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2. TRIPLE DIMENSION DE LA FORMATION ARTISTIQUE À L’ÉCOLE

2.1 Formation artistique en danse

Nous entendons par artistique l’ensemble de la formation (savoirs, savoir- faire et savoir-être sous-jacents au savoir-agir associé au concept de compétence) reliée à la production artistique, plaçant ainsi l’élève dans les postures de chorégraphe et d’interprète (Lascar, 2000; Lord, 2001; Robinson, 1988). Dans ces deux postures, le jeune apprend à inventer et à interpréter des danses de diverses natures (contemporaine, classique, urbaine, folklorique ou traditionnelle, etc.). Pour Pujas et Ungaro (1999), « l’éducation artistique doit éveiller les facultés d’invention, d’imagination, de création, etc. », à condition qu’elle passe par une pratique active de formes d’expression artistique dans le cadre scolaire. Toutefois, on ne peut exclure

les expériences artistiques réalisées en périphérie de l’école (activités parascolaires, récréatives et familiales), lesquelles contribuent, à juste titre, à l’éducation artistique du jeune.

Dans ses écrits philosophiques sur l’éducation, Kerlan (2003) rappelle avec insistance que le mouvement pour la pratique de l’art à l’école et dans la société appartient bien au monde de l’expression de soi, de la subjectivité et de la créativité personnelle. Et, qui plus est : « La “demande” de subjectivité émane d’ailleurs de la société contemporaine tout entière, qui réclame des individus “créatifs”, pour ses propres besoins, notamment économiques. » (p. 114) Le Programme de formation de l’école québécoise au primaire (Gouvernement du Québec, 2001a) répond en quelque sorte à cette demande de subjectivité dont parle Kerlan. Plus précisément, voici comment l’énoncé de compétence Inventer des danses se présente dans le programme d’études en danse intégré au domaine des arts :

L’invention de danses variées qui traduisent sa personnalité, son vécu et ses aspirations permet à l’élève de développer sa créativité par l’action simultanée de l’imagination créatrice, de la pensée divergente et de la pensée convergente, tout en se familiarisant progressivement avec le langage, les règles et les outils propres à la discipline. Le fait de partager son expérience de création et de rendre compte de ses façons de faire lui permet de mieux intégrer ses apprentissages et de les réinvestir ensuite dans d’autres créations. (Gouvernement du Québec, 2001a, p. 226)

Dans une perspective de transmission de savoirs en danse à l’école, Arnaud-Bestieu (2011) souligne que

l’individu en position de chorégraphe effectue un travail de sélection de mouvements, d’agencement des mouvements entre eux tout en jouant sur les paramètres chorégraphiques comme la répétition, l’accélération, le ralenti, la transposition, l’accumulation, le contraste, l’augmentation ou la diminution, le canon, l’unisson, la polyphonie, le contrepoint [...]. (p. 51)

Quant à la compétence Interpréter des danses, elle valorise tout autant la subjectivité de l’enfant en lui offrant la possibilité d’expérimenter des « fragments » du patrimoine chorégraphique, qui résulte, lui aussi, de l’expression de la subjectivité d’innombrables artistes à travers le temps. Le programme d’études en danse la définit de la manière suivante :

Interpréter des danses, c’est exprimer et communiquer des idées, des sentiments, des émotions ou des sensations – les siens propres ou ceux des autres –, en ayant recours au langage, aux règles et aux outils propres à la discipline. L’interprétation de danses variées initie l’élève au monde de la création et de l’expression, lui fait découvrir divers chorégraphes, enrichit son bagage culturel et lui permet de s’ouvrir à la diversité des productions artistiques d’hier et d’aujourd’hui, d’ici et d’ailleurs. (Gouvernement du Québec, 2001a, p. 228)

Toujours selon Arnaud-Bestieu (2011), prendre la posture de danseur- interprète à l’école implique aussi bien l’intégration que la reproduction de mouvements, comme « faire varier les paramètres de celui-ci, improviser, danser en lien avec la musique, danser à l’écoute, danser en relation avec les autres danseurs, interpréter un sentiment ou un rôle ». (p. 51)

