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VI. PARTIE 1 - ÉTAT DE L’ART DE L’ISOTOPIE DU FER

VI.1.1 A l’équilibre

VI.1.1.1!Fractionnements isotopiques à haute température

Les fractionnements isotopiques du fer à haute température, entre un liquide magmatique et une phase silicatée lors des processus de fusion partielle ou cristallisation fractionnée ou lors de processus magmatiques secondaires de type métasomatitiques, vont affecter la composition isotopique en fer du protolithe et donc par conséquent avoir des répercussions sur la composition isotopique en fer des serpentinites.

Le premier processus de haute température pouvant affecter la composition des péridotites est la fusion partielle. Grâce aux compositions isotopiques en fer des basaltes terrestres (!56Fe ~ +0,1‰, voir suite du chapitre pour le détail des compositions) (Dauphas et al., 2009a; Craddock and Dauphas, 2011; Foden et al., 2013; Nebel et al., 2015; Poitrasson et al., 2004; Teng et al., 2013; Weyer et al., 2005; Schoenberg and Von Blanckenburg, 2006; Weyer and Ionov, 2007), des xénolithes mantelliques contenus dans des laves et des péridotites des ophiolites (!56Fe ~ 0 ‰, voir suite du chapitre pour le détail des compositions)

(Craddock and Dauphas, 2011; Huang et al., 2011; Poitrasson et al., 2004; Schoenberg and Von Blanckenburg, 2006; Su et al., 2015; Weyer et al., 2005; Williams et al., 2005), il est estimé que la fusion partielle produit un liquide enrichi en 56Fe et un résidu appauvri en 56Fe avec un ∆56Feliquide-résidu de +0,1 à +0,3‰ (Craddock et al., 2013; Weyer and Ionov, 2007; Williams et al., 2004, 2005). Ce fractionnement isotopique proviendrait de l’incompatibilité relative du Fe2+ par rapport au Fe3+, ce dernier se fractionnant préférentiellement dans les liquides de fusion (coefficient de partage liquide/solide ~ 5) (Dauphas al., 2009b). Ces résultats sont cependant sujets à débat. En effet, les xénolithes mantelliques utilisés lors de ces études ont potentiellement été métasomatisés par les magmas qui les ont rapportés en surface et ne

187 représentent donc pas les péridotites résiduelles fraîches (Poitrasson et al., 2013; Roskosz et al., 2015). De la même façon, la circulation de magmas ascendants dans les péridotites mantelliques au niveau des dorsales peut entraîner soit une rééquilibration des compositions isotopiques (enrichissant les péridotites et appauvrissant proportionnellement les basaltes)

(Weyer and Ionov, 2007), soit des fractionnements cinétiques conduisant à un appauvrissement des basaltes et des péridotites en isotopes lourds (Weyer and Ionov, 2007; Zhao et al., 2015). La seule étude portant sur des péridotites ophiolitiques indique que ces péridotites ont également vu passer des magmas d’arc très oxydés (Su et al., 2015). Par ailleurs, les taux de fusion partielle maximum au niveau des dorsales océaniques (10%) ne sont pas suffisants pour expliquer la grande variabilité des compositions isotopiques en fer des basaltes

(Craddock et al., 2013; Williams et al., 2005).

Les compositions isotopiques en fer des minéraux des péridotites (olivine, spinelle, ortho- et clinopyroxènes) peuvent également donner des informations sur le comportement des isotopes du fer durant la fusion partielle. Les études réalisées jusqu’à présent montrent que pour un même couple minéral-olivine, il existe à la fois des enrichissements et des appauvrissements en isotopes lourds durant la fusion partielle, sans qu’aucune tendance ne puisse être déterminée (∆minéral-olivine= –0,32 jusqu’à +0,36‰) (Beard and Johnson, 2004; Williams et al., 2005; Zhao et al., 2010, 2015; Zhu et al., 2002). Les travaux de Roskosz et al. (2015) montrent par ailleurs que l’intensité de ces fractionnements inter-minéraux dans les péridotites mantelliques est à la fois dépendante de la température de fusion et de l’état rédox des spinelles.

VI.1.1.2!Fractionnements isotopiques Fe(III)-Fe(II) (oxydation et réduction) et minéral-fluide (précipitation)

L’estimation du fractionnement isotopique à l’équilibre entre les deux états rédox du fer en solution, Fe2+ et Fe3+, est difficile à quantifier de façon expérimentale. En effet, pour pouvoir mesurer la composition isotopique de chacune de ces deux espèces du fer, il est nécessaire d’en faire précipiter une, le plus souvent Fe3+ (e.g. Skulan et al., 2002; Welch et al., 2003). La précipitation à l’équilibre du Fe(III) en oxydes (magnétite, hématite, ferrihydrite…), si elle s’effectue rapidement (de l’ordre de quelques secondes), n’entraîne pas de fractionnement isotopique du fait de la conservation de la configuration électronique du fer entre les deux phases (Johnson and Beard, 2006; Skulan et al., 2002). Ceci explique pourquoi les fractionnements isotopiques à l’équilibre lors de l’oxydation sont la plupart du temps exprimés

