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Être désignée « déviante »

CHAPITRE 5: DISCUSSION

5.1 Avoir des démêlés avec la justice : un facteur d’exclusion

5.1.2 Être désignée « déviante »

La judiciarisation marque l’identité des personnes (Chantraine, 2003). Pour les répondantes, il était difficile de prendre leur place et d’avoir une seconde chance dans une société qui rappelle de manière directe ou indirecte les erreurs du passé. La théorie de l’étiquetage de Howard Becker (1985) nous permet de comprendre comment un individu intègre l’étiquette de déviant. À l’instar de cet auteur, c’est le processus social de la déviance qui assigne une femme judiciarisée dans la catégorie de déviants.

Pour Becker (1985), l’étiquette est posée avec succès lorsque l’individu intègre l’image qu’on lui projette. C’est en ce sens que nous pouvons croire que les participantes ont intériorisé

Pour Lavigne (1999), « la personne incarcérée commence à intérioriser son existence en tant que détenue » (Lavigne, 1999, p. 95). L’incarcération confirme le caractère « déviant » des personnes. Il va sans dire qu’être femme et criminelle comporte des risques importants de stigmatisation. Comme l’ont expliqué les participantes, les jugements sont beaucoup plus sévères envers une femme criminelle qu’envers un homme. Pour Combessie (2005), le fait d’être femme et criminelle entraîne une double stigmatisation, soit celle de la « criminelle » et celle de la « femme déviante ». C’est en matière de déviance invisible et non criminalisée que Cardi (2007) décrit la situation dans laquelle les femmes judiciarisées sont placées. Pour Goffman (1968), la femme déviante ne répond pas au rôle social attendu. Goffman et Zaidman (2002) utilisent l’expression

« rôle social » pour désigner le rôle que l’individu occupe selon ce qu’on attend de lui. Ainsi, dans leur quotidien, pour quelques participantes, il devenait difficile de réintégrer leur rôle de mère, vivant les contrecoups de leur incarcération. En effet, les participantes mentionnent vivre des échecs en tant que mères, sœurs, amies, conjointes, etc. Plus spécifiquement, Goffman (1977) explique que la société dicte indirectement ou non comment agir pour être conforme aux attentes sociales, et ce, selon le sexe biologique. Les rôles sociaux de genre dévolus à la femme sont ceux d’épouse, de mère et de ménagère. Ainsi, nous nous attendons à ce que la femme soit fragile, émotive et délicate, et qu’elle prenne soin de l’autre (Goffman, 1977).

La peine d’emprisonnement écopée, les regards, les inégalités et les discriminations en lien avec leur passé persistent ou empirent. Les résultats de notre recherche nous permettent de constater que l’étiquette de la déviance a entraîné, chez la majorité des participantes, une perception négative de soi et même une perte de repères identitaires. Dans ce contexte, l’identité s’imprègne

Ces jugements et ces regards des autres entraînent une panoplie d’émotions négatives chez les femmes, passant du sentiment de rejet, de culpabilité, de honte, aux remords et à la vulnérabilité.

Pour Goffman (1975), le fait d’avoir une perception négative de soi entraîne des difficultés pour les femmes à poursuivre leurs activités quotidiennes. Comme l’explique Honneth (2000),

« éprouvant le contrecoup de son acte [...], un individu a honte de lui-même, parce qu’il découvre qu’il ne possède pas la valeur sociale qu’il s’attribuait jusque-là » (Honneth, 2000, p. 234). La honte est un frein dans l’action des femmes puisqu’elle les discrédite, en ce sens que la honte est signe d’un écart avec l’autre.

Les résultats de notre recherche démontrent que la majorité des participantes se définissent comme étant des « bonnes à rien » ou seulement comme des « femmes qui avaient eu des démêlés avec la justice ». Elles se décrivaient au regard des crimes commis ou de leur passage en prison en utilisant des mots comme « ex-détenue », « criminelle », « toxicomane finie » et « king du vol à l’étalage ». Cette « identité criminelle » est influencée par le stigmate qu’on leur appose. Ce stigmate discrédite les femmes (Lacaze, 2008) et fait entrave à la réalisation de leurs activités quotidiennes socialement acceptables. Comme expliqué par Chantraine (2003), une personne criminelle est rapidement associée aux clichés et aux stéréotypes négatifs. Cette étiquette de la déviance, aussitôt posée, suppose plusieurs défauts (Becker, 1985). Elle entraîne aussi des difficultés à continuer sa vie ordinaire dans des actions quotidiennes et socialement approuvées.

relationnelles et la détérioration de leur réseau. Dans ce contexte, cette désignation sociale de

« déviante » influence leur quotidien et commande la poursuite de comportements criminels. Nous pouvons supposer, par exemple, que pour la participante qui était perçue comme la « king du vol à l’étalage », il pouvait être difficile d’agir autrement qu’en commettant des vols, étant donné que son entourage s’attendait à ce qu’elle soit la « meilleure » dans ce domaine. Il va sans dire que cette reconnaissance est source de valorisation et d’acceptation. D’autres participantes expliquent avoir été jugées sévèrement, voire étiquetées parce qu’elles avaient eu des démêlés avec la justice.

Automatiquement, le rapport avec l’autre module leur identité.

Même si cette désignation a peut-être autrefois permis d’acquérir un statut social au sein de leur groupe d’appartenance et que c’est ainsi qu’elles ont entamé les balbutiements dans leur

« carrière déviante », aujourd’hui, toutes les participantes souhaitent sortir de leur identité

« criminelle » qui prend la place de qui elles sont réellement. Nous verrons comment les humains ont besoin d’être reconnus (Honneth, 2000), que cette reconnaissance soit obtenue de manière positive ou par des moyens négatifs.