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VI. PARTIE 1 - ÉTAT DE L’ART DE L’ISOTOPIE DU FER

VI.1.2 Fractionnements cinétiques

Les fractionnements cinétiques des isotopes du fer peuvent se produire lors de processus de diffusion, de dissolution et de précipitation lente des oxydes et enfin lors de processus biologiques.

VI.1.2.1!Diffusion

La diffusion est le processus par lequel certains éléments chimiques/isotopes vont se déplacer dans un même minéral par rapport à un gradient de température, de pression ou de composition chimique. La migration d’un élément dépend de sa compatibilité avec le minéral, de sa masse et de son état d’oxydation.

En contexte de magmatisme de dorsale, la diffusion des éléments chimiques dans les phénocristaux d’olivine des basaltes est utilisée pour déterminer les vitesses de refroidissement des laves. En effet, le gradient de température généré lors du refroidissement de l’olivine (chaud au cœur du cristal et plus froid sur les bordures) créé des zonations dans les cristaux, le cœur ayant une composition chimique différente des bordures. Cette méthode implique de bien différencier les zonations issues de la diffusion et celles issues de la croissance progressive des minéraux lorsque le magma évolue, ce qui n’est pas évident si l’on considère uniquement la composition élémentaire.

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Les isotopes légers ayant tendance à se déplacer plus vite, plusieurs études ont démontré que les isotopes stables du fer pouvaient être utilisés comme traceurs des processus de diffusion. Le cœur des olivines a ainsi tendance à être appauvri en 56Fe par rapport aux bordures (Oeser et al., 2015; Sio and Dauphas, 2016; Sio et al., 2013; Teng et al., 2011). La différence de composition isotopique en fer cœur-bordure peut atteindre 51‰ (Figure VI-1-3A). En affinant les études, le δ56Fe permettrait ainsi de corriger les compositions dues à la diffusion et de reconstituer l’évolution thermique et chimique des magmas (Figure VI-1-3B) (Sio and Dauphas, 2016).

Figure VI-1-3 : Diffusion des isotopes du fer dans un cristal d’olivine, d’après Sio and Dauphas, 2016. A) Profil isotopique du grain d’olivine, mesuré (cercles) vs. modélisé (lignes noires). Le meilleur profil modélisé est représenté en vert, les profils modélisés acceptables sont en jaune. B) Chemins temps-Température de refroidissement possibles de l’échantillon.

193 VI.1.2.2!Fractionnements isotopiques fluide-minéraux (dissolution)

Les fractionnements des isotopes du fer lors de leur mise en solution n’ont pour le moment pas été étudiés expérimentalement dans le contexte de dissolution des minéraux des péridotites. En revanche, les mesures effectuées sur les fluides hydrothermaux montrent que ceux-ci sont riches en isotopes légers (!56Fe = –1,26 à –0,14‰; Bennett et al., 2009; Rouxel et al., 2008; Severmann et al., 2004; Sharma et al., 2001). Ceci implique soit une dissolution/mobilisation préférentielle des isotopes légers (54Fe) des minéraux, soit une dissolution/mobilisation sans sélection préférentielle des isotopes mais impliquant un fractionnement des isotopes lourds du fluide par précipitation ultérireure de minéraux. Les expériences de dissolution effectuées sur des silicates, hornblende (Brantley et al., 2004), chlorite et biotite (Kiczka et al., 2010), produisent des fractionnements cinétiques négatifs, les solutions ayant toujours de valeurs de δ56Fe plus basses que le solide à parti duquel elles sont obtenues (∆56Fesolution-solide = –0,07 jusqu’à –1,4‰). De façon similaire, le δ56Fe d’un lixiviat de pyrite est quasi systématiquement plus bas que celui de la pyrite dont il est issu (Wolfe et al., 2016). Chapman et al. (2009) observent également un enrichissement des fluides en isotopes légers lors de la dissolution acide de granite et de basalte (∆56Fesolution-solide = –1,80‰ maximum).

VI.1.2.3!Précipitation

Comme évoqué précédemment, des fractionnements cinétiques peuvent survenir durant la précipitation des oxydes de fer/sulfures, que celle-ci ait lieu lentement ou rapidement (Skulan et al., 2002). Ces fractionnements sont très difficiles à identifier dans des échantillons naturels, car les paramètres qui contrôlent la formation des oxydes de fer ne sont pas tous bien contraints et/ou connus. Pour y remédier, ils sont étudiés majoritairement de façon expérimentale, puis comparés aux valeurs des fractionnements à l’équilibre. La simulation des fractionnement cinétiques dus à la précipitation peut se faire par exemple en sursaturant les solutions en fer, ce qui déclenche une précipitation rapide des oxydes, ou bien en laissant durer les expériences sur le long terme, les fractionnements cinétiques ayant tendance à diminuer avec le temps (Johnson et al., 2002; Skulan et al., 2002; Welch et al., 2003).

Les études menées jusqu’ici montrent que les fractionnements cinétiques des isotopes du fer liés à la précipitation de Fe(OH)3 et d’hématite sont respectivement de l’ordre de –1,3‰

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(Johnson et al., 2002) à –1,5‰ (Skulan et al., 2002), les précipités s’enrichissant en isotopes légers par rapport au fluide.

