  une  qualité de plus pour ce cheval qui non content d'avoir un excellent pédigrée est  de  plus  chanceux.  Aucun  locuteur  compétent  en  revanche  ne  pensera  que  la  personne  qui  énonce  la  proposition  (c)  tient  le  cheval  en  question  en  haute  estime.  Il  est  évident  que  quiconque  profère  (c)  a  une  piètre  estime  du  cheval  auquel il est fait référence. Par ailleurs supposons qu'un spécialiste des chevaux  entende  ces  trois  énoncés  proférés  par  trois  individus  différents  à  propos  du  même  cheval.  Ce  spécialiste  pourrait  savoir  que  le  cheval  auquel  il  est  fait  référence  n'est  pas  un  pur  sang  et  que  ce  cheval  est  un  bon  cheval  de  course  contrairement à ce que laisse penser le terme péjoratif rossinante. Si par ailleurs  le  spécialiste  estime  que  le  cheval  auquel  il  est  fait  référence  est  effectivement  chanceux, il jugera que les trois phrases sont également vraies. Du point de vue  de Frege, ceci montre que les langues naturelles nous incitent à tenir pour très  différentes des propositions dont une bonne analyse nous aurait montré qu'elles  expriment  essentiellement  la  même  chose.  Il  y  a  certes  une  différence  de  ton  entre  ces  trois  phrases,  mais  cette  différence  paraît  superficielle  à  Frege.  Dans  son texte posthume titré Logique [1897], Frege prend l'exemple des deux mots  cabot  et chien  et  argumente  de  la  manière  suivante.  Supposons  que  quelqu'un  profère la phrase: « Ce cabot a hurlé durant toute la nuit ». Supposons par ailleurs  que le chien auquel il fait référence a effectivement hurlé toute la nuit. Dans ce  cas, il est totalement dénué de pertinence de lui dire que ce qu'il a dit est faux  parce que le mot cabot réfère à un chien d'ascendance indéterminée alors que le  chien dont il parle est un Malamute d'Alaska au pedigree parfaitement contrôlé. 

Le  problème  pour  Frege  réside  dans  le  fait  que  l'usage  des  langues  naturelles  nous  emmène  à  faire  des  distinctions  et  à  penser  que  ces  distinctions  affectent  les conditions de vérité alors qu'elles sont sans pertinence pour l'évaluation de  ces conditions. Ce problème émerge autant à l'oral qu'à l'écrit précise Frege qui  souligne: « Et nous trouvons la même chose dans le cas de la parole elle‐même,  comme quand on donne un ton spécial à la voix ou qu'on choisit certains mots. Si  quelqu'un  annonce  la  nouvelle  d'un  décès  d'un  ton  triste  sans  réellement  être  triste, la pensée exprimée demeure vraie même si le ton triste est adopté dans le  but de créer une fausse impression. »(Frege 1897/1997 :241)  

 

L'on  pourrait  objecter  que  cette  critique  n'a  rien  à  voir  avec  la  grammaire  des  langues naturelles et que ce qui est en cause, c'est plutôt la nature de la pensée. 

Frege voit la source de cette erreur dans la mauvaise compréhension du rapport 

entre  le  sens  et  la  référence20 et  dans  la  méconnaissance  de  ce  que  nous  manipulons dans le cours de nos raisonnements. Au début de son article, Sens & 

dénotation,  Frege  prend  soin  de  distinguer  d'abord  sens,  référence  et  représentation. Contrairement aux deux autres, la représentation est subjective. 

Si  par  exemple  nous  prenons  un  item  qui  désigne  une  voiture,  quand  nous  voyons ou entendons cet item, nous y associons ce que Frege nomme un tableau  intérieur et qui n'est rien d'autre que notre représentation mentale personnelle  de  la  voiture.  Cette  représentation  est  subjective  parce  qu'elle  est  toujours  le  fruit  de  notre  propre  histoire  et  de  nos  expériences  préalables.  « Si  un  signe  dénote un objet perceptible au moyen des sens, ma représentation est un tableau  intérieur, formé du souvenir, des impressions et sensibles et des actions externes  ou internes auxquelles je me suis livré »21 affirme Frege. Cette représentation est  d'autant plus subjective que nos sentiments les infectent. Ainsi, il y a fort à parier  qu'un pilote automobile et un écologiste n'associeront absolument pas la même  représentation  au  mot  voiture.  De  ce  fait,  une  proposition  aussi  neutre  que: 

« Cette  voiture  est  rapide. »  suscitera  différentes  représentations  chez  l'un  et  l'autre  et  sera  probablement  évaluée  différemment.  C'est  précisément  là  que  Frege voit un problème. Du fait de la diversité des représentations qui peuvent  être associées par des individus différents à un même item, ces représentations  peuvent  difficilement  servir  dans  la  recherche  de  la  vérité.  Par  ailleurs,  étant  donné  que  les  représentations  sont  quasi  obligatoirement  générés  par  tout  locuteur qui entend les mots de sa langue, et qu'il a tendance à les laisser infecter  ses  raisonnements,  on  voit  qu'il  est  quasiment  impossible  de  raisonner  en  utilisant  les  langues  naturelles  parce  que  ces  dernières  ne  remplissent  pas  l'exigence  posée  dans Les Fondements de l’arithmétique,  exigence  selon  laquelle 

« Il  faut  nettement  séparer  le  psychologique  du  logique,  le  subjectif  de  l’objectif »22 .  Le  psychologique  et  le  subjectif  ne  sauraient  être  pris  en  compte  dans  le  cours  du  raisonnement  scientifique  parce  qu'ils  incitent  des  individus  différents  à  attribuer  des  valeurs  de  vérités  différentes  à  des  propositions  identiques. De ce fait, ils ont leur place en art et en poésie mais pas en science. 

