Nous rappelions dans le propos précédent quelques éléments permettant d’aborder la notion
de pouvoir. Si l’aspect psychosociologique est aisé à mettre en évidence, le fait
magico-religieux (qui a un lien avec l’aspect politique, entre autres) est également à prendre en
compte dans l’étude du pouvoir. Dans certains territoires africains, l’exercice du pouvoir est
fortement marqué par cet aspect magico-religieux. L’un des textes abordant ce thème sans
détours est Parenté politique et sorcellerie en Afrique noire
27, d’Alfred Adler.
Sous les thèmes de la filiation, de l’autorité et de la sorcellerie, l’auteur revient sur les formes
particulières du pouvoir dans l’aire géographique africaine. Il montre par exemple que la
figure du roi (autorité dans les sociétés traditionnelles) est un paradoxe car il y a un
doublement : il est à la fois « garant de l’ordre et détenteur de la puissance légitime »
28.
L’auteur explique que le roi «est augmenté d’un attribut qui à priori est non légitime mais
qui est censé lui conférer une surpuissance […] »
29. Le chef l’est essentiellement parce qu’il
dispose d’une puissance exceptionnelle. Une puissance à laquelle les administrés devraient se
soumettre. Cette ‘‘surpuissance’’ est précisément l’aspect psychosociologique du pouvoir qui
était évoqué plus haut.
L’auteur revient de façon précise sur le rapport du pouvoir et des pratiques ancestrales en ces
termes :
[…] dans ce qui constitue le corps légitime de la plupart des sociétés africaines, ce sont les
groupes fondés sur la parenté tels les lignages, ou sur l’idiome de la parenté, tels les clans,
ou encore, combinés avec ceux-ci, un système de classes d’âge, qui l’emportent sur toute
autre division du corps social »
30.
27 ALDLER Alfred , Parenté politique et sorcellerie en Afrique noire, Paris, Ed du Félin, 2006, 247 p.
28 ALDLER Alfred, Op.cit. p 11
29 Idem p11
29
Le Gabon n’échappe pas vraiment à cette logique. Ce pays, comme certains autres de l’ancien
royaume Kongo
31et Loango, était administré suivant une conception monarchique du
pouvoir. Un rappel historique s’impose car ce retour dans le passé permet de disposer de
pistes de réflexion enrichissantes. L’objectif est d’évaluer les formes de la gestion
territoriale dans ce contexte afin d’évaluer sa dimension de cohésion, s’il y en a une.
Le royaume de Kongo était un royaume de l'Afrique du sud-ouest, situé dans des territoires du
nord de l'Angola, de Cabinda, de la République du Congo, l'extrémité occidentale de
la République démocratique du Congo et d'une partie du Gabon. À son apogée, il s'étendait de
l'Océan Atlantique jusqu'à l'ouest de la rivière Kwango à l'est, et du fleuve Congo.
Les écrits concernant ce territoire présentent certaines contradictions. Certaines sources
soutiennent que le Loango n’aurait pas existé ou qu’il n’était pas encore une province du
royaume Kongo au moment de la découverte de cet espace par des explorateurs. Mais il y a
des points convergents, qui nous permettent de reconnaître effectivement l’existence de ce
territoire.
Plusieurs auteurs écrivent quec’est aux environs de 1275 (XIII
èmesiècle de notre ère) qu’une
population bantu installée sur l’une des rives du puissant Nzadi, “fleuve” situé au cœur de
l’Afrique, parvient à bâtir l’un des plus grands États de l’histoire du monde noir. Cette cité fut
nommée Mbanza Kongo dia Ntotila “cité du roi” ou Mbanza Kongo dia ntete “cité
originelle”, encore appelé N’kumba Ngudi “le nombril de la mère.” Le Kongo comptait neuf
provinces dont trois se séparèrent très tôt pour s’ériger en royaumes indépendants : Ngoyo,
Kakongo et Loango. Ce royaume s'étendait entre la latitude 1 1/2° Nord et la latitude 22° Sud,
du 24° de longitude Est à l'océan Atlantique. Il atteindrait une superficie dépassant
les 2 500 000 km [...].
Le territoire du Kongo s’est fait au travers des migrations de divers peuples. Des groupes,
issus d’un noyau proto-bantou quittent le pays de Nok (actuel Nigéria) vers l’an 1000 avant
J.C
32. Ils se dirigèrent d’abord vers le sud-est, en longeant la grande forêt équatoriale,
« semant dans leur marche, nous dit Soret
33des groupes qui deviendront des ethnies ».
31 Le royaume Kongo est à différencier des pays Congo (République Démocratique du Congo et Congo Brazzaville)
32 Bouquiaux L, ed- L’expansion bantoue, actes du colloque international du CNRS, Viviers (France) 4-6 avril 1977, Paris, Sclaf, tome III, 1980, pp 671-675.
