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Apports théoriques

Dans le document CU CJ (Page 109-112)

11 Une analyse interprétative : Les cours du PCI comme lieu concentrant de multiples ressources

12.1 Apports théoriques

Sur un plan théorique, ce travail a montré la pertinence d’une approche par l’unité d’analyse rupture-transition, pour saisir les enjeux du développement psychosocial des personnes migrantes. Les modèles théoriques utilisés, nous ont permis de mettre en évidence la complexité des processus en jeu au carrefour entre l’individuel et le collectif, et de relier des problématiques de nature diverse (identitaire, affectif, apprentissages, réseaux), abordées par les auteurs ayant auparavant traité de la question de l’insertion des migrants dans la société d’accueil.

Si nous reprenons la métaphore du prisme sémiotique élaboré par Zittoun (2008), pour illustrer les changements inhérents à la transition vers un nouvel état d’équilibre, nous constatons que nos données illustrent ce qui advient sur le plan de la relation entre la personne et autrui (repositionnements identitaires), et de la personne et de l’objet (apprentissage de la langue et du

fonctionnement du pays d’accueil). La construction de sens par rapport à l’objet « vie dans le pays d’accueil » n’a pas été systématiquement abordée, mais seulement pour les personnes en forte situation de rupture, dans le but d’identifier la manière dont les cours pouvaient aider à changer cette perception de leur situation au pays d’accueil.

Deux autres dimensions sont apparues comme importantes et devraient être intégrées au prisme : 1) l’élaboration des affects, qui pourrait se situer entre les pôles personne et autrui, mais parfois également entre personne et objet (comme dans le cas d’une relation affective forte avec le pays d’origine) ; 2) la construction d’un réseau social, située entre le pôle personne et le pôle autrui, constituant une sorte de matrice aux processus de positionnement identitaire et d’élaboration/construction des liens affectifs.

Figure 5: Prisme sémiotique revisité : les processus de transition psychosociale vécus par les personnes migrantes

De plus, la théorie des transitions de Zittoun (2006a, 2008), ainsi que de nombreux autres travaux dans le domaine de la

psychologie sociale et culturelle du développement (par ex.

Cesari Lusso, 2001 ; Emiliani & Bastianoni, 1992 ; Perret-Clermont, 2001, 2004; Perret-Clermont & Zittoun, 2002) ayant mis en évidence le rôle que pouvait jouer le cadre institutionnel dans l’accompagnement des processus de changement, une partie importante de notre travail a cherché à comprendre les caractéristiques et les usages du dispositif Programme cantonal d’intégration. Nous avons vu que pour les personnes exprimant un fort niveau de rupture, les cours jouaient dans la plupart des cas un rôle positif dans l’accompagnement des processus de transition. C’est par l’étude de ces cas que les caractéristiques du cadre sont apparues de manière plus claire. Le discours de ces personnes, complété avec des éléments issus de nos observations et des entretiens avec les enseignants portent à affirmer que ce cadre comporte les caractéristiques présentés par Zittoun et Perret-Clermont (Perret-Clermont & Zittoun, 2002 ; Zittoun, 2008) comme pouvant favoriser la transition, à savoir :

1) Un cadre qui se pose en rupture par rapport au vécu précédent de la personne. Au sein du Programme cantonal d’intégration, la personne découvre un espace où elle se sent bien accueillie, respectée et est jugée compétente, ce qui est en opposition avec la discrimination, l’incompétence, etc.

vécues dans la première phase de l’immigration.

2) Un cadre orienté vers l’extérieur. L’enseignement de connaissances linguistiques et sociales directement transférables aux situations quotidiennes dans la société d’accueil, l’orientation vers d’autres lieux-ressource et la sensibilité de l’enseignant vis-à-vis des problématiques de chaque apprenant vont dans ce sens.

