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Questions ouvertes

2. La complexité des villes et des aires métropolitaines pour le géographe et l’urbaniste

2.2 La complexité urbaine

Des nouvelles approches, plus holistiques et attentives aux questions de forme

Ces théories et ces modèles ont été successivement rejetés par des approches plus holistiques et attentives aux questions de forme, mais ignorant la modélisation quantitative. Dans son ouvrage

fondateur, « Life and Death of Great American Cities », Jane Jacobs (1961) décrit avec beaucoup de subtilité, mais de façon uniquement textuelle, la complexité auto-organisée constatée dans le fonctionnement des espaces publics et des interactions humaines dans les grandes villes américaines. L’ordre complexe des fonctionnements et des morphologies sociales et fonctionnelles se forme spontanément et graduellement au cours du temps. Pour Jacobs la ville pose de problèmes de complexité organisée, proche à celle d’un organisme vivant, dans lesquels une demi-douzaine ou même plusieurs douzaines de variables varient toutes simultanément par le jeu d’interconnexions subtiles.

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Figure 2.1 - Le fonctionnement de la grande ville américaine selon J. Jacobs.

Cycle de création et desctruction de la diversité et de la vitalité urbaine

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Les villes, continue Jacobs, ne posent pas un seul problème de complexité organisé qui, une fois résolu permet de tout expliquer (soit-il l’accessibilité aux emplois, la question du logement, le financement du renouvellement urbain ou le problème du trafic automobile). Plusieurs de ces problèmes s’enchevêtrent. J’avais produit il y a quelques années un schéma qualitatif représentant la vision systémique du fonctionnement de la grande ville américaine selon Jacobs (Figure 2.1), que je laisse à l’appréciation de mes lecteurs, surtout s’ils ont déjà eu l’occasion de lire l’ouvrage original.

Les analyses de Jacobs restent qualitatives, mais son ouvrage est riche de considérations opérationnelles, allant de la disposition des bâtiments le long des rues, à la conception des parcs et des jardins, de la forme des réseaux viaires à la mixité fonctionnelle et à la gestion de la densité urbaine, jusqu’à esquisser un possible cycle de gentrification et de paupérisation (qu’elle appelle processus de création et de destruction de la diversité et de la vitalité urbaine), observable pour les quartiers qui possèdent un certain nombre de propriétés morphologiques.

Une autre puissante critique aux schémas de l’urbanisme et de l’aménagement moderne et aux modèles théoriques qui les sous-tendent vient de l’architecte et urbaniste Christopher Alexander. Dans son article fondateur, « The city is not a tree » (1965), Alexander réintroduit l’attention à la complexité de la forme urbaine dans une approche plus holistiques. Il identifie la relation existant entre formes urbaines et fonctionnements de la ville à partir de la modélisation permise par la théorie des ensembles. Plus précisément, Alexander attaque la conception de la ville comme un système hiérarchique quasi-décomposable d’unités de base (quartiers résidentiels avec services de base, quartiers d’activité, centres de services de portée urbaine, etc.) que l’on assemblerait par emboitement successifs. Cette vision très technocratique, courante dans la pratique de l’aménagement urbain moderne, contredit les fonctionnements auto-organisés de la ville. Si les relations fonctionnelles de la ville planifiés selon ces principes peuvent se réduire à la topologie d’un arbre, celle de la ville auto-organisée est plutôt un demi treillis, non réductible à une hiérarchie parfaite d’éléments emboités, car des nombreux enchevêtrements existent entre les centralités créées par chaque fonction urbaine. Or, à différentes échelles, les plans des cités jardin (comme Columbia et Greenbelt), ceux des grandes villes nouvelles (Brasilia de Lucio Costa, Chandigarh de Le Corbusier) et ceux pour l’aménagement des grandes aires métropolitaines existantes (le Greater London Plan de Forshaw et Abercrombie, 1943) imposent inexorablement une organisation hiérarchique emboitée à la topologie arborescente.

Un point permet de faire converger les critiques de Jacobs et d’Alexander : l’approche rationnelle et exhaustive qui sous-tend l’urbanisme et l’aménagement modernes, a implémenté une rationalité qui n’est pas celle observable par l’analyse des fonctionnements réels de la ville. Ces derniers sont beaucoup plus complexes, souvent auto-organisés et possèdent des relations subtiles avec les formes urbaines.

