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Comme indiqué précédemment, le royaume du Kongo (et celui du Loango) a une organisation

monarchique marquée par un aspect magico-religieux. Il y a quelques caractéristiques plus

précises et nécessaire à interroger afin d’évaluer l’incidence de cette approche du pouvoir sur

l’organisation des territoires.

Durant l’époque précoloniale, il y avait le fumu à la tête de l’Etat de Loango “roi” Mâloango

issu de l’une des deux branches Kondi et Nkata composantes de la vague conquérante des

Bouvandji. Pendant les sept premières années de son règne, le souverain portait le titre de

Ngaanga Mvuumba “le devin qui couve”; comparé à l’oiseau couvant précautionneusement

ses œufs. En effet, il est celui dont la puissance et la sollicitude s’étendent au loin et

recouvrent tout le royaume. Après la dynastie des Bouvandji ( fin XIV

ème

siècle, début du XV

ème

siècle), caractérisée par une royauté héréditaire et absolutiste, le pouvoir devint électif.La

construction des « Etats » africains s’est organisée sur la base des regroupements de

populations suivant des logiques ethniques.

John Iliffe parle aussi de cette dimension ethnique dans son texte Les Africains, Histoire d’un

continent

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. Une caractéristique ethnique qui s’associe à un autre aspect du pouvoir : la

dimension mystico-spirituelle. Ce rapport mystico spirituel du pouvoir s’explique par ailleurs

par l’emprise qu’exerce le sacré dans l’organisation sociale. L’ethno-historienne Annie Merlet

l’évoque en ces termes :

L’autorité réelle est entre les mains des fumu-si, car elle n’a d’épaisseur que déterminée par

le culte des ancêtres (bakisi-basi) qui la confirme au sein des clans et lignages

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.

Comme Nzambi-Mphungu, le roi doit être l’incarnation de la perfection et se tenir loin des

hommes. Il doit être beau sage, noble prolifique.

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On observe qu’en plus d’avoir des attributs de chef qui « couve » de son autorité et qui veille,

le roi doit avoir des attributs de pouvoir incontestés.

37Le ‘‘Kongo‘’avec un K fait référence au royaume au rebours des pays actuels (République Démocratique du Congo et la République du Congo)

38 ILLIFE J., Les Africains, Histoire d’un continent, Paris, Flammarion, 1997,p 105.

39 MERLET A. Op.cit p 5

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Battel écrit à son tour : « Le roi est aussi honoré que s’il était Dieu et il est appelé Sambé

-Pongu (Nzambi Mphungu) c’est-à-dire Dieu »

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. Le maloango est toujours ce personnage

sacré et despote décrit par l’abbé en 1776. C’est une description qui rejoint celle faîte par

Drapper en 1668. Le maloango est omnipotent entouré de crainte dans sa capitale de

Diosso-Bwali, que Drapper au XVII siècle, compare à Amsterdam, pour sa superficie et le nombre de

ses habitants.

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Toutes ces descriptions et tous ces exemples sont puisés dans des textes relatant une

organisation ancienne. Toutefois, on observe que l’exercice du pouvoir dans les Etats dérivés

du Loango (comme le Gabon actuel), l’existence d’un rapport mystico-spirituel ainsi qu’une

dimension totalitaire, parfois. "

Dans le cas du Gabon, la dimension mystique est d’ actualité à tel point qu’on observe et des

faits de sociétés très particuliers. Au mois de mars 2013, des jeunes organisaient une marche à

Libreville (au Gabon) pour protester contre les crimes dits « rituels ». Des crimes que le

Docteur Pissama Mamboudou

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qualifiait –lors d’un échange - de « crimes crapuleux à usage

fétichistes ».

Le Professeur Joseph Tonda de l’Université Omar Bongo du Gabon (sociologue) donnait son

avis à Tshitenge Lubabu M.K du journal Le Jeune Afrique (version électronique). Lors de

cette interview le Professeur Tonda a répondu à plusieurs questions dont celle de savoir si les

hommes de pouvoir avaient besoin de pratiques occultes pour diriger. Sa réponse s’est appuyé

sur des faits historiques et sociologiques. Il explique ce qui suit:

Dans l'imaginaire collectif, pouvoir et sorcellerie sont synonymes. Le pouvoir signifie un

dépassement, une excroissance, voire un déficit. Pour être puissant, il faut posséder un

organe de plus, notamment dans le ventre. D'un point de vue organique, on ne peut exercer le

pouvoir sans l'existence et la mise en activité de cet organe. Ainsi, un individu peut être le

chef de tout le monde.

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41 BATTEL, voir RAENTEIN cité par Annie MERLET p 51

42 MERLET, A. , Autour du Loango (XIV-XIXe siècle), Libreville, Paris, Sépia, 1991, p53

43Chercheur gabonais, Docteur-en Anthropologie, il a consacré sa thèse au mariage traditionnelle et à la notion de transaction entre époux : la « dot ».

