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c Fonctionnement de la machinerie de fusion des Rhabdovirus

2. La glycoprotéine et l’entrée des Rhabdovirus

2.5. La fusion membranaire

2.5.4. c Fonctionnement de la machinerie de fusion des Rhabdovirus

(i) Interaction des boucles de fusion avec la membrane cible

Le domaine de fusion est le domaine le plus conservé au niveau de sa séquence en acides aminés parmi les glycoprotéines de classe III (Baquero et al., 2015a). Nous l’avons vu, il est formé d’un feuillet β composé de trois brins à l'extrémité desquels se trouvent deux boucles hydrophobes qui interagissent avec la membrane cible (et peut-être aussi avec la membrane virale dans la forme pré-fusion) (Figure 15 D). Ces boucles de fusion contiennent les motifs d'interaction avec la membrane comme il a été montré par des travaux de mutagenèse réalisés sur VSV (Stanifer et al., 2011; Sun et al., 2008). Un alignement des séquences d’acides aminés de plusieurs glycoprotéines de Rhabdovirus révèle que ces boucles contiennent toujours des résidus aromatiques polaires (tryptophanes et tyrosines) (Roche et al., 2008). Par ailleurs, la présence de résidus chargés à proximité des boucles de fusion exclut toute possibilité de pénétration profonde à l'intérieur de la membrane (Figure 15 D). Les tryptophanes et tyrosines sont connus pour se positionner à l'interface entre les chaines d'acide gras et les têtes des lipides (Wimley and White, 1992). Leur insertion va perturber la monocouche externe de la membrane cible. Cette interaction pourrait conduire à la formation de protrusions lipidiques ponctuelles qui pourraient faciliter la formation du

stalk (Efrat et al., 2007).

(ii) Interrupteurs sensibles au pH

Les acides aminés jouant un rôle important lors de la transition structurale ont été identifiés. Dans le cas de la G des Vesiculovirus, dans la structure pré-fusion, un groupe de quatre histidines en position 60 et 162 dans le domaine de fusion et 407 et 409 dans le fragment R5, dont certaines sont conservées dans la famille des Rhabdovirus, a été proposé pour jouer le rôle de commutateur sensible au pH déclenchant la transition vers la forme post- fusion (Figure 24 A). La protonation de ces histidines (pKa ~6,5) conduit en effet à un regroupement de charges positives induisant une force répulsive entre le domaine de fusion et la partie C-terminale de l'ectodomaine de G (le segment R5) (Roche et al., 2007). Ce rôle des histidines est compatible avec le fait que le diéthylpyrocarbonate, un réactif modifiant spécifiquement ces résidus, inhibe la fusion du VSV (Carneiro et al., 2003).

Par ailleurs, dans la structure post-fusion de VSV G, il existe des regroupement de résidus acides au niveau du fagot des six hélices constituant le cœur de la conformation post-fusion (Figure 24 B). Il avait été proposé que leur déprotonation à pH élevé déstabilise ce domaine central et, par conséquent, permet à G de retourner vers sa conformation pré-fusion. Ceci a été validé par une analyse par mutagenèse qui a démontré que les trois résidus aspartate en position 268, enfouis et pointant l’un vers l’autre au centre de l'environnement hydrophobe de l'interface trimérique post-fusion, constituent le principal commutateur de la transition structurale de la forme post-fusion vers la forme pré-fusion. Les aspartates 274, 393 et 395 ont quant à eux, des contributions supplémentaires (Ferlin et al., 2014). Le résidu aspartate 268 n’est pas conservé chez CHAV. Pour CHAV G, le retour à l'état de pré-fusion, implique d'autres résidus acides dont la déprotonation à pH élevé déstabilise également la structure post-fusion de CHAV G (Baquero et al., 2015b). Il est à noter que les régions correspondant aux segments R4 et R5 dans d'autres glycoprotéines de Rhabdovirus sont souvent enrichies en résidus acides donc certains doivent jouer un rôle similaire de commutateur sensible au pH.

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Figure 24. Les éléments interrupteurs sensibles au pH.