Les visions holistiques proposées par Jabobs et Alexander ont souvent porté à une lecture « organiciste » de la complexité urbaine : la ville serait plus proche d’un organisme vivant que d’une machine, une suggestion proposée en parallèle par le courant architectural de la typo-morphologie

urbaine (Caniggia et Maffei 1979, voir Chapitre 3). Marshall (2012) nous propose alors une différenciation beaucoup plus subtile des types de complexité organisée, comme combinaisons de deux dimensions différentes (Tableau 2.1) : l’origine (naturelle/artificielle) et la possibilité ou non de faire coïncider le système avec un objet bien délimité. Il identifie également des principes de connaissabilité pour les différents types.

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Délimitation : Artificielle Naturelle

Objet délimité Complexité artefactuelle

machine, bâtiment, œuvre d’art

Complexité biologique organisme

Système non délimité Complexité de systèmes d’artefacts système légal, Internet, ville, système

urbain

Complexité écologique écosystème

Tableau 2.1 – Différents types de complexité organisée (élaboration depuis Marshall 2012).

La complexité artefactuelle est celle d’un objet, un système bien délimité, conçu par l’humain : pour une machine, un bâtiment, un œuvre d’art, un concepteur crée un ordre et positionne chaque composante du système selon cet ordre préétabli pour atteindre des finalités recherchées (fonctionnelles, esthétiques, etc.). L’organisation est portée de l’extérieur et le système est, de ce fait, parfaitement connaissable.

L’organisation des systèmes naturels est toujours une auto-organisation : elle émerge, avec une histoire, des dynamiques internes au système en interaction avec un environnement (l’auto-éco-organisation de Morin). On peut néanmoins différencier deux types de complexité dans ces systèmes (on se limitera ici aux systèmes naturels vivants). La première est la complexité que Marshall appelle biologique, celle de l’organisme vivant pris individuellement. Le système est un objet clairement délimité, poursuivants des objectifs (survie et reproduction), suivant un programme (des stades de développement définis par son code génétique), tout en s’adaptant à un environnement. La connaissance de son organisation n’est pas évidente (beaucoup de mécanismes derrière les formes observées restent inconnus à la biologie), mais elle est généralement connaissable dans la mesure où elle reste au sein d’un programme préétabli (l’organisme tend à l’homéostase, c’est-à-dire à un fonctionnement stable en dépit des variations de l’environnement). La complexité d’un écosystème est celle d’un ensemble de communautés d’organismes, en interaction entre elles et avec les composantes abiotiques de l’environnement. Le système est extrêmement ouvert, dans le sens qu’il est essentiellement non délimité (dans un continuum, chaque écosystème est part de la biosphère et poser des limites spatio-fonctionnels stricts à un écosystème ne va pas de soi), ne poursuit pas des objectifs et n’a pas de programme. Des nouvelles composantes peuvent s’ajouter, d’autres peuvent disparaitre. Le système s’adapte en trouvant une nouvelle organisation. Ces mêmes caractéristiques rendent l’organisation du système plus difficilement connaissable : difficultés dans la délimitation opérationnelle du système, imprédictibilité des nouveaux fonctionnements, etc.

Nous venons ainsi au dernier type de complexité organisée, celle des systèmes d’artefacts. Les composantes du système sont individuellement conçues et produites par l’humain, mais aucun concepteur, ni individuel, ni collectif, n’est capable de fournir un programme d’ensemble pour le système. De ce point de vue, l’organisation émerge, éventuellement au sein d’une dialectique entre auto-organisation et tentatives de contrôle, même partiel, par l’humain. Comme les écosystèmes, le système est ouvert, ne possède pas d’objectifs clairs à poursuivre, et l’apparition/disparition de composantes et de relations amène à une redéfinition adaptative de l’auto-organisation. Un système légal, Internet, une langue naturelle, un système économique, montrent précisément ce type de complexité organisée. En ce qui nous concerne, la ville, tout comme un système urbain régional ou national, sont aussi caractérisés par la complexité auto-organisée des systèmes d’artefacts. Aux problèmes de connaissances de la complexité écosystémique se rajoute le problème des incertitudes des conséquences des interventions sur le système.