L'aspect subjectif aurait eu sa place dans un système scientifique si les lois de la  pensée  dont  on  parle  parfois  en  logique  étaient  des  lois  psychologiques.  Frege  montre cependant que la logique est avant tout une science de la vérité et donc  du devoir être plutôt qu'une exploration du procès effectif de la pensée humaine. 

Dès le tout début de la première de ses Recherches logiques23 Frege insiste sur le  fait que la logique est, de toutes les sciences, celle qui a le rapport le plus étroit et  le plus spécifique « aux lois de l'être vrai » et qu'elle s'intéresse exclusivement à  l'exploration des conditions de vérité. De son point de vue, étant donné qu'il est  possible que des éléments non logiques interviennent dans le fonctionnement de  notre esprit, la bonne méthode consiste à commencer d'abord par chercher les  lois de l'être vrai qui sont en quelque sorte des lois de la pensée idéale puis de  voir si nos raisonnements effectifs s'y conforment plutôt que de faire le postulat  que  nos  raisonnements  sont  logiques  et  dégager  des  mécanismes  que  l'on        

20  Dans ce qui suit nous utiliserons indifféremment référence ou dénotation pour parler de  ce que Frege nomme Bedeutung  

21  Sens & dénotation, op. cit. p. 105 

22  Frege, G., [1884/1969] Les Fondements de l'arithmétique [FA] traduction et introduction  de Claude Imbert Seuil L'ordre philosophique, p. 122. 

23  Frege, G., [1918‐19] Recherches logiques in ELP pp. 170‐234 

élèverait au rang de lois de la pensée. Si les conditions de vérité jouent un rôle si  primordial dans la science de la logique, il convient de garder à l'esprit que tous  les  aspects  du  langage  qui  ne  créent  pas  de  différence  quant  à  la  vérité  ou  à  la  fausseté  d'une  proposition  ne  devraient  pas  être  pris  en  compte  dans  nos  raisonnements.  « Que  j'emploie  le  mot  « cheval »,  « coursier »,  « monture »  ou 

« rosse », aucune différence n'en résulte pour la pensée. La force affirmative ne  porte  pas  sur  la  valeur  différentielle  de  ces  mots.  Ce  que  l'on  peut  appeler  la  tonalité,  le  parfum,  l'éclairage  [...]  rien  de  cela  n'appartient  à  la  pensée. »24,  précise  Frege.  Tonalité,  parfum  ou  éclairage  différents  d'une  même  expression  produisent  certes  en  nous  des  représentations  différentes  mais  en  ce  qui  concerne la pensée telle que la définit Frege, ils sont inertes. 

Sens & Dénotation 

Comme  on  le  voit,  si  Frege  parle  des  représentations  mentales,  c'est  pour  en  montrer  l'inutilité  dans  une  entreprise  scientifique  sérieuse  et  passer  à  la  distinction  à  ses  yeux,  réellement  importante:  celle  qu'il  fait  entre  le  sens  et  la  dénotation.  Dans  les  paragraphes  suivants  nous  nous  proposons  d'exposer  en  quoi  consiste  la  distinction  frégéenne  entre  sens  et  dénotation.  En  partant  de  cette  distinction,  nous  verrons  comment  et  pourquoi  Frege  a  été  amené  à  s'éloigner de plus en plus de la formalisation canonique des langues naturelles et  à mener une critique radicale de la grammaire des langues naturelles.  

 

Si nous voulons comprendre la distinction entre sens et dénotation, il n'est pas  inutile de se souvenir que les préoccupations de Frege étaient d'abord celles d'un  mathématicien  et  de  se  poser  une  des  questions  qui  l'intriguait  et  qui  est  la  suivante:  « comment  une  équation  pourrait‐elle  jamais  être  source  de  connaissance? » Par définition les termes qui sont à gauche et à droite du signe  d'égalité  sont  égaux.  Pourquoi  dériver  ces  égalités  n'est‐il  pas  trivial?  Si  j'écris: 