A. Vue rapprochée sur le groupe d'histidines (représenté en bâtons) dans la structure du protomère pré-

fusion de la G de VSV. B. Vue rapprochée sur les acides aminés acides enfouis dans le faisceau de six hélices de la conformation post-fusion. Les liaisons hydrogènes entre les chaînes latérales sous leurs forme protonées sont indiquées. La flèche noire sur la structure trimérique indique la position de l'observateur pour la vue de dessous. Dans la vue de dessous, les hélices appartenant au même protomère sont entourés d'un fond gris. Les atomes d’oxygène sont en rouge et les atomes d'azote en bleu.

(iii) Intermédiaires structuraux durant la transition structurale de G

La transition structurale de Gth (l'ectodomaine soluble de G) induite à bas pH, a été

caractérisée en solution par l’utilisation combinée de plusieurs techniques biophysiques. La forme trimérique post-fusion de Gth est bien la principale espèce détectée en solution dès que

le pH est inférieur à 6,7. En revanche, le trimère pré-fusion n’est jamais observé en solution (Albertini et al., 2012) même à très haute concentration, en accord avec des études antérieures réalisées sur une forme soluble obtenue après traitement des particules virales avec la cathepsine D (Crimmins et al., 1983) mais aussi sur une forme complète de G solubilisée par un détergent (Doms et al., 1987). En fait, au-dessus de pH 7, Gth semble être un

monomère flexible présent sous plusieurs conformations. L’équilibre entre ces formes monomériques dépend du pH, et est déplacé vers des conformations plus allongées quand le

55 pH diminue (i.e. s’approche de 7) (Albertini et al., 2012). Les analyses de la structure des G des Vésiculovirus à la surface des particules virale par microscopie électronique et par tomographie donnent des résultats similaires. Au dessous de pH 6, la seule structure observée dans la membrane virale est le trimère post-fusion qui tend à se réorganiser en réseaux hélicoïdaux (Libersou et al., 2010).

A un pH supérieur à 7, bien que des trimères pré-fusion soient observés (Libersou et al., 2010), la majorité des glycoprotéines sont sous la forme de monomères flexibles (Albertini et al., 2012). À pH intermédiaires (entre 6,5 et 7), la conformation des glycoprotéines n’est pas homogène et plusieurs conformations de G sont observées (Albertini et al., 2012). Dans certaines régions, on constate une cohabitation de formes monomériques et de formes typiques de la structure trimérique post-fusion. Certaines structures monomériques sont plus allongées que les protomères pré-fusion (Albertini et al., 2012; Baquero et al., 2017). L'apparition séquentielle de ces espèces lors de l’abaissement du pH suggère que la transition structurale de VSV G implique des intermédiaires monomériques.

Récemment, une forme cristalline de CHAV Gth a été obtenue. Elle contenait quatre molécules

dans l'unité asymétrique, adoptant deux conformations différentes et distinctes des protomères pré- et post-fusion (Baquero et al., 2017) (Figure 25).

Figure 25. Structure de CHAV Gth dans l'unité asymétrique du cristal.

Vues de dessus A, et latérale B, de l'assemblage tétramérique dans le cristal CHAV Gth (PDB: 5MDM). Les

protomères sous conformation EI sont dans les tons bleus. Ceux sous conformation LI sont dans les tons jaunes. Les résidus des boucles de fusion sont en verts. En (B), les segments C-terminaux reliant la protéine à la membrane sont représentés en traits pointillés et la position de la membrane est indiqué par la ligne noire.

La première conformation ressemble au protomère pré-fusion de VSV G avec une seule différence aux conséquences majeures : le segment R5 a déjà quitté le sillon hydrophobe qu’il occupe dans la conformation pré-fusion. Cette conformation de CHAV Gth correspond donc à

un intermédiaire précoce (EI pour early intermediate) de la transition structurale.

En revanche, la seconde conformation de CHAV Gth dans le cristal correspond à un

intermédiaire plus tardif (LI pour late intermediate). Il est déjà dans une conformation en épingle à cheveux allongée bien que le repliment des segments R1, R4 et R5 soit encore incomplet. Ces deux structures suggèrent une voie plausible pour le changement de conformation de la G des Rhabdovirus qui est détaillée en Figure 26. Dans ce modèle, la quasi- totalité de la transition structurale s’effectue alors que G est monomérique et la trimérisation vers la forme post-fusion est une étape très tardive.

