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Chapitre I – Etat de l’art

3. Géochimie isotopique

3.2. Fractionnement des isotopes stables

nucléaire et sont donc généralement appelés isotopes radioactifs. Une abondance naturelle des isotopes sur Terre est définie, mais elle apparait clairement modifiée dans certains systèmes, par un certain nombre de processus décrypté par la suite, qu’on appelle fractionnement isotopique.

3.2. Fractionnement des isotopes stables

Le fractionnement isotopique engendre un changement de rapport isotopique entre le réactif et le produit de la réaction. C’est important de réaliser que ce changement est minime et que le bilan de masse du système global reste inchangé. Un enrichissement en isotope dans un réservoir est systématiquement accompagné d’une perte dans un autre réservoir. Il est beaucoup plus facile d’induire un changement isotopique significatif dans un petit compartiment que dans un grand compartiment où l’effet de fractionnement sera « dilué » dans le grand volume. La figure I-13 représente un exemple schématique de l’amplitude d’un fractionnement isotopique avec un effet isotopique de -1 ‰ durant la réaction de dissolution d’un minéral, soulignant l’importance de la taille des compartiments.

Figure I-13 : Illustration schématique d’un fractionnement isotopique stable d’un métal

(Fe) pendant la dissolution d’un minéral, ainsi que les valeurs des δ56

Fe des différents compartiments au cours de la réaction (Wiederhold, 2015).

32 Dans l’exemple décrit dans la figure I-13, une petite fraction (2%) d’un minéral de Fe comprenant 1 million d’atomes de Fe est dissoute (simplification des abondances naturelles de 56Fe à 95% et 54Fe à 5% et la surface correspond à 4 % du minéral total). Sans fractionnement isotopique, la phase dissoute devrait contenir 1 000 atomes de 54Fe (soit 5% de la fraction dissoute de 20 000 atomes). Dans le cas présent, le fractionnement isotopique du métal se manifeste par une libération préférentielle d’un isotope léger (54Fe) donnant à la solution une valeur de δ56Fe de -1 ‰. L’influence de ce fractionnement isotopique sur le minéral est négligeable (+0,02 ‰) en raison du grand volume du réservoir. Cependant, on observe en surface un enrichissement en isotopes lourds avec une valeur de δ56Fe de +1 ‰. L’ampleur générale du fractionnement isotopique des métaux, illustrée par cet exemple est similaire aux fractionnements observés dans la nature.

Pour les éléments à plus de deux isotopes, comme par exemple O (16, 17, 18), S (32, 33, 34, 36) ou Fe (54, 56, 57, 58), les fractionnements isotopiques sont, généralement, d’autant plus grands que la différence de masse entre l’isotope rare et l’isotope majoritaire est grande. Ce type de fractionnement isotopique d’échantillons terrestres liés à la masse peut être divisé en effets cinétiques (dans les réactions (bio)chimiques à sens unique) et d’équilibre (physique et chimique).

3.2.1. Effets cinétiques

Les fractionnements isotopiques liés aux effets cinétiques sont causés par des vitesses de réactions différentes entre les isotopes lourds et légers et seulement lors de processus incomplets, comme par exemple l’évaporation, la diffusion ou certains processus biologiques (Fig. I-14) (Criss, 1999 ; Schauble et al., 2009).

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Figure I-14 : Fractionnement isotopique cinétique dépendant de la vitesse des isotopes lourds et légers ainsi que de leur masse (Wiederhold, 2015).

L’influence des effets cinétiques sur la composition isotopique des échantillons dépend fortement de l’étendue relative de la réaction. Les effets les plus importants sont visibles sur les réactifs restants qui peuvent être fortement enrichis en isotopes lourds, en raison de l’élimination préférentielle des isotopes légers, spécialement quand les réactions sont quasiment finies. Il est évident que si les réactifs sont complètement transformés en produits, l’influence des effets isotopiques cinétiques est effacée et les rapports isotopiques des produits sont identiques aux réactifs initiaux.

