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La force d’un groupe

CHAPITRE 4 : PRÉSENTATION DES RÉSULTATS

4.4 L’art communautaire : un levier d’intervention sociale

4.4.1 Les facteurs de changement

4.4.1.1 La force d’un groupe

En effet, essentiellement, la complicité, la création de liens, le développement d’un réseau de soutien et le sentiment d’appartenance à un groupe sont des forces motrices et des retombées inespérées pour les participantes du projet. L’effet de groupe a influencé leur expérience puisqu’elles s’apportaient, entre elles, aide, support et assistance :

Mais les pairs qui sont assis ensemble dans le groupe qui forme une unité solide, leur influence est extrêmement grande sur la personne qui vit une situation particulière. Le soutien qu’elles vont apporter, l’écoute, les conseils qu’elles vont donner, ç’a beaucoup de poids. Donc, c’est vraiment une intervention qui se fait collectivement par un groupe en fait (R 5).

La force d’un groupe … c’est quelque chose de très particulier et de très bénéfique.

Tu trouves dans l’énergie d’un groupe comme ça, des choses qui n’arriveront pas individuellement. Une dynamique de groupe ça apporte des choses, je pense. C’est

C’était vraiment quelque chose qui m’a supportée. Le support des femmes, et de voir les mêmes personnes chaque semaine (R 3).

R 3 ajoute que pour elle, « Décliner votre identité » est devenu un endroit privilégié où elles peuvent s’entraider, autant dans leur processus de création artistique que dans leurs souffrances, et leur cheminement personnel :

Le fait de souffrir avec d’autres gens, ça aide à surmonter la souffrance, d’être capable de partager, de voir comment on peut s’entraider. Le support c’est indispensable. Je pense que c’est ça qui m’a touchée avec Art Entr’Elles : que même si j’ai eu une mauvaise journée, j’avais l’art qui m’attendait, j’avais les femmes, les sourires et les rires des autres.

Elle précise d’ailleurs que c’est grâce à ce soutien mutuel qu’elle a commencé à s’ouvrir aux autres femmes :

Au début, quand j’ai commencé à y aller, c’était vraiment difficile pour moi parce que je ne connaissais personne. … Je m’assoyais dans mon coin, j’écoutais le monde, mais je ne faisais rien. Je ne disais rien. Des fois, elles les autres participantes me poussaient tsé « hey, qu’est-ce que tu penses ? ». Donc j’ai commencé à m’ouvrir (R 3).

D’autres participantes renchérissent sur le développement d’un sentiment de confiance et de soutien mutuel :

On dirait qu’on s’entraide entre nous. Il y a des liens d’attachement qui se développent et ces liens d’attachement là, parfois, quand c’est plus difficile, ben on s’encourage entre nous (R 6).

Tout le monde se faisait confiance autour de la table. Il s’est dit des choses quand même assez intimes. Tsé, l’amitié et les liens qui se sont développés …. Les femmes se font confiance, elles sont plus portées à se confier aussi (R 1).

C’était vraiment le soutien entre les filles qui a marqué les participantes. Vraiment, toutes les filles se soutenaient (R 2).

Deux autres participantes ajoutent que le groupe leur a non seulement facilité la transition entre la prison et la réinsertion sociale, mais qu’il leur a également permis de s’entourer de personnes qui les comprennent :

Tant que je garde ce lien-là, je suis moins en danger. Entéka, c’est l’impression que ça me donne … ça me prend absolument un réseau qui reste dans ma vie (R 1).

Ça faisait du bien de revoir les mêmes filles chaque semaine. De voir leur évolution

aux autres participantes dans leur parcours de réinsertion, ça faisait du bien aussi. De s’encourager …. Même si nos parcours de réinsertion étaient bien entamés, ça fait du bien de partager avec des femmes qui ont relativement vécu les mêmes choses (R 6).

L’effet de groupe a permis aux femmes de développer un sentiment d’appartenance qui, rappelons-le, est important dans leur vie :

C’est une façon de vaincre la solitude. Tsé, souvent, ton réseau, ce n’est pas un réseau ben ben profitable pour toi et ben ben aidant. Il ne faut pas que tu retournes dans ce réseau-là, faque il faut que tu essaies autre chose. … C’est mieux d’avoir un sentiment d’appartenance avec Art Entr’Elles qu’avec un crack house finalement. …

Le sentiment d’appartenance est plus ou moins présent maintenant dans notre société.

Le lien d’appartenance, bon, tu as l’école, le travail, la famille… pis bon pour elle, à ce niveau ça ne va pas fort. Je pense que c’est primordial pour un être humain un sentiment d’appartenance (R 1).

R 3 spécifie que cette rencontre lui a permis de sentir qu’elle appartenait à un groupe : Quand j’ai rencontré les femmes à Art Entr’Elles, je me sentais plus avec des personnes comme moi (R 3).

Le sentiment d’appartenance permet de modifier l’identité sociale des femmes, car il entraîne une reconnaissance sociale positive. En effet, la reconnaissance et l’approbation de l’autre influencent la perception de soi qui teinte l’identité criminelle des femmes.

Ultimement, parce qu’elle atténue les attributs et les stigmates associés à leur « carrière déviante », cette nouvelle expérience a permis aux femmes de s’attribuer une nouvelle étiquette qui n’est pas « hors norme » aux yeux de la société. Mais encore, l’entraide ne se traduit pas seulement par le support moral et émotionnel au quotidien que s’offrent les participantes. Lindsay et Turcotte (2006) parlent en termes d’altruisme et de partage d’informations : les femmes s’aident entre elles et elles ont besoin de l’une et de l’autre. En effet, comme l’explique R 5, l’entraide est aussi nécessaire dans la démarche collective de création :

Il y a une unité qui se crée dans un groupe qui fait que si ta photo est moche, ben c’est comme toute l’exposition qui en prend un coup. Faque, il faut que toutes les photos soient géniales. Pis c’est vraiment sincère (R 5).

R 3 ajoute :

On était toutes là pour se supporter. Donc moi quand j’ai pris ma photo, tout le monde était là. Il y en a une qui tenait une lumière, l’autre qui tenait la chose pour faire bondir la lumière, pis une était là pour prendre mon chien. On était toutes là l’une pour l’autre, pour nos projets. Et on a lu nos poèmes, on a fait tout un processus de brainstorming ensemble. Et c’était oui, ma photo, mais c’était le travail de tout le monde. Donc, c’est le soutien qu’on s’offre qui était vraiment important. Parce que s’ils m’avaient dit

« bon, va chez toi, écris un poème, décris-moi la photo que tu vas prendre », je n’aurais jamais su quoi faire. C’était vraiment le fait de parler avec les autres, de donner des idées, de voir ce que les autres femmes pensaient aussi, qu’est-ce qu’elles allaient faire (R 3).

En bref, ces atouts du projet sont semblables aux facteurs d’espoir, de cohésion et d’universalité comme décrits par Turcotte et Lindsay (2008). Le groupe a en effet permis aux femmes d’une part de prendre conscience du fait qu’elles n’étaient pas seules à vivre des difficultés en lien avec leur passé judiciaire, et d’autre part, de s’entraider et de se soutenir à travers leur processus de réinsertion sociale. Ces conditions favorisent la participation des femmes et suscitent un changement. Ce contexte est favorable aux échanges, à l’ouverture et aux confidences dans un