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(iv) Rôle éventuel de dimères (voire de tétramères) dans la fusion des Vésiculovirus. Dans la structure cristalline, deux molécules de CHAV Gth sous conformation EI et deux

molécules Gth sous conformation LI sont assemblées dans un tétramère compact qui forme

une structure plate (Figure 27) au sommet de laquelle les boucles de fusion des deux G dans la conformation EI sont exposées (Baquero et al., 2017) (Figure 27,B). Si une telle structure se forme au niveau de la surface virale, son orientation placerait de manière optimale ces deux boucles pour attaquer la membrane cible.

Figure 26.Voie plausible du changement de conformation des Vésiculovirus G.

Le trimère pré-fusion de VSV G se dissocie en monomères. Le segment R5 (indiqué par des flèches violettes) quitte le sillon hydrophobe qu’il occupait dans la conformation pré-fusion pour former l’état intermédiaire précoce (EI). Cela confère une mobilité d’orientation au reste de la molécule, même en l'absence de tout autre changement de conformation. Le repliement de R2 et R3 est partiel. Le repliement de R1, R4 et R5 conduit à la formation de l’état intermédiaire tardif (LI) qui ressemble au protomère post- fusion et est déjà sous une conformation en épingle à cheveux allongée. Le repliement final de R1, R4 et R5 est requis pour la re-trimérisation en conformation post-fusion. Les structures cristallines de G sont représentées sous forme de diagrammes en ruban avec le même code couleur que dans la figure 15.

Dans cet arrangement tétramérique cristallin, les domaines de fusion sont associés de manière antiparallèle et stabilisés par la formation d’un feuillet β intermoléculaire entre deux domaines de fusion, l’un appartenant à une G dans la conformation EI et l’autre dans une G dans la conformation LI. Ce feuillet antiparallèle formé par EI et LI implique les résidus 75 à 80 dans le brin de EI, en aval de la première boucle de fusion et les résidus 120–125 dans le brin de LI, en aval de la seconde boucle de fusion (Figure 27).

Des phénotypes de certains mutants qui n’étaient pas expliqués par les structures cristallines des formes pré- et post-fusion, sont beaucoup plus facilement interprétables dans le contexte de cette nouvelle structure. Ainsi, il avait été montré que les mutations des résidus D121 et E123 affectent les propriétés de fusion de VSV G (Fredericksen et Whitt, 1996) et celles de

57 VHSV (Gaudin et al., 1999a). Il se trouve que ces deux résidus acides sont situés dans le brin 120-125 de LI et forment un pont salin avec l’histidine 80 située su le brin du côté EI. Cette histidine est largement conservée chez les Rhabdovirus.

La mutation H80A tout comme la double mutation D121L/E123L, abolissent les propriétés de fusion de VSV G. Dans les deux cas, celles-ci sont restaurées par la même mutation compensatrice Q112P. Dans le domaine de fusion, le résidu 112 est situé du côté opposé des résidus 121 et 123 sur le feuillet β et en est donc éloigné. Cependant, dans la structure tétramérique de CHAV Gth du cristal, le résidu 112 est proche des résidus 121, 123 et H80 du

même côté du feuillet β intermoléculaire (Baquero et al., 2017) (Figure 27).

Figure 27. Dimère de G de CHAV.

Association non trimérique des états intermédiaires monomériques de G. En dessous la vue rapprochée du feuillet β antiparallèle formé entre les domaines de fusion de l’EI (en bleu) et LI (en jaune) au sein de l’unité asymétrique du cristal de CHAV Gth. Les résidus clés qui se regroupent à l'interface sont représentés

en gris. Les résidus des boucles de fusion à la pointe du FD sont en verts. Les atomes d'oxygène sont en rouge et les atomes d'azote en bleu.

Ceci suggère fortement que l’assemblage antiparallèle des domaines de fusion trouvé dans le cristal de CHAV Gth est pertinent pour la fusion des Vésiculovirus. Une telle interaction

pourrait faciliter l'insertion des boucles de fusion d'un protomère dans la membrane cible tandis que les boucles de fusion du second protomère attaqueraient la bicouche lipidique virale.

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