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Formes, configurations, fractalité : convergence de regards sur la complexité de la spatialité urbaine

Questions ouvertes

3. Forme et organisation spatiale de la ville complexe

3.5 Formes, configurations, fractalité : convergence de regards sur la complexité de la spatialité urbaine

La fractalité statistique de la loi de puissance, signature de la complexité auto-organisée de la ville

Les systèmes complexes auto-organisés que sont les villes ne sont pas modélisables, d’un point de vue fonctionnel, par un simple emboîtement de composantes (Alexander 1965, voir Section 2.1) : les modules fonctionnels correspondant aux lieux nécessaires à l’activité de chaque organisation humaine dans la ville (les ménages, les entreprises de différente taille, les services publics, les associations, etc.) s’intersectent et s’enchevêtrent de manière complexe, et ne donnent pas lieu à de simples emboîtements. Cela remet en discussion l’applicabilité des principes d’organisations proposés par Simon (1962) et basé sur une double décomposabilité horizontale et verticale des systèmes complexes (voir Section 2.3).

Alexander montre ainsi que toute tentative d’organiser le système morphologique urbain en modules emboités censés contenir le fonctionnement des modules fonctionnels sont vouées à l’échec. Ce paradigme avait dans le passé servi de guide tant au mouvement des cités jardins (création de quartiers, de villages et de petites villes autonomes, fédérés dans des systèmes urbains plus vastes) qu’aux propositions du mouvement moderne (création de pôles de services de proximité dans des quartiers résidentiels, qui sont à leur tour mis à système par des centres directionnels concentrant l’essentiel de l’emploi urbain). L’impression de forte organisation que ces villes planifiées au cours du XXe siècle peuvent donner lorsqu’on les observe sur un plan va de pair avec les dysfonctionnements qu’elles engendrent du fait de la faible adéquation avec la complexité de leurs fonctionnements journaliers, hebdomadaires ou saisonniers.

Le système morphologique des villes traditionnelles, auto-organisées, semble plus chaotique car on y chercherait difficilement des composantes fonctionnellement autonomes et morphologiquement séparées. Au mieux (et on a vu avec quelles difficultés) on peut y définir des

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ces villes ne manquent pas de principes d’organisation dans leur morphologie. De quels principes

s’agit-il, alors ? Il s’agit de principes d’organisation à première vue moins évidents, et souvent

susceptibles de s’accommoder de davantage d’indétermination, selon le principe morinien qui veut

que la complexité auto-organisée est une augmentation corrélative de l’ordre et du désordre par le biais de l’organisation.

Des auteurs très différents tels que Barabasi (2002), Salingaros (2005) ou Newman (2006), identifient la distribution en loi de puissance comme le plus important principe de

l’auto-organisation des systèmes complexes. A partir d’une taille minimale élémentaire, la fréquence des

composantes d’un système complexe auto-organisé diminue avec l’augmentation de leur taille selon une loi de puissance inverse :

p(x) = C x-

où C est une constante de normalisation (∫p(x)dx = 1) calculable seulement si α >1 (ce qui est toujours le cas dans les lois puissance identifiées, tant dans les phénomènes sociaux que dans les phénomènes naturels). Un système complexe auto-organisé présente ainsi un nombre très élevé de petites composantes, un nombre intermédiaire de composantes moyennes et un tout petit nombre de composantes de grande taille.