30
Il est également utile d’avoir une illustration de ce qu’était ce royaume afin
d’observer visuellement son organisation. Il existe très peu d’éléments historiques
permettant d’illustrer l’espace géographique dont nous parlons. Toutefois la figure suivante
est référencée par le Martiners’s Museum, une référence reprise tour à tour par Thomas
Astley et Graham Connah
34.
La figure ci-dessous est celle que nous empruntons à Thomas Astley, tirée du A New General
Collection of Voyages and Travels, 1747 The Library at The Mariners' Museum.
La même illustration est reprise par Graham Connah avec davantage de précisions :
Le fait observé par le biais de cette comparaison est que ce royaume (province ou ville du
royaume Kongo) est suffisamment ancien pour qu’il en soit fait mention au XVII
èmesiècle.
34CONNAH Graham , African civilizations, pre-colonial cities and states in tropical Africa :an archaeological perspective, Cambridge university press, New York, 1987, p216,
31
Au regard de l’organisation, les auteurs le confirment, ce sont des territoires pensés depuis
longtemps. Il s’agit de villes anciennes au sens où l’entend Catherine Coquery Vidrovitch
35Disons, pour aller vite, que ce sont des navigateurs portugais qui fournirent certains éléments
écrits sur ce territoire. En effet, ils arrivèrent dans la région du Kongo et du Loango vers
1482-1486 en entrant par l’embouchure du Kongo. Leurs témoignages sont édifiants au sujet
du Loango : ils disent que c’est’ « un grand état organisé, riche de perspectives économiques
et politiques »
36(voir image ci-dessus). Nous insistons sur ce territoire car c’est la partie du
royaume Kongo la plus proche du Gabon. Un territoire qui compte – à l’époque – des
groupes ethniques que l’on retrouve, encore aujourd’hui, au Gabon (Vili, Lumbu, par
exemple).
35 COQUERY VIDROVITCH Catherine, Histoire des villes d’Afrique noire, Des origines à la colonisation, Paris, Albin Michel, 1993, p 9 412p.
36 SORET M Histoire du Congo-Brazzaville, Paris, Berger-Levrault, 1978, p112.
32
LOUANGO (éléments historiques)
L’influence du Loango (province du Kongo) s’étendait du Cabinda au Sud jusqu’au delà de
Mayumba au Gabon. Elle impliquait également le versant Est de la chaîne du Mayombe dont
une infime partie de la vallée du Niari. Par conséquent, au sein de cet État, étaient regroupées
diverses ethnies aux affinités culturelles et linguistiques manifestes. Il convient de noter que
les Yombé, Lumbu, Kugni et Vili constituaient l’ensemble des forces vives de l’Etat de
Loango. Ils e réclamaient d’une ascendance commune Nkakamoeka “seul et même ancêtre”,
nom d’un village du Mayombe. Une constante de leurs valeurs morales résidait dans la
cohésion sociale. Dans cette énumération ethnique, on ne saurait omettre les Bongo
“pygmées”, peuple autochtone que les conquérants et/ou migrants du Kongo dépossédèrent de
leurs terres et qui finirent par trouver un havre au cœur de la forêt du Mayombe.
Quelques exemples d’illustrations confirmant l’existence du Loango :
Figure 3Les royaumes du bassin du Zaïre33
La première figure ci-dessus est de Catherine Coquery, illustrant les anciennes villes et
anciens royaumes de la région de l’Afrique centrale. La deuxième figure (de Graham Connah)
est une illustration d’anciennes villes africaines. Il s’agit précisément de sites archéologiques.
Et pour chaque illustration, le Loango est répertorié (cartographié).
Le rappel historique du royaume du Kongo et de l’une de ses provinces (le Loango) est utile
d’abord parce que le Gabon, comme certains autre pays d’Afrique centrale, appartenait à ce
34
royaume. Ensuite, il nous permet de mieux nous rendre compte de l’impact d’une forme
d’exercice du pouvoir sur l’organisation des espaces de vie. Nous observons, à partir de ce qui
précède, que ce territoire était administré depuis très longtemps : des cités organisées à la fois
sur le plan architectural et des villes greffées au royaume principal. Le reste (l’exercice du
pouvoir) ne semblait pas être un frein à l’organisation de ces espaces : il y a une cohésion
sociale, un fonctionnement fondé sur des bases qui sont largement partagées et ne font pas
l’objet d’une contestation particulière.
Toutefois quelques questions demeurent, notamment à propos du fondement du pouvoir,
quelles en sont les formes (totalitarisme ou autre) et l’impact? La dimension clanique (ou
d’autres) n’entrave-t-elle pas (elle existe encore) la gestion territoriale dans le contexte de la
mondialisation ?
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