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Avant de présenter le modèle de transposition didactique que Chevallard a élaboré pour la didactique des mathématiques, il apparaît opportun de revenir aux définitions de la didactique au singulier et des didactiques au pluriel, puisque la notion de transposition didactique a contribué à alimenter les débats sur ces deux axes fort rapprochés de la recherche en éducation. La pertinence scientifique de la notion de transposition didactique réside entre autres dans le fait que celle-ci intègre plusieurs concepts fondamentaux de la didactique, notamment le « rapport au savoir ».

1.1 La didactique versus les didactiques

Des nombreuses définitions de la didactique en tant que l’une des sciences de l’éducation, nous retenons celles proposées par Vergnaud (2008) et Johsua (2002) pour leur clarté et leur résonance épistémologique. Pour Vergnaud (ibid.), la didactique au singulier « étudie chacune des étapes de l’acte d’apprentissage et met en évidence l’importance du rôle de l’enseignant comme médiateur entre l’élève et le savoir [...]. De l’épistémologie des disciplines aux avancées de la psychologie cognitive, c’est l’ensemble du processus construisant le rapport au savoir qui est analysé. » (p. 273) De manière tout aussi convergente, Johsua (ibid.) « réserve le terme “didactique” à toutes les situations d’études qu’on peut analyser ou éclaircir en suivant prioritairement le fil du rapport au savoir ». (p. 19) Dans le contexte de la présente thèse, qui s’intéresse à la fois aux transformations des savoirs et au rapport qu’entretiennent les enseignants avec ceux-ci, il est difficile de faire fi du concept de « rapport au savoir » que Charlot (2005) a théorisé au bénéfice des recherches en sciences humaines et particulièrement en sciences de l’éducation.

Parmi les définitions précisant ce à quoi les didactiques au pluriel se rattachent, nous retenons celle de Terrisse (2005) et celle de l’entrée du Dictionnaire des concepts fondamentaux des didactiques (Reuter, 2007) pour leur convergence épistémologique. Selon Terrisse (ibid.), les didactiques des disciplines se caractérisent « par une centration sur les contenus d’enseignement que dispensent des disciplines scolaires comme les mathématiques, les sciences physiques, l’éducation physique et sportive ou les langues ». (p. 102) Ce que l’entrée du Dictionnaire (ibid.) confirme en qualifiant « les didactiques comme les disciplines de recherche qui analysent les contenus (savoir, savoir-faire...) en tant qu’ils sont objets d’enseignement et d’apprentissage référés/référables à des matières scolaires ». (p. 69) Si ces définitions mettent en évidence les contenus disciplinaires qui se trouvent au cœur de la notion de transposition didactique développée par Chevallard, nous avons aussi constaté que les écrits dans le champ des didactiques (Caillot 2002, 2005; Jonnaert 2002b, 2005; Paun 2006, St-Jacques, 2007) ne traitent jamais de la notion de transposition didactique en dehors de la question plus large du « rapport au savoir ».

1.2 Résonance conceptuelle entre les notions de rapport au savoir et de transposition didactique

Nous venons de voir que la question du « rapport au savoir » est prise en charge par le champ de recherche de la didactique au sens large, alors que la notion de transposition didactique relève des didactiques au sens disciplinaire. Néanmoins, il apparaît nécessaire d’explorer la notion de transposition didactique développée par Chevallard et Johsua (1991) en prenant en compte le concept de « rapport au savoir » que Charlot (2005) propose de définir ainsi : « Le rapport au savoir est l’ensemble (organisé) des relations qu’un sujet entretient avec tout ce qui relève de l’apprendre et du savoir. » (p. 94) Dans le système didactique, ces deux concepts sont soudés par le

fait qu’ils contribuent à éclairer le processus d’enseignement-apprentissage57 et à mieux comprendre comment l’enseignant opère une médiation entre l’élève et le savoir scolaire à mobiliser. La notion de transposition didactique résulte de ce « “travail” qui, d’un objet de savoir à enseigner, fait un objet de savoir d’enseignement [...] ». (Chevallard, 1991, p. 39) En écho à la thèse d’Astolfi (2008, p. 45) sur la « saveur » des savoirs disciplinaires, le travail de transposition didactique ne consiste pas en une « abréviation » des savoirs enseignés, mais plutôt en une « élémentation » ou une distillation susceptible de mieux « alimenter » le rapport que l’élève entretient avec les savoirs disciplinaires.

