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Chapitre 5 : Discussion

5.4 Forces et limites de l’étude

La prochaine section discutera des forces et limites de notre étude qui devront être considérées lors de l’interprétation des résultats. La majorité d’entre elles ont déjà été abordées dans le chapitre 4 (article 2) de ce mémoire.

La principale force de notre étude a été l’inclusion de variables dépendantes appartenant à différentes sphères de la CCG et de l’expérience douloureuse en général. Les effets bénéfiques modérés à forts notés suite à l’intervention nous permettent d’intégrer les connaissances relatives à ces divers champs dans un contexte clinique. L’amélioration de l’amplitude de mouvement au TFRC suite à l’intervention, parallèlement à l’amélioration des symptômes douloureux et de la perception de la fonction physique, est cohérente avec l’hypothèse initiale assumant proposant qu’une intervention en physiothérapie visant à ramener la mobilité du segment dans les limites de la normale pourrait avoir un impact positif sur un des éléments associés à la CCG. Les effets bénéfiques démontrés sur les facteurs cognitivo-affectifs reliés à la douleur sont également en harmonie avec cette hypothèse à dominance biologique et pathomécanique, mais également avec les effets répertoriés de la thérapie manuelle en physiothérapie ainsi que son utilisation dans le cadre du modèle biopsychosocial de la douleur.

L’ajout des facteurs cognitivo-affectifs reliés à la douleur a démontré que ces facteurs étaient peu dominants dans la présentation clinique notre échantillon. Toutefois, les pensées catastrophiques semblaient plus importantes que les autres facteurs chez nos participants avant l’intervention. C’est d’ailleurs le seul facteur pour lequel la valeur seuil dite problématique sur l’outil de mesure était atteinte avant l’intervention. C’est également

sur ce facteur que les bénéfices ont été les plus importants en ce qui concerne les facteurs cognitivo-affectifs.

La mesure de l’intensité de la douleur dans deux contextes différents est également un ajout intéressant en comparaison à d’autres études cliniques similaires. L’outil utilisé, l’ÉVA, est régulièrement utilisé dans un contexte clinique et a démontré une bonne validité avec cette population (MacDowall et al., 2018). Toutefois, son utilisation sporadique ne permet pas d’obtenir un portrait global de la condition du patient dans le temps. L’ajout d’un journal de bord avec le même outil permet d’apprécier l’intensité de la douleur ressentie au moment où elle est ressentie et donne également une indication plus précise de son évolution. Curieusement, une incohérence entre les deux contextes a été notée dans notre échantillon : d’une part, les douleurs rapportées lors de la rencontre initiale et en présence du clinicien étaient plus élevées que les résultats de la période pré-intervention du journal de bord alors que l’intensité évoquée en clinique à la fin de l’intervention était très similaire aux scores rapportés quotidiennement à la fin de l’expérimentation. Cette inconstance soulève plusieurs questionnements quant à la validité du contexte de la mesure, à notre méthodologie ainsi qu’à la possibilité de biais. À notre avis, une hypothèse qui pourrait partiellement expliquer ce phénomène pourrait être dû à un biais de mémoire, puisque la prise de mesure en clinique pré-intervention a été réalisée à un moment où les participants n’étaient pas nécessairement en épisode de douleur. Aussi, cette discordance pourrait également être relié à une certaine forme de biais de désirabilité, où les patients pourraient avoir surestimé l’intensité de leurs symptômes dans l’objectif d’être admis dans l’étude. Nous avons utilisé l’approche Mulligan telle qu’habituellement pratiquée dans un contexte clinique, en combinant une technique de traitement manuelle exécutée par un physiothérapeute à un exercice d’auto-mobilisation cohérent avec la technique. Cette approche permet à la fois de bénéficier des effets positifs de la thérapie manuelle et de maintenir les gains acquis en clinique et d’encourager l’auto-responsabilisation du patient.

Les paramètres utilisés sont conséquents avec la description originale de l’approche (Mulligan, 2010) et sont facilement reproductibles en recherche tout comme en clinique. L’exploration des propriétés prédictives du TFRC est une nouveauté importante et pourrait ouvrir la voie à l’évolution des connaissances scientifiques et cliniques. Tel que discuté au chapitre 2, ce test a démontré une très bonne validité et fidélité dans la mesure de l’amplitude rotatoire C1-C2 et est fortement conseillé par les plus grands experts de la céphalée en physiothérapie (Luedtke et al., 2016). Le TFRC est par contre presqu’exclusivement utilisé à des fins diagnostiques, alors que l’information potentielle transmise par cette manœuvre pourrait aider les cliniciens à dépister des déficits de mobilité plus subtils, quantifier ces déficits, mesurer l’amélioration biomécanique dans le temps et, possiblement, guider la prise en charge. Bien que nous n’ayons pas mis en lumière de lien entre le résultat du TFRC pré-intervention et l’amélioration sur deux variables dépendantes d’intérêt importantes pour les patients, soit l’intensité de la douleur et la perception de fonction physiques, nous croyons que cette question soit pertinente et qu’elle doit être étudiée plus en profondeur afin d’optimiser la prise en charge.