En géographie urbaine, la primauté dans la découverte d’une distribution en loi de puissance revient à Zipf (1949, voir Section 2.3). Dans un système urbain donné (national ou régional), la loi rang-taille est précisément une loi de puissance, révélant l’auto-organisation de la distribution des rang-tailles des villes sur de grands espaces. En ce qui concerne l’organisation interne de l’espace urbain, la centralité des lois de puissance est surtout le fait de Salingaros (2005) et de Jiang (2013, 2015a, 2015b), qui reprennent des suggestions qui remontent à Alexander. Salingaros avance beaucoup d’exemples de distributions en loi de puissance pour les éléments morphologiques de la ville, de la longueur des rues à l’emprise au sol des bâtiments. Hillier (1996, 2012), ainsi que Porta et al. (2006b) identifient des distributions en loi de puissance pour certaines propriétés configurationnelles des réseaux viaires urbains. Dans le cadre de mes recherches sur l’organisation spatiale de la ville, la présence de la loi de puissance a été constatée à plusieurs reprises : le nombre de flux dominants entre les communes d’une aire métropolitaine (Section 2.3), la taille des ensembles d’unités spatiales contiguës appartenant à la même famille de tissus urbains (Section 3.3), les valeurs des propriétés configurationnelles, notamment des intermédiarités, entre les segments viaires d’une agglomération urbaine (Section 3.4), la distribution des surfaces commerciales entre les segments viaires d’une aire métropolitaine (Section 3.7). S’il est parfois difficile de distinguer la loi de puissance d’autres distributions à queue épaisse (voir ci-dessous), tous ces résultats pointent vers le caractère fondamentalement auto-organisé et complexe de la forme et de l’organisation spatiale de la ville, à différentes échelles et par rapport à différents aspects clés qui y concourent. Je rejoins sur ces points Salingaros (2005) et Jiang (2013).

D’autre part, Newman (2006) met en garde contre cet engouement pour la loi de puissance. On cherche et on voit des lois de puissance partout, guidés par ce lien entre loi de puissance et auto-organisation des systèmes complexes. Toutes les distributions à queue épaisse ne sont pas des distributions à loi puissance, ni dans les sciences naturelles, ni dans les sciences sociales. Ainsi les distributions de la taille des villes, de la fréquence des mots dans un livre, de la magnitude des tremblements de terre, des ventes de livres, de l’intensité des guerres, des patrimoines des ménages, etc. suivent des lois de puissance. En revanche, les distributions de l’abondance des espèces d’oiseaux dans les écosystèmes, du nombre d’adresses e-mails dans les carnets d’adresses des internautes, et de l’ampleur des feux de forêts, tout en montrant des queues épaisses, ne suivent pas de lois de puissance.

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Dépourvus de taille typique, les phénomènes en loi de puissance posent des enjeux de connaissance incertaine

Les distributions statistiques à queue épaisse et, parmi elles, celles qui suivent une loi de puissance, se différencient des lois de distribution exponentielle (tels que les lois de Poisson ou de Gauss) du fait que le nombre d’éléments de très grande taille n’est pas négligeable et contribue de façon déterminante à la caractérisation de la population statistique. De ce simple fait, elles posent des enjeux de connaissance particuliers autour des phénomènes qui en sont caractérisés. En vue de leur rôle dans l’auto-organisation des systèmes complexes, cela pose encore une fois un lien fort entre complexité et connaissance incertaine.

Plus particulièrement, les phénomènes caractérisés par une distribution à queue épaisse ne possèdent pas de taille caractéristique. Cela les différencie et les oppose aux phénomènes caractérisés par des lois exponentielles, pour lesquels la valeur moyenne fournit une bonne statistique de valeur centrale. C’est l’opposition, opérée par Taleb (2007), entre l’Extremistan des phénomènes en lois de puissance et le Médiocristan des phénomènes gaussiens et poissonniens. La connaissance statistique que nous pouvons avoir des premiers n’est pas comparable à celle à laquelle nous sommes habitués pour les seconds. Mathématiquement, pour une distribution en loi de puissance, si α < 2, il n’existe même pas de valeur attendue pour le phénomène en question (et si α < 3 il n’existe pas de variance non plus) : on peut bien calculer une moyenne sur un échantillon de valeurs, mais cette statistique est instable et n’est donc pas informative sur la valeur centrale de la distribution. Une incertitude de fond plane alors sur la connaissance du système, surtout lorsque nous souhaitons maitriser la connaissance de la distribution par la connaissance des moments statistiques qui sont la moyenne et la variance, en tant que mesures de la taille et de la dispersion que l’on peut attendre.

Pour revenir aux incertitudes caractérisant la connaissance des phénomènes distribués selon une loi de puissance, West et Salk (1987), ainsi que Salingaros (2005) soulignent que c’est l’attente de connaissance du chercheur qui doit s’adapter au contexte du système complexe. Il est ici essentiel de mobiliser le concept d’entropie tel qu’il est défini dans la théorie de l’information (Shannon 1948), à la fois comme mesure du désordre d’une distribution et comme mesure du contenu informationnel d’une distribution de probabilité acceptant du désordre.