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En réalité, Jacobs (1961) souligne que la ville n’est pas un organisme vivant, et que l’organisation de ce dernier fournit seulement une analogie utile. L’argument de Marshall est alors que, si une analogie doit être trouvée avec les sciences du vivant, elle doit s’établir davantage avec l’écosystème, ouvert, non téléologique et adaptatif, qu’avec l’organisme. Il reconnait néanmoins que les ouvrages successifs de Jacobs (1970, 2000) utilisent cette analogie écosystémique. Dans ce qui suit, nous allons voir dans quelle mesure cette prise de conscience de la complexité urbaine a pu s’enrichir d’approches computationnelles.

La maturation de théories computationnelles pour la complexité urbaine

Rabino et Scarlatti (2009) soulignent comment l’ordinateur et, plus en général les NTIC, qui avaient permis jusqu’aux années 80 d’implémenter de façon plus rapide et efficace les algorithmes de calcul des modèles classiques, ont successivement permis de bâtir de nouvelles théories computationnelles de la ville en tant que système complexe auto-éco-organisé.

Une première grande direction de recherche concerne les approches computationnelles à la

modélisation des dynamiques de l’émergence de la complexité urbaine. La focale est sur la

complexité agrégée, sur les dynamiques permettant de faire émerger des patterns urbains à partir de la multitude d’interactions entre éléments. La question de fond est la suivante : sommes-nous capables de reproduire l’émergence de patterns, proto-structures, par le jeu de ces interactions ? À différentes questions correspondent différentes échelles et souvent différentes techniques de modélisation : dans les modèles de ségrégation urbaine (depuis celui classique de Schelling 1971) il s’agit de l’interactions entre individus/ménages et les patterns sont des sous-espaces urbains plus ou moins ségrégés ; dans le modèle Simpop (Sanders et al. 1997) l’interaction est celle entre les éléments d’un semis urbain sur un espace national ou macro-régional et le pattern émergent est la hiérarchie et la spécialisation fonctionnelle entre ces villes. Les structures émergentes sont relativement simples, l’effort de recherche est sur les dynamiques de l’émergence. Je ne pourrai qu’esquisser rapidement quelques jalons des recherches ayant contribué à ce long cheminement scientifique, remontant aussi à des travaux précédents, mais sans aucune prétention d’exhaustivité.

L’œuvre d’Alan Wilson « Urban and regional models in geography and planning » (1974) représente bien la transition entre les paradigmes des modèles classiques et l’approche des systèmes complexes. Cet ouvrage est une systématisation des modèles urbains et régionaux produits par l’approche rationnelle et exhaustive, des modèles essentiellement statiques (ou éventuellement aux différences) basés sur l’identification de solutions d’équilibre, selon l’approche classique de l’économie spatiale d’Isard et Alonso. Ces modèles seront raffinés par Wilson par l’introduction des techniques à base d’entropie dans l’estimation des paramètres de l’interaction spatiale. Wilson reconnait qu’il s’agit de techniques aptes à décrire la complexité désorganisée plus que celle auto-organisée de la ville mais, après tout, la théorie « forte » des modèles gravitaires étant acceptée en tant qu’organisatrice de la spatialité des fonctions urbaines, l’approche de la maximisation de l’entropie revient à imposer les contraintes microscopiques les plus faibles possibles à cette organisation.

Après l’ouvrage fondateur de Forrester (1969), l’approche des systèmes dynamiques d’équations différentielles féconde la modélisation urbaine au tournant des années 70 et 80. Pumain (1998) identifie deux grandes familles de recherches dans cette direction. La première est celle des modèles analytiques de la croissance urbaine, où le couplage de dynamiques non-linéaires entre les variables urbaines permet d’étudier l’émergence de familles de trajectoires différenciées, définissant des régimes dynamiques caractérisés par la présence d’attracteurs différents. Au début des années 80, Wilson explore ainsi les implications morphogénétiques de la théorie des catastrophes de René Thom

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sur les systèmes urbains (Wilson 1981), mais il n’en ressort pas des modèles opératoires pour l’aménagement urbain. Les modèles écologiques de type Lotka-Volterra et ceux à base d’équations maîtresses dérivées de la théorie de la synergétique d’Haken (1978) sont également étudiés. L’approche synergétique produit un résumé probabiliste de l’ensemble des trajectoires possibles d’unités élémentaires dans leurs transitions d’état, permettant de parvenir à des équations déterministes liant les valeurs moyennes de ces entités élémentaires, et par là les transitions des états macroscopiques du système. Weidlich et Haag (1988) modélisent ainsi le système des migrations interrégionales. Dans « Système de villes et synergétique », Lena Sanders (1992) travaille à l’échelle d’un système de villes.