La plus grande limite de notre étude réside dans l’absence d’un groupe comparatif. En l’absence d’un groupe témoin, nous ne pouvons statuer de l’efficacité de la thérapie proposée. De plus, nous ne pouvons affirmer que les effets bénéfiques notés sont réellement dus à notre intervention. Le simple fait d’effectuer une prise en charge en clinique, indépendamment des modalités thérapeutiques utilisées, peut avoir contribué à l’amélioration clinique des patients. Nous pourrions également soupçonner que l’évolution naturelle de la pathologie soit responsable d’une certaine amélioration. Cette hypothèse apparait toutefois peu probable en considérant la durée moyenne des symptômes dans le temps chez les patients inclus dans notre étude (12,34 ans).

L’absence de suivi à moyen-terme ou à long-terme constitue une autre faiblesse de notre expérimentation. Bien que notre intervention ait engendré des bénéfices importants, nous ne sommes pas en mesure de déterminer la durée de ces améliorations dans le temps. Dans le contexte où la durée moyenne de la CCG chez notre échantillon était importante (12,34

ans), il devient pertinent de se questionner sur la durée des bénéfices pour mieux justifier l’intégration clinique de cette approche.

Nous reconnaissons également que la taille d’échantillon de notre étude était potentiellement trop petite pour évaluer l’effet de notre intervention sur certaines variables dépendantes. Bien que le calcul de taille d’échantillon fût amplement suffisant pour obtenir la puissance statistique souhaitée sur la variable dépendante principale (intensité de la douleur), ce calcul n’a pas été effectué sur les autres variables dépendantes. Ainsi, il est possible que la validité externe de notre étude soit affectée en ce qui concerne nos résultats concernant l’amplitude de mouvement cervicale, la perception de fonction physique et les facteurs cognitivo-affectifs. Malgré tout, les calculs de puissance statistique effectués a posteriori ont démontré l’atteinte d’une puissance de 1,00 pour chacune des variables.

En plus d’être le physiothérapeute ayant prodigué l’intervention, j’ai joué plusieurs rôles tout au long de l’expérimentation : faire les choix méthodologiques, obtenir le consentement éclairé, réaliser le recrutement des participants, prodiguer l’intervention, effectuer la collecte des données, mesurer l’effet de l’intervention, analyser les résultats et rédiger le manuscrit. Il est évident que l’étendue de ces rôles a pu entraîner certains biais qui peuvent mener à une surestimation des résultats obtenus. Tout d’abord, la prise de mesure de l’amplitude de mouvement cervicale a pu être sous-estimée lors de la collecte de données initiale et surestimée suite à l’intervention, principalement lors du TFRC puisqu’il s’agit d’une manœuvre passive. En second lieu, un biais de performance est possible dans l’application de la technique de traitement. Bien que nous n’ayons utilisé qu’une seule intervention chez un seul groupe, l’objectif secondaire de l’étude nous a amené à créer deux sous-groupes (soit, les patients ayant un TFRC positif et les patients ayant un TFRC négatif lors de la collecte de donnée initiale), ce qui peut influencer la façon dont l’intervention a été réalisée entre ces deux sous-groupes. Finalement, le lien développé avec les participants tout au long du déroulement de l’étude a pu créer un biais

de désirabilité sociale, amenant les patients à sous-estimer leurs symptômes ou leurs limitations avec les outils d’évaluation auto-rapportés.

En tant que clinicien, je possède une expérience de 9 ans en thérapie manuelle et détiens une formation avancée en thérapie manuelle (Fellow of the Canadian Academy of Manipulative Therapy) ainsi qu’une formation spécifique pour l’utilisation des techniques de type Mulligan. Ceci pourrait alors limiter la transférabilité à des thérapeutes moins expérimentés ou moins formés dans cette sphère de la physiothérapie. Toutefois, tel que démontré par Hall et collaborateurs (Hall et al., 2008) l’expérience de l’évaluateur n’a qu’un faible impact sur la fidélité du TFRC, ce qui laisse croire que les résultats concernant la mobilité lors de ce test ne seraient que peu affectés.

Malgré les limitations principales de notre étude, soit l’absence de groupe témoin, l’absence de suivi à moyen ou long-terme, la petite taille d’échantillon et mon implication importante dans toutes les étapes du processus de recherche, nos résultats positifs suggèrent que l’approche Mulligan, combinant les mobilisations de type SNAG ainsi que les exercices d’auto-SNAG, pourrait présenter des bénéfices importants sur toutes les sphères de la douleur reliée à la CCG. Les choix méthodologiques ont été effectués en respectant la faisabilité du projet dans un contexte de maîtrise. Les auteurs espèrent que ce projet a suscité un intérêt auprès des chercheurs et cliniciens s’intéressant aux différents thèmes abordés et que la nouveauté présentée dans cette étude engendrera de nouvelles questions de recherche pour des projets de plus grande envergure.

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