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sous la forme ∆56FeOxyde de fer-Fe(II) (et non ∆56Fe Fe(III)-Fe(II)). En revanche, il est fréquent lors de ces expériences que les fractionnements isotopiques se produisant soient cinétiques (Grundl and Delwiche, 1993; Johnson et al., 2002; Skulan et al., 2002) et non à l’équilibre, ce qui constitue toute la difficulté de la démarche expérimentale. Les premiers travaux expérimentaux de Bullen et al. (2001), dans lesquels tout le Fe3+ a précipité avec succès sous forme de ferrihydrite sans fractionnement cinétique, montrent un enrichissement en 56Fe des phases oxydées précipitées de +0,6 à +1,8‰. Beard et al. (2003) reportent également un fractionnement isotopique "56FeFe(III)aq-Fe(II)aq de +2,75‰ à 22°C. De façon générale, les études faites sur la précipitation des oxydes de fer concordent toutes vers un enrichissement en isotopes lourds (56Fe) des oxydes de fer. Les fractionnements isotopiques à l’équilibre "56FeFe(III) précipité-Fe(II)aq sont mesurés à +1,05‰ pour la goethite (22°C) (Beard et al., 2010; Frierdich et al., 2014; Reddy et al., 2015), +0,1‰ pour l’hématite (98°C) (Skulan et al., 2002), +3,2‰ pour la ferrihydrite (20°C) (Wu et al., 2011) et à +0,48‰ pour la sidérite (20°C) (Wiesli et al., 2004). Les fractionnements isotopiques lors de l’oxydation du Fe(II) sont résumés dans la Figure VI-1-1.

Welch et al. (2003) proposent que le fractionnement isotopique à l’équilibre Fe(III)-Fe(II) est fonction de la température selon l’équation :

189 Du côté de la théorie, les études NRIXS et les calculs ab initio estiment un fractionnement isotopique à l’équilibre, ∆56FeFe(III)-Fe(II), entre +3,1 et +4,1‰ à 0°C, et entre +2,5 et +3,4‰ à 50°C (Anbar et al., 2005; Domagal-Goldman and Kubicki, 2008; Fujii et al., 2014; Hill and Schauble, 2008; Ottonello and Zuccolini, 2009; Rustad and Dixon, 2009), ce qui semble concorder avec les résultats des expériences de Welch et al. (2003) (Figure VI-1-2). Les facteurs β lors du passage de Fe(II) à Fe(III), recalculés par Dauphas et al. (2017) à partir des données de Anbar et al. (2005), Blanchard et al. (2009), Dauphas et al. (2014), Polyakov et al. (2007), Rustad and Dixon (2009) et Schauble (2004) (Tableau VI-1-1), indiquent également que les fractionnements à l’équilibre lors de l’oxydation du fer devraient sélectionner préférentiellement les isotopes lourds.

Figure VI-1-1: Fractionnements isotopiques abiotiques des isotopes du fer lors des processus d’oxydo-réduction (Yoshiya et al., 2015).

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1000lnβ

Référence 22 °C 100 °C 500 °C

Olivine 6,10 3,90 0,93 Dauphas et al., 2014

Fe2+ 5,20 3,30 0,78 Rustad and Dixon, 2009

Fe2+ 6,30 4,00 0,95 Schauble et al, 2004

Fe2+ 6,90 4,40 1,04 Anbar et al, 2005

MOYENNE Fe2+ 6,13 3,90 0,92

Fe3+ 8,40 5,30 1,28 Rustad and Dixon, 2009

Fe3+ 11,80 7,60 1,83 Schauble et al, 2004

Fe3+ 9,60 6,10 1,47 Anbar et al, 2005

MOYENNE Fe3+ 9,93 6,33 1,53

Goethite 8,20 5,30 1,27 Blanchard et al, 2015

Goethite 7,40 4,70 1,13 Blanchard et al, 2015

MOYENNE Goethite 7,80 5,00 1,20

Hématite 7,60 4,80 1,16 Dauphas et al, 2012

Hématite 7,20 4,60 1,10 Blanchard et al, 2015

Hématite 7,40 4,70 1,12 Rustad & Dixon, 2009

MOYENNE Hématite 7,40 4,70 1,13

Magnétite 7,00 4,50 1,08 Polyakov et al., 2007

Magnétite 7,10 4,60 1,09 Dauphas et al., 2012

MOYENNE Magnétite 7,05 4,55 1,09

Figure VI-1-2 : Comparaison des fractionnements isotopiques à l’équilibre théoriques (données NRIXS et/ou calculs ab initio) et mesurés (point et courbe rouges) lors de l’oxydation du Fe(II)aq en Fe(III)aq. D’après Dauphas et al. (2017).

Tableau VI-1-1 : Valeurs des 1000lnβ du fer de la littérature, dans les phases concernées par la serpentinisation, recalculés par Dauphas et al. (2017).

191 Les processus de réduction abiotique du fer ne sont pas fréquents dans les environnements de surface à cause des conditions globalement oxydantes, ils ne peuvent se produire que dans des milieux particuliers tels que les bassins anoxiques ou euxiniques, ou dans les panaches hydrothermaux réduits via la précipitation des sulfures.

Les fractionnements à l’équilibre étant réversibles, la valeur du fractionnement lors du passage de Fe(III) au Fe(II) devrait théoriquement être de même ampleur que lors de l’oxydation mais avec des valeurs inverses (∆Fe(II)-Fe(III)= –0,1 à –4,1‰). Cependant, les travaux expérimentaux ont montré jusqu’ici que la précipitation à l’équilibre de mackinawite à partir de Fe(II) aqueux conduisait à un enrichissement en 56Fe de la phase réduite, avec un ∆ sulfure-Fe(II)

de +0,64 à +0,32‰ (Guilbaud et al., 2010; Wu et al., 2012).