En synergétique, les dynamiques macroscopiques sont ainsi dérivées des probabilités des mobilités définies à un niveau micro. L’analogie avec les démarches de la thermodynamique et de la mécanique statistique est évidente, mais ces approches permettent de faire sortir l’organisation des systèmes de villes des postulats de l’équilibre économique qui avaient fondé les modèles de Christaller (1933) et de Lösch (1940) pour les situer dans celui de la science de la complexité. Pumain (1998) observe néanmoins que le passage micro-macro, établi au niveau théorique, est grandement simplifié dans les implémentations computationnelles, qui travaillent essentiellement avec le niveau agrégé des variables d’état du système.

Une seconde famille de modèles dynamiques de systèmes d’équations différentielles sont ceux qui modélisent l’émergence des structures urbaines, c’est-à-dire des patterns de localisation d’activités, de populations et de services à l’échelle intra-urbaine (la ville étant préalablement tessellée par un zonage administratif ou fonctionnel). À propos de ces structures, Pumain (1998) parle même de « formes », un concept que je développerai dans bien plus de détail dans la Section 3.1.

Les modèles de Wilson (Harris et Wilson 1978, Clarke et Wilson 1985), introduisent toujours l’hypothèse que l’on puisse trouver quelques situations d’équilibre dans les dynamiques non-linéaires de la localisation des fonctions urbaines dans l’espace, permettant ensuite d’identifier des patterns de flux de navetteurs maximisant l’entropie. « Complex Spatial Systems » (Wilson 2000), tout en faisant une référence explicite à la théorie des systèmes complexes, est une systématisation ultérieure de la modélisation urbaine classique : les modèles se « complexifient » dans le sens d’augmenter le nombre de paramètres et la finesse des méthodes d’estimation des paramètres, les imperfections des marchés peuvent être introduites dans les modèles, les usages des sols peuvent être couplés aux modèles de transport, les approches entropiques justifient théoriquement et opérationnalisent l’estimation des paramètres, les zonages considérés peuvent être plus fins qu’auparavant et les critiques de Lee ont pu être rejetées par la contre-analyse de Klosterman (1994), intégrant les plus récentes avancées de la modélisation urbaine et la plus grande disponibilité de données. Mais la focale est toujours celle de l’aménagement de l’après-guerre : prédire et contrôler l’usage des sols, l’allocation de ressources et les interactions spatiales. Wilson identifie des nouveaux défis pour la modélisation (la micro-simulation toute naissante, l’enjeu de pouvoir « prédire » les changements structurels des systèmes spatiaux, etc.), mais le message subjacent à son ouvrage semble être le suivant : les nouveaux modèles, plus sophistiqués des modèles des années 60 et 70 et bénéficiant d’une puissance de calcul informatique supérieure, donnent l’impressionde pouvoirencore répondreauxbesoinsdeconnaissance du rational

comprehensive planning.

Les modèles d’Allen et Sanglier (1979) et de Pumain et al. (1989) ne partent pas de l’identification des états d’équilibre dans les dynamiques non linéaires. L’objectif de ces modèles est précisément d’explorer avec une plus grande liberté les bifurcations possibles à long terme dans les dynamiques et l’organisation interne de la ville. L’ouvrage successif de Peter Allen « Cities and Regions as

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Organizing Systems: Models of Complexity » (1997) systématise ces résultats et souligne le rôle des

relations entre le niveau microscopique des agents individuels et celui macroscopique des structures urbaines résultantes, qui créent les contraintes en termes de coûts et de bénéfices pour les décisions individuelles. Allen propose un débouché pratique à ces modèles d’auto-organisation dynamique en termes d’aide à la décision. Mais, dans l’impossibilité de prévoir l’évolution future des systèmes urbains, il suggère de les employer pour explorer des évolutions possibles, sous le jeu de multiples hypothèses, permettant d’avoir une vision qualitative de la robustesse de certaines hypothèses d’aménagement.

