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Fonction de contenant, de protection

Dans le document CU CJ (Page 105-108)

11 Une analyse interprétative : Les cours du PCI comme lieu concentrant de multiples ressources

11.4 Fonction de contenant, de protection

Une telle médiation n’est toutefois pas possible sans un cadre relationnel de qualité. Penser est en effet une activité mentale dynamique, à la fois cognitive et symbolique, qui nécessite un espace social favorable pour se développer (Perret-Clermont, 2004). Si nous reprenons la définition de l’espace de penséedonnée par Perret-Clermont, nous pouvons lire :

«The thinking space is the frontier of freedom in the psychic activity in which individual elaborates the perceived reality in order to represent or symbolize it and to became able to reflect on it. (...) Social life can encourage thinking, but it can also resemble an obstacle course that offers neither time nor partners to help young peoples become conscious of and reflect on their lives.» (Perret-Clermont, 2004, pp.3-4)

Dans la partie théorique, nous avons vu plusieurs caractéristiques du cadre pouvant soutenir la transition en

matière de positionnement identitaire et de réélaboration des émotions, à savoir : (1) Un espace relationnel de qualité, c’est-à-dire un espace qui permet aux personnes de nouer des liens forts avec les autres participants et assure la présence de modèles, guides, appelés autrui significatifs ; (2) Un cadre qui est organisé de sorte à permettre aux participants de se tromper, de poser des questions sans avoir peur d’être jugés ou de « perdre du temps » et d’avancer à leur rythme (Perret-Clermont & Zittoun, 2002 ; Zittoun, 2008). D’après le discours de plusieurs personnes interviewées, ainsi que suite à nos observations, plusieurs de ces caractéristiques semblent bel et bien offertes par les cours du COSM.

Des relations de qualité

Comme déjà vu dans la partie relative aux ressources, beaucoup de personnes mettent en évidence le caractère

« accueillant » des cours, la bonne ambiance qu’il y règne (Marianna, Silvia, Gabriela, Wema, Vanessa, mais également Lucia qui n’est pas dans l’échantillon de cette analyse interprétative). Ceci est relié à la nature des relations qui s’y tissent, tant avec l’enseignant, qu’avec les autres apprenants.

Bien que plusieurs personnes relèvent la difficulté de communiquer avec les autres apprenants en raison de la non-maîtrise suffisante d’une langue commune, tous semblent apprécier l’ambiance régnant au sein du groupe. Ce lien tissé entre les apprenants se voit dans les échanges qui ont lieu avant, pendant et après le cours. Nos observations ont relevé que plusieurs personnes arrivent en classe un quart d’heure, voire une demi-heure avant le début du cours et discutent avec les autres apprenants. Lors des pauses, les échanges sont également animés. Lorsque la leçon commence, plusieurs petits groupes se forment (en fonction de l’origine linguistique, mais pas toujours) et s’entraident. Au fil des leçons, certaines personnes gardent les mêmes places autour de la table, et les mêmes voisins.

Plusieurs apprenants disent même se rencontrer en dehors des cours (Silvia, Gabriela, Vanessa, mais également Lucia, Tina et Sam qui ne sont pas dans l’échantillon de cette analyse interprétative) ou souhaiter le faire (Marianna).D’une part, les cours sont l’occasion de connaître des gens qui vivent la même chose que soi, et d’autre part, ils permettent de découvrir de nouvelles cultures, par la diversité des origines des participants et la possibilité d’échanger là-dessus au sein du cours, comme le dit bien Silvia :

« 76. (Ici) tu as plus de (gens de) pays musulmans et c’est intéressant parce qu’ils sont différents et on a des perspectives un peu multiculturelles et moi je trouve ça (intéressant) parce que parfois tu as une image des gens, mais quand tu commences à parler un peu avec ces gens tu en as une image différente. Tu comprends ? Peut-être qu’à cause de la télévision et de toutes les images que tu vois, parfois tu as une image négative de certains groupes et parfois ce n’est pas comme ça : quand tu parles avec ces gens, tu vois les choses d’une autre perspective. Parfois tu te mets à leur place. Tu comprends ? » (23 :34)

Ce lien qui se crée entre apprenants est important d’un point de vue affectif et identitaire, car il permet l’émergence d’un sentiment d’appartenance au groupe des « apprenants de français du COSM ». Comme le souligne Ogay (2001), la possibilité d’avoir des pôles d’identification multiples est très importante pour l’intégration du migrant, car elle contribue à l’émergence d’une image de soi positive. La personne peut alors se définir en tant qu’ « apprenant de français », « copain de Untel », etc., et non seulement en tant que migrant de tel pays, chômeur, etc. De plus, comme nous le voyons dans le chapitre relatif aux questions linguistiques, l’apprentissage de la langue d’accueil est très valorisé au niveau politique : par conséquent, l’identification à un tel groupe permet d’acquérir une identité socialement valorisée.

Les relations avec l’enseignant sont également importantes.

Les apprenants soulignent sa disponibilité et le perçoivent comme un réel guide dans l’entrée dans la société d’accueil.