Le modèle de fractionnement de Rayleigh (Fig. I-15), nommé d’après Lord Rayleigh qui étudiait la distillation fractionnée de mélanges liquides, est souvent utilisé pour décrire l’évolution des rapports isotopiques pendant une réaction incomplète et unidirectionnelle dans des systèmes fermés. Les modèles de Rayleigh sont très utilisés pour déterminer les facteurs de fractionnement pour des processus spécifiques ou pour quantifier l’étendue des procédés de transformation sur la base de données isotopiques. Cependant les fractionnements de Rayleigh sont seulement applicables dans les cas où le réactif est homogène et constamment mélangé pour permettre un processus continu d’élimination préférentielle des isotopes légers du réactif.

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Figure I-15 : Fractionnement de Rayleigh décrivant l’évolution des rapports isotopique dans les différents réservoirs d’un processus unidirectionnel, affichées ici pour l’exemple

des rapports d’isotopes de Cr (δ53

Cr) lors de la réduction du Cr (VI) aqueux vers le Cr (III) précipité, avec une composition isotopique de départ de 0 ‰ et un facteur d’enrichissement ε de -1,3 ‰ (Wiederhold, 2015).

3.2.2. Effets d’équilibre

Les effets isotopiques à l’équilibre se produisent lorsque deux phases réagissent entre elles avec des réactions allant dans les deux sens et des vitesses égales selon la loi d’action de masse (ou loi de Guldberg et Waage, 1864) (Fig. I-16). Les effets isotopiques à l’équilibre diminuent avec l’augmentation de la température (dans la plupart des cas, proportionnel à 1/T² ; Criss, 1999). Le temps nécessaire pour atteindre l’équilibre isotopique peut varier de celui nécessaire pour atteindre l’équilibre de concentration (Johnson et al., 2004). Des modèles moléculaires peuvent être utilisés pour calculer les effets isotopiques d’équilibre entre les espèces d’un élément (e.g., complexes et état d’oxydation) (Schauble et al., 2004). Ces méthodes de calcul sont utiles pour comprendre le fractionnement isotopique des métaux d’un point de vue théorique et pour prédire le sens et l’ampleur des effets isotopiques d’équilibres dans les différents systèmes étudiés. Quelques règles approximatives permettent par exemple de montrer que

35 (1) lors de réactions d’oxydo-réduction, les espèces oxydées ont tendance à être enrichies en isotopes lourds, causant ainsi un enrichissement en isotopes légers dans les espèces réduites. Cette règle est applicable par exemple dans le cas du fractionnement isotopique à l’équilibre du Fe entre le Fe (III) aqueux et le Fe (II) avec un enrichissement d’environ 3 ‰ pour la valeur de δ56

Fe pour le Fe (III) aqueux (Schauble et al., 2009),

(2) les espèces métalliques avec un nombre de coordination bas (par exemple un complexe tétraédrique au lieu d’un complexe octaédrique) et une liaison inter-atomique courte tendent à s’enrichir en isotopes lourds en raison de leur forte capacité de complexation.

Cependant, ces règles doivent être utilisées avec précaution, car ce n’est pas la force des liaisons mais plutôt leur rigidité qui détermine les effets isotopiques d’équilibre (Schauble et al., 2004).

3.2.3. Fractionnement isotopique indépendant de la masse

Dans la majorité des cas, les processus qui influent sur les rapports des isotopes stables dans des échantillons terrestres sont dépendants de la masse (effet de différence de masse : MDE), mais il existe quelques exceptions où un fractionnement indépendant de la masse a été observé. Pour les éléments légers (e.g., O, S), ce fractionnement se produit souvent dans la phase gazeuse, en raison d’une symétrie moléculaire ou d’un processus « d’autoprotection » (Thiemens et al., 2012, 2013), alors que pour les éléments lourds (par exemple le Hg), ce

Figure I-16 : Illustration du fractionnement isotopique à l’équilibre dépendant de la

température (Wiederhold,