La distribution en loi de puissance est en effet celle permettant de maximiser l’entropie sous la contrainte que toutes les échelles du système puissent contribuer d’une manière déterminée et connue à cette entropie. Il s’agit donc de la distribution la moins spécifique possible (compatible donc avec un niveau élevé de désordre) sous la contrainte de l’existence d’une relation inter-scalaire, liant les échelles de la distribution les unes aux autres et nécessitant leur prise en compte conjointe pour caractériser le contenu informationnel de la distribution. La relation inter-scalaire organisant un

système complexe est alors l’élément de connaissance le plus puissant dont nous pouvons disposer pour le caractériser :

p (kx) = k-m p(x)

Au-delà d’une taille minimale et à un facteur d’échelle près, la distribution en loi de puissance est la même à partir de chaque point de la distribution. Cette relation inter-scalaire peut donner lieu à une lecture relativement simple, comme la loi 80-20 de Pareto : si 20% d’une population statistique concentre 80%delamassed’unphénomène, alors 20% de ce 20% continue à concentrer 80% du 80% et ainsi de suite.

Cette relation inter-scalaire est la même que celle identifiée par Mandelbrot (1983) dans ses formes fractales. La fractalité de la forme urbaine a en effet donné lieu à une important courant de recherche

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sur la complexité de la ville, depuis les travaux de Batty (Batty et Longley 1994, Batty et Xie 1996), et Frankhauser (Frankhauser 1994, Thomas et al. 2007). Clairement, la fractalité des formes urbaines émarge aussi à une loi de puissance. Badariotti (2005) décline la théorie et les approches de Frankhauser à la caractérisation des tissus urbains de l’agglomération de Strasbourg. Ses indications sont précieuses sous plusieurs points de vue : d’abord car il descend pour la première fois au détail métrique des éléments de forme, ensuite car il donne une interprétation de la dimension fractale en termes d’homogénéité des tissus qui est parlante pour la morphologie urbaine. Globalement il opère un raccord entre le registre de la forme des tissus et l’approche de la complexité qui sous-tend les formes fractales.

Néanmoins, selon Salingaros (2005), l’invariance d’échelle des formes fractales n’est qu’un cas particulier de l’omniprésence de la loi de puissance dans les systèmes urbains. Il existe un vif débat sur le fait que les formes de la ville soient vraiment fractales, ou seulement approximables avec des fractales à l’intérieur d’une certaine gamme d’échelles. Surtout, la question porte ici sur la fractalité géométrique (régulière ou aléatoire), tandis que le point central de l’auto-organisation des systèmes

complexes est l’autosimilarité statistique des niveaux d’organisation.

L’importance des relations inter-scalaires liant la taille à la fréquence des objets dans les systèmes complexes auto-organisés est pour Salingaros (2005, 2006, 2010) également un guide pour la conception urbaine et architecturale. Notre appareil perceptif a en effet co-évolué avec l’auto-organisation des systèmes naturels (formes du relief, formes végétales, animales, composition des écosystèmes, etc.) et reconnait intuitivement leur naturalité dans les relations inter-scalaires qui les caractérisent. Tout objet architectural ou fragment urbain dont les composantes ne seraient pas distribuées selon une loi de puissance produiraient ainsi des pics d’information sur certaines tailles et des vides d’information sur d’autres et serait perçu comme ayant une forme artificielle, difficile à connecter émotionnellement pour l’usager et l’observateur. L’indication pour le designer n’est ainsi pas celle de produire des objets ou des fragments urbains strictement fractals (autosimilarité géométrique, régulière ou aléatoire), mais de se conformer néanmoins à une distribution en loi de puissance dans la composition des objets (auto-similarité statistique). Il s’agit d’un objectif que l’on peut atteindre facilement en respectant une ancienne règle déjà en vogue parmi les architectes et les artisans du moyen âge : lorsque l’on conçoit un élément (structurel, décoratif, etc.) il faut à la fois le composer avec d’autres éléments de taille comparable pour obtenir un tout trois fois plus grand et le décomposer en sous-éléments de taille trois fois plus petite. Badariotti (2006) aussi identifie des règles de composition de base dans la production architecturale et urbanistique du moyen âge qui, par itérations successives, peuvent générer des propriétés trans-scalaires.