3) Un cadre offrant un certain nombre d’éléments culturels transformables en ressources symboliques, et la validation de cet usage de ressources par un autrui significatif. Les thématiques en lien avec l’expérience d’insertion dans la société d’accueil ; les interventions des enseignants pour

orienter les apprentissages et la découverte des possibilités au pays d’accueil ; l’attention aux différences de chacun, sont des éléments qui peuvent aider à une élaboration symbolique des problématiques liées à l’expérience de migration.

4) Un espace relationnel de qualité, par la mise en relation de personnes vivant la même situation et l’encouragement des échanges, par la présence des enseignants compétents et disponibles pouvant être pris comme des guides pour l’entrée dans la société d’accueil et comme conseiller pour la résolution de problèmes.

6) Un cadre organisé de telle sorte à permettre aux participants de se tromper, de poser des questions sans peur d’être jugés, de « perdre du temps » et d’avancer à leur rythme.

L’encouragement à l’entraide, à poser des questions, l’adaptation au rythme de chacun, la valorisation de la réussite, sont des éléments qui vont dans ce sens.

Toutefois, comme relevé, seul une moitié des personnes interviewées semble percevoir des effets de ce qui se fait au sein du Programme, sur des plans autres que linguistique. Cela montre à notre avis que la nature du cadre n’est pas une condition suffisante pour que le dispositif soit efficace dans le soutien aux processus de transition. Le sens que les apprenants y attribuent est également fondamental. Ce sens s’élabore en fonction du parcours de la personne avant et après l’arrivée au pays d’accueil, avec les ruptures vécues et les ressources trouvées.

Si les données d’entretien laissent entendre que les personnes ayant vécu une rupture importante (fortement ressentie et affectant plusieurs plans) sont plus enclines à voir les cours comme un lieu-ressource pour soutenir des processus de repositionnement identitaire et des élaborations affectives, la présence dans ce groupe d’un cas où ce travail n’est pas effectué - malgré les ruptures vécues - rend d’autant plus saillantes nos remarques à propos du sens. Nabil n’a en effet pas pu trouver des « espaces » au sein des cours, où élaborer

son expérience par rapport au pays d’accueil. A ce propos, nos observations nous ont amené à constater que la possibilité d’ « utiliser » les cours pour une élaboration de type plus personnelle, voire symbolique, n’était pas officiellement prévue par le dispositif, ni formellement explicitée par les enseignants.

Les éléments permettant une mise en lien entre l’expérience du migrant dans le pays d’accueil et ce qui se fait en cours, se trouvent pour la plupart « en marge » du dispositif de formation et du programme de cours39, avec la disponibilité de l’enseignant pour accueillir les demandes plus ou moins personnelles des apprenants, des liens avec des éléments du pays d’accueil à partir d’exercices de grammaire, l’encouragement de la réussite, etc. La structure du cours étant très proche de celle d’autres cours de langue, une telle possibilité de mise en lien n’est donc pas saillante. C’est à l’apprenant de savoir si et comment il souhaite faire usage des cours. Si une telle souplesse permet à chacun d’y trouver son compte (tous les apprenants sauf un se disent satisfaits du cours), cela amène à réfléchir à l’importance de la mise en mots des objectifs et des besoins de chaque acteur du dispositif, afin de parvenir à une co-construction optimale du sens et des apprentissages.

Finalement, l’approche choisie accordant une importance majeure à la manière dont la personne migrante perçoit sa situation et fait usage des éléments présents dans son environnement, permet de rendre compte de la diversité des parcours et des besoins en matière d’insertion et de bien-être dans le pays d’accueil. D’une manière générale, la théorie des transitions montre que l’insertion des migrants dans le pays d’accueil n’est pas un processus linéaire et déterministe, mais qu’il dépend de l’articulation de dynamiques individuelles et contextuelles multiples.

39 Cela est par ailleurs visible dans le discours des personnes qui disent avoir puisé dans les cours des éléments qui vont au-delà des aspects « techniques », par des expressions de type « je ne sais pas si ça fait partie du programme, mais… ».

Dans le document CU CJ (Page 109-112)