Du côté des sulfures, la précipitation entraîne des fractionnements cinétiques sulfure-Fe(II) présentant des valeurs de –0,60‰ pour la pyrite (Bennett et al., 2009), –0,85‰ (pyrite et mackinawite de 2 à 40°C) (Butler et al., 2005), et de –1,17 (25°C) à –0,98 (2°C) pour la mackinawite (Guilbaud et al., 2010).

Les effets cinétiques tendent à diminuer lorsque le pH augmente, cependant les échanges isotopiques sont limités pour des pH supérieurs à 7,5. Il est donc difficile d’extrapoler les fractionnements isotopiques à l’équilibre en conditions expérimentales basiques (Reddy et al., 2015).

VI.1.2.4!Fractionnements isotopiques biologiques

L’absence de lumière est un frein au développement de la vie photosynthétique sur les grands fonds océaniques. Cependant, de vastes communautés biologiques ont été découvertes en même temps que les fumeurs hydrothermaux (Desbruyeres and Laubier, 1983; Jannasch and Mottl, 1985; Lilley et al., 1983; Straube et al., 1990). Ces écosystèmes hydrothermaux s’organisent autour des microorganismes chimiotrophes, c’est-à-dire qui utilisent les éléments chimiques (par exemple H2, CH4, H2S) comme donneurs ou accepteurs d’électrons pour produire l’énergie nécessaire aux réactions chimiques (Jannasch and Mottl, 1985; Martin et al., 2008). Durant ces processus, le fer peut être à la fois oxydé ou réduit suivant les bactéries impliquées. Les fractionnements bactériens du fer sont résumés dans la Figure VI-1-4.

Les bactéries oxydant le fer utilisent soit directement le Fe2+ dissous dans l’eau de mer, soit le Fe(II) des sulfures. Leur activité mène à la formation de Fe(III) aqueux et de précipités ferriques variés tels que la magnétite, la goethite, l’hématite, la ferrihydrite, la lépidocrocite, des oxydes de fer hydratés peu cristallisés (HFO) (Banfield et al., 2000; Chaudhuri et al., 2001; Croal et al., 2004; Johnson et al., 2004; Kappler and Newman, 2004; Kennedy et al., 2003). A pH neutre en milieu aérobie, les bactéries qui utilisent l’O2 comme donneur d’électrons pour oxyder le fer (e.g. Edwards et al., 2003; Emerson and Moyer, 1997) sont en concurrence directe avec l’oxydation abiotique du Fe2+. Elles sont par conséquent surtout efficaces en conditions acides dans lesquelles le Fe2+ est plus stable. En conditions anaérobies ou anoxiques, les bactéries utilisent la réduction des nitrates pour oxyder le fer (e.g. Benz et al., 1998; Straub and Buchholz-Cleven, 1998). Les fractionnements isotopiques durant

195 l’oxydation biologique du fer sont du même ordre de grandeur que les fractionnements isotopiques obtenus par oxydation abiotique. Balci et al. (2006) et Croal et al. (2004) ont observé respectivement des fractionnements HFO-Fe(II) à +1,5‰ et Fe(III)-Fe(II) à +2,9‰, tandis que Kappler et al. (2010) ont obtenu un ∆56FeFe3(OH)-Fe(III) de +3‰ à l’aide de bactéries réductrices de nitrates. Les auteurs indiquent que les plus faibles valeurs de fractionnements isotopiques obtenues sont dues à des effets cinétiques. Les bactéries magnétotactiques peuvent former de la magnétite directement dans leur milieu intracellulaire (Blakemore, 1975). Cette magnétite est alors enrichie en isotopes légers (δ56Fe autour de 51,13‰) et est reportée comme le premier cas naturellement observé de fractionnement non-dépendant de la masse pour les isotopes du fer (Amor, 2015; Amor et al., 2016).

La réduction bactérienne du Fe(III), aussi appelée réduction dissimilatrice du fer (dissimilatory iron reduction, DIR), a lieu soit au niveau du Fe3+ dissous dans l’eau de mer, soit au niveau du Fe(III) contenu dans les différents oxydes et hydroxydes de fer. Les études menées jusqu’à présent montrent que le Fe(II) issu de la DIR est plus riche en isotopes légers, et que les fractionnements Fe(II)–Fe(III) sont de l’ordre de 51,3 à 52,95‰ (Beard et al., 1999, 2003; Crosby et al., 2005, 2007; Icopini et al., 2004; Johnson et al., 2005; Percak-Dennett et al., 2011; Tangalos et al., 2010; Wu et al., 2009) (Figure VI-1-4).

Figure VI-1-4: Fractionnements cinétiques des isotopes du fer lors de l’oxydo-réduction par les microorganismes (Yoshiya et al., 2015).

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!Les variations isotopiques du Fe des roches mafiques et ultra

mafiques

La composition isotopique du manteau terrestre ne pouvant pas être mesurée directement, différentes roches ont été utilisées comme traceurs afin d’établir une valeur moyenne. Il s’agit des basaltes et des péridotites, c’est-à-dire les liquides et les résidus issus de la fusion partielle mantellique actuelle ; des komatiites issus du magmatisme Archéen ; et des serpentinites.