L’incertitude porte également sur les processus derrière les lois de puissance

Une seconde question de connaissance incertaine porte sur la détermination des fonctionnements des systèmes complexes auto-organisés à la base des distributions en loi de puissance. Il s’agit classiquement d’un problème d’équifinalité (Quine 1953, Von Bertalanffy 1968) ou de sous-détermination théorique (Varenne 2015) déjà discuté dans la Section 1.4 : plusieurs théories sont

compatibles avec le modèle de distribution statistique de la loi puissance. Par la théorie de

l’auto-organisation critique, Bak (1996) propose une première explication : un système complexe ouvert se maintient de façon permanente (avec quelques oscillation) autour d’une transition de phase (état critique). Pout Morin aussi, les systèmes complexes auto-éco-organisés ne se maintiennent pas dans un état d’équilibre, mais dans une situation de déséquilibre permanent et s’alimentent précisément de ce déséquilibre entre leurs parties et entre ces dernières et l’environnement externe.

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Pour Bejan (2002, Bejan et Lorente 2005, Rocha et al. 2013), les distributions en loi de puissance sont le produit d’une optimisation de l’utilisation de l’énergie. Un principe thermodynamique serait ainsi à l’œuvre pour construire graduellement par sélection naturelle des organisations spatiales « optimales » suivant une loi de puissance. Il semble néanmoins difficile de pouvoir reconduire tous les systèmes complexes auto-organisés, notamment sociotechniques, à une optimisation des échanges énergétiques.

Une autre explication possible, déjà avancée par des écologues dans les années 20 (Yule 1925) est la loi d’attachement préférentiel, repris dans les schémas théoriques de Barabasi et Albert (1999) de l’émergence d’un graphe sans échelle : les objets ayant une masse supérieure deviennent plus attractifs dans leur environnement et croissent davantage que les objets plus petits, ce qui permet de parvenir stablement à une distribution en loi de puissance sur la taille des objets. Pour Taleb (2007) aussi, la loi d’attachement préférentiel serait fondamentale dans les mécanismes socioéconomiques. Pour West et Salk (1987), plus précisément, la loi de puissance peut émerger d’un processus stochastique de fluctuations multiplicatives au sein d’un système social ou biologique, qui peut à son tour être interprété comme le comportement d’un système dynamique couplé à un environnement incertain (mais même seulement stochastique gaussien). En économie d’abord (Armatte 2005) et en géographie urbaine ensuite (Pumain et Saint-Julien 1997), la loi des effets proportionnels de Gibrat a été proposée comme modélisation de la loi d’attachement préférentiel. En réalité, la compatibilité entre la loi de Gibrat au niveau microscopique et la loi de puissance, de type Pareto-Zipf, au niveau macroscopique, continue à faire débat (Fujiwara et al. 2004, Bottazzi 2009).

Quoi qu’elle soit, notre méconnaissance sur les processus ayant produit les distributions en loi de puissance observables dans la ville, une observation de Salingaros (2005) me semble éclairante : dans

l’étude de processus mal connus, comme souvent dans les systèmes complexes, la morphologie observée peut offrir la seule base disponible pour essayer d’appréhender les mécanismes hautement complexes sous-jacents.

Au-delà de la loi de puissance, l’émergence d’une forme urbaine selon Bill Hillier

Précisément sur la base de l’étude des morphologies observées, Hillier (2002, 2012) peut alors avancer une explication possible de la distribution en loi de puissance de la longueur des lignes visuelles. Il s’agit d’une explication qui trouve ses bases dans les principes de la perception des espace urbains, de l’organisation et de la croissance incrémentale du système morphologique urbain, mais qui impose de dépasser la seule distribution statistique de la loi de puissance.