44 Propos recueillis par Tshitenge Lubabu M.K (Le Jeune Afrique en ligne du 03/07/2012 à 17h:13)., Entretien avec Joseph Tonda, anthropologue, professeur à l'université Omar-Bongo de Libreville (Gabon), auteur de "Le souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon)", aux éditions Karthala,

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L’approche décrite à travers cette réponse est une fois de plus une référence à une vision du

fondement du pouvoir dans cette région, et au Gabon en particulier.

La suite de l’échange entre les deux hommes est instructive. Car les réponses du chercheur

aux quatre questions du journaliste sont précises et vont dans le sens de l’idée selon laquelle,

la pratique du pouvoir par les chefs d’Etats africains reste encore marquée par la croyance au

mysticisme.

Il expliquera que certains chefs d’états s’adonnantaux pratiques particulières parce qu’ils sont

convaincus que cela est nécessaire. Une pratique qui, si elle relève de la tradition, n’en est pas

moins obscurantiste.

Si les pratiques obscurantistes sont parfois marginales ( la récurrence des crimes à usage

fétichistes au Gabon n’est peut être pas la même au Congo-Brazzaville, nous manquons

d’études comparatives dans ce sens) la conception du pouvoir « totalitaire » persiste.

Durant le vingtième siècle par exemple, certaines figures politiques sont restées prisonnières

de cette dimension royaliste du pouvoir : Jean-Bedel Bokassa s’est autoproclamé

« l’Empereur » de Centre Afrique. De son côté, Mobutu Sese Seko, le Président de la

République Démocratique du Congo (1965-1997) ne s’est pas comporté avec moins de

démesure.

En Swaziland le régime de royauté est toujours d’actualité et le roi conserve les privilèges que

nous mentionnions précédemment. Mais la sacralité de l’image du roi a des limites. Des

limites imposées par la force des considérations claniques. Ces dernières marques

profondément l’organisation actuelle du pouvoir.

Restons dans le cas de l’Afrique centrale, au Gabon en particulier. La sacralisation du roi, les

privilèges réservés aux rois connaissent des limites du fait des considérations claniques. Ces

considérations n’engendrent pas nécessairement un exercice du pouvoir moins centralisé,

mais elles servent de pont vers une pratique différente du pouvoir. Annie Merlet l’explique

par exemple ce qui suit:

Les Vili

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(groupe ethnique présent dans le royaume Kongo) pensent […] que le roi est

mortel, comme le royaume, alors que les clans ne le sont pas. Au XIXè siècle, l’Histoire leur

donnera cruellement raison. Au XIVè siècle, donc, ceux qui, plus tard, seront connus comme

les « 27 clans primordiaux de Diosso-Bwali » arrivent en vue de la baie de Loango, venant de

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Mbaza-Kongo, futur San-Salvador. Ces clans Vili et Woko comportent une puissante

confrérie de forgerons, les Bouvandji, appuyée sur un corps de guerriers. (…) En fait la

répartition des territoires à ce moment va se fait en fonction des affiliations entre groupes

d’individus (claniques, ou autre)

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.

Un article

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d’Axel Augé, paru dans le n°123 des Cahiers internationaux de sociologie en

2007, nuance l’importance du lien clanique dans l’organisation du pouvoir au Gabon, nous

reviendrons sur ce point.

Edem Kodjo traite du caractère inefficace du fonctionnement du pouvoir basé sur des

logiques claniques. Il écrit ce qui suit, à la suite de Cheikh Anta Diop:

L’organisation sociale en castes de la société, est le type d’organisation qui favorise la

stagnation et empêche les mutations révolutionnaires sources de progrès, a fortement

contribué à l’affaiblissement interne des sociétés africaines passées

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.

Le fonctionnement monarchique revêt un effet psychologique important puisque la figure du

roi se mêle au magico-religieux de telle sorte que l’aspect métaphysique supplante le reste

parfois. La dimension clanique elle s’émancipe de la figure du roi pour privilégier le groupe

dans l’exercice du pouvoir.

Quand le pouvoir est marqué par la figure du chef pourvue de la toute puissance, pour les

Vili et Lumbu et de plusieurs autre groupes ethniques d’Afriques, l’aspect le plus déterminant

dans la légitimité du chef est son appartenance au clan.

La logique clanique ou celle des castes comporteraient une faiblesse quant à une gestion

homogène (et égalitaire) du territoire. Ces deux logiques, entravent la réussite de projet de

développement quand elles ne contribuent pas à une certaine stagnation. Voyons en quoi dans

le cas du Gabon, l’exercice (ou le partage du pouvoir) comporterait des spécificités facilitant

ou non un fonctionnement homogène du territoire.

46 SORET A., op.cit p 75

47 AUGE A., « Les solidarités des élites politiques au Gabon : entre logique ethno-communautaire et réseaux sociaux », Cahiers internationaux de sociologie 2/2007 (n° 123), pp 245-268.

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