La formation artistique éveille la subjectivité de l’enfant, couplée à sa sensibilité corporelle, notamment au moyen de la pratique de la danse. Dans une perspective de transposition didactique13, elle exige aussi de l’enseignant qu’il mette en jeu sa propre subjectivité dans la conception de situations d’enseignement- apprentissage. Cet acte didactique ne relève pas uniquement d’une sélection et d’un

13 Au tournant des années 1990, Chevallard et Johsua (1991) ont contribué à développer le concept de transposition didactique dans le champ de la didactique des mathématiques. J’y reviendrai plus en détail dans le deuxième chapitre, qui présente les assises conceptuelles du projet de recherche. Il demeure que, 20 ans plus tard, Félix (2011) reprend la définition de ce même concept convoqué, cette fois-ci, dans le champ de la didactique de la danse : « Les didactiques parlent de processus de transposition didactique pour expliquer comment, en fonction de certains choix épistémologiques et politiques, un objet culturel identifié – la danse, par exemple – se trouve transformé en un objet d’enseignement. Il s’agit d’un processus à partir duquel la définition d’un objet d’enseignement permet de penser et de structurer les savoirs à enseigner et enseignés en milieu scolaire notamment. » (p. 432)

agencement pragmatique de contenus à enseigner : il implique aussi une phase d’émergence d’idées comparable à la phase d’ouverture de la démarche de création artistique (Gosselin, 2001). C’est au cours de cette phase que les sensations, les impressions et les idées foisonnent et que l’enseignant peut imaginer, déjà, comment les objets de savoirs disciplinaires et culturels vont s’articuler dans une situation qui engage l’imaginaire et la sensibilité corporelle de l’élève. En effet, parce que la danse est une des rares disciplines scolaires pour lesquelles on ne conçoit pas de matériel didactique14, les situations d’apprentissage préparées par les enseignants semblent être le fruit de leur créativité artistique et de leur ingéniosité didactique15 (Schubauer- Leoni et Dolz, 2004; Monnier, 2009). Ces deux aspects, qui interagissent dans la préparation de l’enseignement et des apprentissages, s’expriment aussi à travers le rapport singulier que l’enseignant entretient avec la danse comme forme d’art en dialogue avec d’autres manifestations de la culture. Par extension, ils se manifestent également dans l’intervention éducative, ce qui suppose une dynamique relationnelle avec des élèves ayant chacun leur propre rapport aux arts et aux autres repères culturels16. Faute de s’appuyer entièrement sur des savoirs de référence (Chevallard et Johsua, 1991) comparables à ceux que la science a formalisés à travers les siècles, les pratiques d’enseignement de la danse à l’école sont résolument enracinées dans la subjectivité et l’autonomie disciplinaire de l’enseignant, mais également, comme Félix (2011) le mentionne, dans sa capacité « de créer une relation intersubjective avec autrui ». (p. 106)

14 Je discuterai plus loin des raisons pour lesquelles la danse à l’école québécoise se trouve dépourvue de matériel didactique à l’intention du personnel enseignant.

15 Schubauer-Leoni et Dolz (2004) précisent que l’ingéniosité didactique de l’enseignant dans des pratiques scolaires quotidiennes comporte différentes facettes. Ces pratiques sont conçues « à la fois comme trace d’intelligibilité inventive, d’habiletés diverses face aux imprévus, de débrouillardise dans des circonstances les plus diverses mais aussi comme ruse [...]. » (p. 159)

16 Dans le Document de référence sur l’Intégration de la dimension culturelle à l’école (Gouvernement du Québec, 2003a), on propose de définir les repères culturels comme « des objets d’apprentissage signifiants sur le plan culturel, dont l’exploitation en classe permet à l’élève d’enrichir son rapport à lui-même, aux autres ou au monde [...]. » (p. 9)