Empiriquement, selon Carvalho et Penn (2004), une ville est faite d’un tout petit nombre d’axes visuels extrêmement longs, de quelques axes relativement longs et d’une multitude d’axes petits et moyens. Mais cette loi de puissance n’est qu’une vision statistique et ne nous renseigne pas sur la disposition spatiale des éléments au sein du système morphologique. Or, relève Hillier (2002, 2012), un principe de continuité et de connexité des plus longues lignes semble s’observer dans une grande variété d’études empiriques (en Europe, dans les Amériques, en Asie), à la fois dans les villes plus organiques (Londres, Tokyo) et dans celles plus géométriques (Chicago, Athènes) : les lignes les plus longues se connectent très souvent entre elles et sont également en connexion directe avec un nombre important de lignes de dimension moyenne ; ces dernières, se connectent à des lignes plus courtes, qui sont à leur tour plus faiblement connectées. La longueur des lignes visuelles et leur connectivité est ainsi directement liée, même si de manière différenciée dans les villes (et les secteurs) de croissance organique, et celles où un effort de régularisation géométrique (plans en damier) a été imposé. Dans les deux cas, les propriétés inter-scalaires des axes visuels résultent de l’organisation

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du réseau urbain en deux niveaux superposés : un réseau d’avant-plan de lignes plus longues et à

plus forte connectivité (foreground network) et un réseau d’arrière-plan de lignes plus courtes, et moins connectées (background network). Les calculs d’Axial SSx sur la ville de Nice (Figure 3.7) confirment cette généralisation empirique et permettent même de montrer que le même principe régit l’espace du damier planifié du XIXe siècle, et celui de l’expansion collinaire du XXe siècle. L’analyse des voies de Paris et d’Avignon par Lagesse (2015) parvient à des résultats semblables.

Les propriétés configurationnelles d’intégration (closeness) et d’intermédiarité ne font que renforcer cette dualité de l’espace urbain et permettent d’identifier l’émergence de centralités diffuses sur le réseau, bien plus complexes de ce qui est admis dans les théories du polycentrisme. Hillier (2002, 2012) met par ailleurs en relation les espaces à plus haute centralité globale ou locale du réseau d’avant-plan avec les concentrationsd’activitééconomique,etleréseaud’arrière-planavec l’espace essentiellement résidentiel.

Figure 3.7 – La connectivité des lignes visuelles dans la ville de Nice.

Dans certaines villes, cette superposition de réseaux peut être l’objectif d’interventions planifiées sur la ville existante (comme à Rome sous Sixte V ou à Paris sous Hausmann). À Barcelone, en revanche, le plan d’expansion de Cerdà (1867) avait imposé un tel schéma même dans la conception d’un damier relativement homogène : celui-ci devait en effet être la matrice de fond sur laquelle greffer des petites connexions piétonnes (pour desservir l’intérieur des îlots) et sur laquelle superposer le réseau des grandes avenues, matérialisant dans l’espace urbains les parcours de connexions extrarégionaux de la ville. Mais ce qui est plus intéressant est que cette organisation se retrouve également dans les villes non planifiées.

Comment alors cette auto-organisation peut-elle émerger au cours de l’histoire urbaine ? Une première expérimentation avait montré la possibilité de simuler l’émergence de petites structures villageoises par l’assemblage par la règle de la mitoyenneté des murs périmétraux pour des dyades constituées d’un bâtiment et d’un espace vide sur lequel donne son entrée (Hillier et Hanson 1984, déjà cité dans la Section 3.1). Or, en poursuivant l’agrégation de ces dyades, on n’obtient pas une forme urbaine réaliste, mais plutôt une forme labyrinthique relativement éloignée des villes connues. Plus précisément, la topologie de cette forme simulée est encore compatible avec celle des formes

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urbaines connues, mais pas sa géométrie : en termes de lignes visuelles, nous observons une distribution relativement gaussienne de leur longueur, bien éloignée de la distribution en loi puissance. Pour obtenir une forme réaliste, il faut introduire la règle de la moindre perturbation possible des axes visuels les plus longs déjà établis : à chaque pas du processus d’agrégation, le rajout par mitoyenneté d’une nouvelle dyade bâtiment-espace se fera préférentiellement en bloquant une ligne visuelle courte, si cela lui permet d’éviter de bloquer une ligne visuelle plus longue (Hillier 2012). La logique

est duale à celle de l’attachement préférentiel et on pourrait parler d’évitement préférentiel de la perturbation : on évite de perturber une ligne visuelle longue, si l’on peut. Les lignes visuelles les plus

longues, lorsqu’elles sont interconnectées, permettent de minimiser à la fois l’effort perceptif (vision de l’espace urbain depuis la rue) et cognitif (carte mentale de la structure des tracés de la ville), comme montré par Conroy Dalton (2003). En revanche, la connexion souvent indirecte des espaces interstitiels