Globalement, dès le milieu des années 1990, on reconnait la centralité des approches de la complexité (et en particulier de la complexité computationnelle) dans les quatre grandes disciplines de la ville : la géographie, l’urbanisme/aménagement, l’économie et la sociologie, comme témoigné par le séminaire international sur la ville et ses sciences, organisé à Péruse en 1996 par l’Association Italienne de Science Régionale (Bertuglia et al. 1998). Au cours des années 90, la modélisation des dynamiques de l’émergence de la complexité urbaine dépasse le seul cadredes modèles à base d’équationsdifférentielles. Lesnouvelles techniques de la géocomputation (les automates cellulaires et les systèmes multi-agents) se posent comme une alternative particulièrement intéressante à la simulation de la complexité urbaine. On peut ainsi implémenter des règles d’interaction entre des agents élémentaires (éléments surfaciques, ménages, agents économiques) et étudier le rapport avec les formes émergeantes au niveau macroscopique de façon beaucoup plus souple que par un jeu d’équation différentiels. L’ordinateur ne sert alors plus pour trouver une solution numérique à un problème analytique, mais pour formuler un modèle différend de la ville, un modèle algorithmique qui n’implique pas le passage par des équations analytiques.

Juval Portugali (2000) est le premier à explorer de façon cohérente le potentiel des nouvelles techniques de géocomputation pour reproduire les formes émergentes de la ville (macro-forme, organisation fonctionnelle, ségrégation socio-spatiale en déclinant sur des espaces urbains réels l’approche de Schelling, diffusion de l’innovation, etc.). Une importante direction de recherche en modélisation urbaine a ainsi pu s’établir (Torrens 2002, Benenson et Torrens 2004, Portugali et al. 2012), avec les mises-en-garde épistémologiques que j’ai présentées dans la Section 1.3 (O’Sullivan 2004). L’exploration de l’espace des paramètres des modèles de géosimulation a également émergé comme un enjeu scientifique, qui a récemment trouvé une solution dans l’emploi du calcul intensif (Pumain et Reuillon 2017).

Je n’irai pas plus loin dans la présentation des approches de géosimulation de la complexité agrégée car elles ne constituent pas l’essentiel de mes recherches sur les espaces urbains, avec quelques exceptions. J’ai notamment proposé une modélisation multi-agent de l’interaction entre pressions urbaines et économie viticole dans le vignoble de Bandol (Fusco et Caglioni 2014), dans le périurbain toulonnais. Et je participe actuellement à un groupe de recherche interdisciplinaire pour introduire la perception et la cognition des agents urbains, en géosimulation, selon un cadre

Belief-Desires-Intensions encontexte d’incertitude (Vanegas et al.2017). Ces recherches m’ont permis de mieux saisir

les spécificités et le potentiel des modélisations à base d’agents, mais ne seront pas mises à contribution de cet essai.

Une seconde grande direction de recherche quantitative sur la complexité urbaine, sont les

approches computationnelles à la complexité structurelle de la ville. La focale est ici sur l’analyse de

la complexité structurelle, on ne simule pas l’émergence des structures mais on étudie leur enchevêtrement et leur spatialité (niveaux d’organisation, réseaux fonctionnels, formes physiques), éventuellement on simule les fonctionnements liés à ces structures. La forme spatiale (physique,

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fonctionnelle) est identifiée à la fois comme marqueur et comme facteur des fonctionnements complexes de la ville. Les analyses sont normalement intra-urbaines, souvent multi-scalaires, parfois trans-scalaires, comme dans les recherches sur la fractalité de la ville (Batty et Longley 1994, Batty et Xie 1996, Frankhauser 1994) et abordent rarement les systèmes urbains régionaux ou nationaux. Les approches réticulaires participent également des recherches sur la complexité structurelle de la ville. Les géographes et urbanistes travaillant dans cette direction (Porta et al. 2006a, 2006b, 2010) nouent également des liens importants avec la communauté des réseaux complexes, qui avait déjà fécondé les recherches de la sociologie structurelle (Freeman 1977, 1979). Certains auteurs (Hillier et Hanson 1984, Hillier 1996, Salingaros 2005) aboutissent à des théories morphologiques de la complexité urbaine qui renouvellent la recherche sur les relations forme-fonctionnement et ouvrent même sur la morphogénèse de la complexité structurelle de la ville. Ces théories seront plus particulièrement présentées dans le cadre du Chapitre 3, où il sera question de forme urbaine et de relations forme-fonctionnement.

L’ensemble de l’œuvre de Michael Batty, et plus particulièrement, ses deux ouvrages « Cities and

Complexity » (2005) et « A new Science of Cities » (2013) constituent un trait d’union très puissant