Section II : Une incapacité à modifier les mauvaises pratiques
1) Fiscalité et nitrates
En ce qui concerne la lutte contre les nitrates, la Commission a préconisé, dans un rapport du 17 juillet 2002391, sur la mise en œuvre de la directive n°91/676 du Conseil concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles, l’instauration de mesures préventives par le biais d’une taxation des surplus des nutriments. Cette solution semble tout à fait pertinente puisqu’elle devrait permettre aux pouvoirs publics de contraindre les agriculteurs à utiliser uniquement la quantité d’azote absorbable par les cultures, ce qui, à priori, ne créerait aucune pollution. Toutefois, en pratique, cela conduirait à instaurer un système de calcul établissant pour chaque exploitant agricole la différence entre la quantité de nutriments utilisés et la quantité de nutriments que les cultures peuvent absorber, ce qui est techniquement impossible. D’ailleurs, la Commission n’est pas allée plus loin que la simple évocation de cette taxation, ceci est regrettable, car il aurait été intéressant de voir quelles eussent été les conditions de mise en œuvre d’une telle redevance.
La taxation des nitrates constitue également pour les économistes, une occasion de débattre sur l’opportunité de tel ou tel système. Une étude approfondie des débats doctrinaux en la matière serait très utile à l’élaboration technique d’une taxe392, ceci ne constitue pourtant pas l’objet de la présente étude qui s’intéresse aux aspects juridiques de la taxe.
Cependant, il serait intéressant d’étudier la façon dont la Cour de justice des Communautés européennes perçoit et interprète les litiges concernant la taxation des nitrates, notamment dans un arrêt en manquement opposant la Commission aux Pays-‐ Bas393. En l’espèce, les Pays-‐Bas avaient mis en place un régime fiscal dit « MINAS » afin de répondre aux exigences de la directive « nitrates ». Il s’agissait, par l’intermédiaire d’une taxation de l’azote, des composés azotés et des composés phosphatés, d’orienter les agriculteurs vers l’utilisation de fertilisants plus conformes à la protection de
l’environnement. L’objectif était d’équilibrer l’apport d’azote et de phosphates en amont de la production avec l’écoulement de ces substances en aval. Indépendamment de cet équilibre, le législateur néerlandais tolérait une perte qui ne portait pas préjudice au respect de l’environnement. Or, c’est cette perte qui déterminait le montant de la taxe à payer. En effet, les exploitants devaient déclarer la quantité d’azote, des composés azotés et des composés phosphatés en amont de leur production et celle évacuée en aval. Si la différence dépassait la perte tolérée par le législateur, alors l’exploitant était redevable d’une taxe forfaitaire. Elle concernait tout exploitant agricole, qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale ou toute association de ces personnes, qui faisait usage de fertilisants organiques chimiques et même d’effluents d’élevage. La taxe était prélevée en fonction de la quantité d’engrais taxable au cours d’une année calendaire, exprimée en kilogrammes de phosphates et/ou d’azote. La quantité d’engrais imposable étant définie comme la somme de la quantité d’engrais entrante et la quantité d’effluents d’élevage produite diminuée successivement de la quantité d’effluents d’élevage sortante, de l’absorption des fertilisants par les cultures et de la perte d’engrais admissible. Les mêmes dispositions existaient à propos des prélèvements sur les matières minérales affinées.
La Commission reprochait au régime MINAS de contrevenir à certaines dispositions de la directive « nitrates ». En effet, la directive prescrivait l’introduction de mesures de limitation d’épandage des fertilisants dans les programmes d’action. Or, ces mesures comportaient des règles fondées sur un équilibre entre les besoins prévisibles en azote des cultures et l’azote apporté aux cultures par le sol et les fertilisants394. En revanche, le régime MINAS était fondé sur un niveau trop élevé pour les normes de pertes et le montant des taxes régulatrices sur les minéraux était incompatible avec la directive « nitrates »; enfin, la Commission déplorait l’absence de prise en compte de la minéralisation nette des réserves d’azote organique dans le sol et de l’apport d’azote par les organismes fixateurs vivant dans le sol. Au demeurant elle estimait qu’ « il ne suffit pas, afin de démontrer que les effluents d’élevage excédentaires sont évacués de manière inoffensive pour l’environnement, de constater qu’un exploitant qui ne respecte pas cette condition pourrait se voir imposer une taxe en vertu du régime MINAS. En effet, l’imposition d’une telle taxe ne remédie pas au non respect de l’obligation imposée par la directive et atteste au contraire que la pollution des eaux que la directive vise à prévenir s’est déjà produite »395. D’après la Commission, un exploitant agricole peut opter pour le paiement de la taxe à défaut de respecter les quantités de pertes autorisées
par la loi. Par conséquent, le montant des taxes prévues en cas de dépassement des quantités de pertes autorisées ne permet pas de garantir l’équilibre visé par la directive, c’est-‐à-‐dire l’adéquation entre les besoins des cultures et les fertilisants introduits par l’exploitant. La Commission estime, à la suite du premier programme d’action quadriennal, que le montant des taxes s’avère insuffisant pour avoir une réelle influence sur le comportement des agriculteurs et attribue cette attitude au fait que les exploitants agricoles préfèrent payer une taxe plutôt que de modifier la quantité de fertilisants qu’ils utilisent396.
Il revient à la Cour d’établir la compatibilité de la taxation fondée sur les normes de pertes avec la directive « nitrates ». Pour ce faire, elle s’inspire de la jurisprudence Standley397 en s’intéressant notamment à l’objet de la taxe qui doit consister en la création d’instruments permettant de garantir, au sein de la Communauté, la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles398. Or, pour la Cour, la directive « nitrates » prévoit que les mesures adoptées doivent assurer que « pour chaque exploitation ou élevage, la quantité d’effluents d’élevage épandue annuellement, y compris par les animaux, ne dépasse pas une quantité donnée par hectare »399 et qu’au demeurant, elle considère que les fertilisants épandus peuvent être des effluents d’élevage400. Or, cette exigence ne peut être respectée qu’au moyen de normes d’utilisation des fertilisants. Les normes de pertes telles que prévues par le régime « MINAS » peuvent uniquement limiter de manière indirecte l’épandage des fertilisants, mais ne sauraient limiter l’utilisation d’un type concret d’engrais401.
Pour la Cour, les normes d’utilisation, telles que celles exigées par la directive, interviennent en amont et apparaissent nécessaires pour réduire et prévenir toute pollution, alors que les normes prévues par le régime « MINAS » interviennent à un stade ultérieur du cycle de l’azote et tout dépassement de ces normes contribue nécessairement à l’existence d’une pollution402. La Cour a rappelé que conformément à l’article 174 § 2, la pollution doit être combattue par priorité à la source. Dans le contexte de la directive, cela signifie que les apports d’azote doivent être limités dans toute la mesure du possible, ce qui justifie également la fixation de normes d’utilisation. En conséquence, les normes de pertes ne suffisent pas à cet égard, même s’il est prévu le versement de taxes en cas de dépassement de celles-‐ci403. Dans la mesure où la Cour a conclu à l’incompatibilité des normes de pertes avec les exigences de la directive, elle a aussi précisé qu’il importait peu de savoir si, dans le cadre de ce régime, ces normes
étaient ou non trop élevées ou si les taxes dues en cas de dépassement de ces normes étaient ou non trop faibles404. Toute la complexité de la tâche est illustrée par cet arrêt. L’élaboration d’une fiscalité sur l’azote efficace et adéquate est particulièrement difficile. Il importe maintenant de savoir si ce schéma est transposable aux cas de pollutions par l’utilisation excessive de produits phytopharmaceutiques.