« Delta  =  Delta »,  quiconque  lit  cette  équation  considère  que  c'est  totalement  dénué d'intérêt. En quoi le fait de remplacer le second Delta par b²‐4ac change‐t‐

il la donne si vraiment « Delta = b²‐4ac »? Pour résoudre cette énigme, Frege se  sert de sa distinction entre sens et dénotation d'un nom. Lors de nos interactions  avec le monde, nous sommes confrontés à des objets qui peuvent être des entités  matérielles  ou  abstraites.  Nous  nommons  ces  objets  en  leur  associant  une  description  grâce  à  laquelle  n'importe  quel  locuteur  de  la  langue  peut  les  reconnaître.  Ainsi  pour  Frege,  l'expression l'individu à la chevelure bleue est  un  nom tout autant que le mot Jean. L'on voit là une première différence entre cette  conception  et  les  langues  naturelles  dans  la  mesure  où  ces  dernières  font  généralement  une  nette  distinction  entre  noms  propres,  noms  communs  et  descriptions  définies.  Frege,  à  l'inverse,  non  seulement  accepte  comme  nom  propre tout ce qui permet de sélectionner sans ambiguïté un objet mais en plus,  il  considère  que  les  grammairiens  appellent  noms  communs  appartient  à  une  toute  autre  catégorie  que  celle  des  noms;  en  l'occurrence  à  la  catégorie  des  termes conceptuels.  C'est  ce  qui  est  précisé  dans  l'extrait  suivant  de  son  article  Précisions  sur  Sens  et  Signification  :  « Le  mot  « nom  commun »  incite  à  la  supposition  erronée  que  le  nom  commun  se  rapporte,  pour  l'essentiel,  de  la  même  façon  que  le  nom  propre  à  des  objets,  la  différence  étant  que  celui‐ci  ne        

24  Recherches Logiques – La Pensée, in ELP p. 177 

nomme  qu'un  seul  objet,  alors  que  celui‐là  est,  de  façon  générale,  applicable  à  plusieurs  objets.  Mais  c'est  faux;  et  c'est  pourquoi  je  préfère  dire, au  lieu  de 

« nom  commun »,  « terme  conceptuel ». »25 Nous  reviendrons  dans  la  suite  de  notre  propos  à  la  nature  des  termes  conceptuels  mais  pour  le  moment  concentrons‐nous sur les noms et sur la fixation de leur sens et référence.      

 

Dans Sens  &  Dénotation,  la  définition  du  nom  propre  qui  est  donnée  est  assez  lâche voire quelque peu circulaire puisqu'elle est la suivante: « par « signes » et 

« noms », j'entends toute manière de désigner qui joue le rôle d'un nom propre: 

ce dont la dénotation est un objet déterminé (ce mot étant pris dans l'acceptation  la plus large) mais ne saurait être un concept ni une relation [...] La désignation  d'un objet singulier peut consister en plusieurs noms ou autres signes. A fin de  brièveté, on appellera nom propre toute désignation de ce type. » [S&D pp. 103‐

4]. L'important ici est simplement de faire comprendre que par nom, on entend  toute  désignation  qui  réussit  à  saisir  de  manière  univoque  un  objet  du  monde. 

Pour  préciser  ce  point,  considérons  la  situation  suivante.  Supposons  que  trois  personnes  observent  un  groupe  de  5  chevaux  dont  un  seul  combine  les  particularités d'être un pur sang arabe, d'avoir une robe brune et de se nommer  Rossinante. Nous stipulerons de plus qu'il y a dans ce troupeau un autre pur sang  arabe  mais  dont  la  robe  est  blanche  et  que  Rossinante  est  le  seul  cheval  du  troupeau à être attaché. Dans ce contexte, les trois expressions: Le pur sang à la  robe brune, Le cheval attaché et Rossinante sont des noms qui tous permettent de  sélectionner le même cheval.  

 

Si  dans  ce  contexte,  un  des  spectateurs  pose  la  question:  « Lequel  est  Rossinante? », il pourra indifféremment lui être répondu par l'un des deux autres  noms  équivalents:  « Le  pur  sang  à  la  robe  brune »  ou  « Le  cheval  attaché ». 

Penchons‐nous  un  instant  sur  la  réponse:  « Le  pur  sang  à  la  robe  brune  est  Rossinante ». On peut se demander comment il se fait que cette expression soit  informative si les deux noms pur sang à la robe brune et Rossinante désignent le  même  objet?  Après  tout,  « Rossinante  est  Rossinante »  n'aurait  été  d'aucune  utilité!  Ceci  permet  de  comprendre  la  distinction  frégéenne  entre  le  sens  et  la  référence et d'en voir l'utilité. Il existe dans le troupeau un et un seul cheval que  ces  deux  noms  permettent  de  désigner.  Cet  objet  est  la  dénotation  (ou  la  référence)  de  ces  trois  noms.  Il  y  a  cependant  une  différence  entre  se  référer  à  Rossinante  en  tant  que Le  cheval  attaché ou  en  tant  que Le  pur  sang  à  la  robe  brune. En effet, si par exemple nous répondons à la question d'un spécialiste des  races  équines  dans  un  contexte  où  Rossinante,  le  second  pur  sang  de  notre  exemple  et  un  American  Backshir  Curly  sont  attachés,  la  réponse:  « Rossinante  est  le  pur  sang  à  la  robe  brune » serait  informative  alors  que  ni  la  réponse 

« Rossinante  est  le  pur  sang  arabe »,  ni  la  réponse  « Rossinante  est  le  cheval 

« Rossinante  est  le  pur  sang  arabe »,  ni  la  réponse  « Rossinante  est  le  cheval 

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