Cela concerne en priorité les apprentissages linguistiques, comme Silvia par exemple qui se réjouit d’avoir un professionnel en face d’elle afin d’acquérir une bonne prononciation. Mais cela touche également aux savoirs relatifs à l’orientation géographique, à la compréhension du système d’assurance maladie (Vanessa), les questions de location d’appartements (Silvia), le droit du travail (Silvia), etc. Ainsi, comme déjà vu plus haut, beaucoup d’apprenants posent leurs questions pendant ou après les cours et demandent conseil à l’enseignant. Quelques apprenants ont même pu instaurer une relation de confiance assez importante avec l’enseignant, ce qui leur permet de poser des questions plus personnelles. Le cas le plus frappant est celui de Wema, qui dit avoir confié à l’enseignant son problème familial. De plus, de par la confiance que les personnes leur accordent, les enseignants du COSM peuvent devenir des personnes signifiantes (Zittoun, 2008), à savoir des personnes qui valident l’usage de certains éléments en tant que ressources. Ainsi, Wema s’orientera vers une association d’aide aux femmes pour résoudre son problème familial, Gabriela fréquentera les lieux proposés en cours, tels la Bibliothèque multiculturelle, Vanessa se dirigera vers une autre institution de formation pour démarrer une nouvelle formation lui permettant d’arrêter son travail de femme de ménage. Un tel « pouvoir de validation » de l’usage de certains savoirs ou lieux en tant que ressource est probablement accru par l’appartenance à une institution étatique qui, avec son caractère « formel » malgré l’ambiance décontractée, se positionne en tant que référence.

Nos observations laissent apparaître un certain nombre d’indicateurs de la qualité de la relation instaurée avec l’enseignant, en lien avec les processus d’apprentissage de la langue.

1) Tout d’abord, plusieurs éléments montrent une prise en compte de la spécificité de l’apprenant :

- Pour se faire comprendre, l’enseignant mobilise une multitude de modes et de langues : parfois un concept est illustré par un dessin au tableau ou un geste ; une expression est traduite dans l’une des langues connues par l’enseignant. Il se peut qu’un apprenant plus

« avancé » soit appelé à traduire pour l’un de ses compatriotes en difficulté.

- Les interventions multiples de type « ça va ? », « vous comprenez ça ? », parfois adressées à l’une ou l’autre personne spécifiquement montrent que l’enseignant est à l’écoute des rythmes de chacun.

Cet effort de la part de l’enseignant pour parvenir à une construction partagée de la connaissance, ainsi que la mobilisation des apprenants comme ressource, peut être perçu comme une reconnaissance de la différence. Ce qui est un élément important dans le développement d’une image de soi positive (Cesari Lusso, 2001)

2) D’autres indicateurs révèlent la construction d’un espace sécure, permettant l’apprentissage par essais-erreurs :

- L’entraide est encouragée par l’enseignant. En règle générale, il permet un brouhaha de fond lorsqu’il s’agit de traductions ou d’explications entre apprenants.

Parfois, lorsqu’une personne est en difficulté, l’enseignant peut même demander à un autre apprenant d’intervenir, soit pour donner la réponse, soit pour effectuer une traduction.

- Les apprenants interviennent régulièrement pour poser des questions ou dire qu’ils n’ont pas compris, attitude que les enseignants encouragent explicitement par des

« vous dites si vous n’avez pas compris », « ça va, vous comprenez ? ». Lors des exercices oraux, tous les apprenants s’essaient à l’exercice demandé par l’enseignante, parfois ils se proposent spontanément

pour donner la réponse, parfois ils prononcent en chœur les réponses.

- Les enseignants ne semblent pas accorder beaucoup de poids aux erreurs. Souvent ils donnent des indices pour que l’apprenant trouve la bonne réponse ou s’il s’agit d’une erreur de prononciation, l’enseignant répète ce qui est dit par l’apprenant avec la bonne prononciation. Au contraire, la présence d’un grand nombre d’encouragements de la part des trois enseignants révèle une orientation vers la réussite. Les cours sont ponctués de « c’est bien », « bravo »,

« excellent ». Ceci peut contribuer à l’émergence d’un sentiment de compétence de la part de l’apprenant et augmenter son estime de soi. Comme le dit Cesari Lusso (2001), il est important que le migrant puisse se confronter à des situations de réussite dans des contextes institutionnels relevant de la société d’accueil (l’auteur parle d’école, ici nous transposons cela aux cours du COSM), afin qu’il puisse s’y sentir bien. Le fait de recevoir cette validation de l’usage de la langue d’accueil de la part de l’enseignant peut constituer un encouragement de cette réussite.

11.5 Conclusion

En conclusion, les différents éléments évoqués dans ce chapitre soutiennent l’hypothèse d’une « médiation » effectuée par les cours, entre la personne et la représentation qu’elle a de sa situation de migrant. Ceci en lui permettant d’acquérir des outils pour mieux comprendre son vécu, en lui offrant un cadre

« sécurisant » où penser sa situation, poser des questions, s’éloigner des éléments qui font rupture, mais aussi en fréquentant une institution suisse qui valorise leur vécu et valide l’usage de certains éléments en tant que ressource.

Par la mise à disposition d’éléments physiques (par ex.

brochures), symboliques (par ex. instauration d’une relation de

confiance), par les relations tissées avec les autres apprenants ou avec les enseignants, les personnes migrantes sont amenées à concevoir différemment leur vécu. Nous pouvons donc voir comment une activité d’apprentissage dans un contexte institutionnel particulier va permettre une prise de distance à plusieurs niveaux et aura ainsi un impact sur le plan affectif (élaboration des émotions), identitaire (remaniement de l’image de soi), en passant par la construction de sens.

Dans le document CU CJ (Page 105-108)