Parce que le concept de « rapport au savoir » est de plus en plus emprunté par les sciences de l’éducation et qu’il provient de divers cadres théoriques58, Caillot

(2005) a tenu à préciser « l’usage du “rapport au savoir” fait en didactique en s’assurant d’une certaine vigilance épistémique ». (p. 113) Selon lui, il faut distinguer le savoir au singulier, des savoirs au pluriel. Alors que le savoir au singulier apparaît « comme la somme de savoirs régionaux liés aux disciplines et aux pratiques professionnelles » (ibid., p. 114), les savoirs au pluriel sont des savoirs scolaires spécifiques, propres à chacune des disciplines du curriculum formel. S’intéresser aux pratiques de transposition didactique implique donc de se concentrer sur les savoirs au pluriel, compris comme des contenus d’enseignement essentiels, et, inévitablement, de s’intéresser aux manières de les transmettre au sein même de l’école, soit plus précisément à travers les divers types de tâches fondatrices des disciplines scolaires (comme résoudre graphiquement une équation en mathématique ou apprécier une œuvre chorégraphique en classe de danse). Il est ici question de la

57 Pour Vienneau (2005), le processus d’enseignement-apprentissage « suggère une interaction dynamique entre les résultats d’apprentissage poursuivis par les intervenants scolaires, les activités d’apprentissage permettant d’atteindre ces résultats et les méthodes de rétroaction et de mesure servant à évaluer la réalisation de ceux-ci ». (p. 41-42).

58 Il convient ici de se référer à M. Lamine (2002), qui situe de façon limpide les différents cadres théoriques dans lesquels on a développé le concept de « rapport au savoir » : sociologique avec Bourdieu et Passeron (1970), microsociologique avec Charlot (1997), psychanalytique avec Lacan (1990) et Beillerot, Blanchard-Laville et Mosconi (1996), anthropologico-didactique avec Chevallard (1992).

dimension praxéologique de la didactique au sens où Chevallard (2007) la définit comme « la science des conditions, des contraintes, des mécanismes de la diffusion praxéologique ». (p. 12)

En complément à cette distinction terminologique, Caillot (2005) précise qu’il existe deux entrées principales pour étudier la question du « rapport au savoir » dans le domaine de l’éducation : celle du sujet (au singulier) et celle du savoir (dans son acception au pluriel, comme le souligne Caillot). L’entrée du sujet est associée à l’approche psychanalytique, notamment avec Beillerot, Blanchard- Laville et Mosconi (1996), et sociologique, avec Charlot (1997). La première approche s’intéresse au sujet psychique et à son « désir » de savoir, compris comme une pulsion au sens où l’entendait Freud, alors que la seconde s’intéresse au sujet social dans le rapport de sens qu’il entretient avec l’apprentissage en milieu scolaire. L’autre entrée du « rapport au savoir » se situe quant à elle du côté du savoir, avec le prolongement des travaux de Chevallard et Johsua (1991) et Chevallard (1992) sur la transposition didactique vers une théorie anthropologique du didactique (TAD), que M. Lamine (2002) résume à partir des écrits de Chevallard :

Ce courant de recherche se distingue des autres d’une part, par l’intérêt qu’il porte au savoir pour étudier la problématique du « rapport au savoir » et par la prise en compte de la relation qu’entretient un sujet ou une institution avec un objet de savoir d’autre part. Il existe donc deux grands types de rapports au savoir : des rapports individuels pour chaque individu et des rapports institutionnels pour chaque institution. (p. 2)

À propos de l’approche anthropologique du « rapport au savoir » développée par Chevallard, Caillot (2005) précise « qu’un objet peut être connu d’une certaine façon dans l’institution famille et être connu différemment dans l’institution école ». (p. 120) On peut penser que tel est le cas de la danse, une pratique culturelle vécue différemment en famille ou en contexte social qu’en milieu scolaire. Rappelons aussi la diversité des offres de pratiques sociales (nombreux styles et genres de danse), dont

les finalités ne sont pas les mêmes en milieu scolaire (danse à vivre et à voir pour construire sa vision du monde) qu’en milieu du loisir (danse à vivre et à voir pour occuper sainement ses temps libres).

Parce que la danse a été intégrée assez récemment à l’institution scolaire québécoise, il apparaît d’autant plus pertinent de l’étudier par l’entrée du savoir, qui donne accès aux phénomènes transpositifs dans l’enseignement. C’est pourquoi il convient de présenter la notion de transposition didactique depuis ses origines dans le domaine de la sociologie jusqu’à sa migration ultérieure vers le domaine de l’éducation.