Section II : Une incapacité à modifier les mauvaises pratiques
2) Fiscalité et produits phytopharmaceutiques
Pour ce qui est de l’élaboration d’un régime fiscal de lutte contre la pollution de l’eau par l’utilisation de produits phytopharmaceutiques405, la Commission considère la tâche toute aussi complexe et difficile que pour les nitrates. Les difficultés se posent, pour ce qui est de l’évaluation précise de l’impact environnemental lié à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques, mais également par rapport au coût financier des préjudices causés par leur utilisation, qu’il convient de prendre en compte dans la détermination d’une taxe406.
De plus, à l’inverse du débat doctrinal que les économistes ont pu avoir sur la taxation des nitrates, il se dégage du débat sur la taxation des produits phytopharmaceutiques un certain consensus qui tend à considérer qu’une telle fiscalité est impossible407, ceci s’explique notamment par de trop grandes variations dans les quantités autorisées ainsi que par les prix des éléments actifs qui composent les pesticides. Il en résulte l’impossible détermination d’une taxe tant les données sont floues et changeantes. Ces caractéristiques techniques permettent de comprendre le peu d’enthousiasme des États membres à élaborer un régime fiscal s’appliquant au domaine des produits phytopharmaceutiques ; sans omettre le fait que les secteurs agricole et industriel agrochimique œuvrent contre l’élaboration d’un tel régime, puisque les premiers y voient un obstacle à la productivité, tandis que les seconds le perçoivent comme une perte de parts de marché.
Cependant, les Institutions de l’Union européenne s’efforcent quant à elles d’imposer aux États membres la mise en œuvre de telles taxes: le Conseil et le Parlement européen ont adopté, le 22 juillet 2002, le sixième programme d’action pour l’environnement408 qui prescrit l’adoption d’une « Stratégie thématique concernant l’utilisation de pesticides »409. Il convient de préciser que cette « stratégie thématique » complète le cadre législatif existant et qu’elle vise certes à réduire les impacts des pesticides à la fois sur la santé humaine et sur l’environnement mais sans mettre en péril
la protection nécessaire des cultures. Ceci correspond certes à la notion de développement durable, mais ne confère pas une réelle force politique ou juridique à la question environnementale qui se retrouve reléguée au même rang que des considérations purement économiques comme la productivité.
Néanmoins, si la « stratégie thématique » complète le cadre législatif existant, elle est aussi la source de nouveaux objectifs dont le principal consiste à changer les comportements des exploitants agricoles afin de les contraindre à diminuer voire à bannir l’utilisation de pesticides dans leurs cultures. Or, l’instrument financier constitue l’un des outils privilégiés de cette démarche, avec notamment l’instauration d’une taxation des produits phytopharmaceutiques. Pour la Commission, « L'introduction d'une redevance environnementale de ce type sensibiliserait les intéressés aux effets néfastes d'une utilisation trop intensive des P.P.P.410 et réduirait encore la dépendance de l'agriculture moderne à l'égard des produits chimiques. En outre, cette taxe renforcerait la compétitivité des méthodes non chimiques et alimenterait les fonds supplémentaires nécessaires pour couvrir les coûts externes des P.P.P., les travaux de recherche et de développement visant à trouver des solutions de remplacement plus durables et l'amélioration de la protection des zones et des groupes de population sensibles. »411
En outre, la Commission est à l’origine d’un rapport412 établissant les avantages, les inconvénients et surtout la faisabilité d’une taxation environnementale à l’égard des pesticides à l’échelle de l’Union. Ce rapport a permis de dessiner les contours d’une « taxe idéale » pour les produits phytopharmaceutiques. Il faut, en l’occurrence, que cette taxe permette d’ « opérer une distinction effective entre les différents pesticides (autrement dit être proportionnelle aux dommages environnementaux potentiels) 413 », d’« être fixée à un niveau correct (autrement dit, correspondre aux coûts externes marginaux) », d’« être accompagnée d'un système de collecte et de remboursement efficace », d’ « exclure toute possibilité de fraude » et enfin de « constituer une incitation permanente pour les agriculteurs. »414. Toutefois, « le respect des deux premiers de ces critères est confronté à des obstacles considérables: les effets néfastes (à long terme) sur l'environnement des pesticides ne sont pas suffisamment connus et il est extrêmement difficile de regrouper les divers effets dans un seul objectif (effets sur le milieu aquatique contre effets sur l'environnement terrestre). En outre, il est pratiquement impossible de quantifier précisément les externalités (et d'en déterminer
le coût). Il a été impossible, dans le cadre de l'étude, de proposer une solution en vue d'un cadre réglementaire à l'échelle de l'U.E. dans lequel pourraient s'inscrire les taxes sur les pesticides. »415. D’ailleurs, la Commission n’ambitionne pas d’élaborer un système de taxes sur les produits phytopharmaceutiques reflétant les coûts externes marginaux réels. L’éventualité d’une telle taxe repose sur la capacité des États membres à appliquer une « taxation différentielle », en respectant, bien entendu, les principes généraux du droit primaire et par ailleurs, elle devrait permettre le financement de travaux cherchant à diminuer les risques encourus par l’environnement dans le cadre de l’utilisation de pesticides416.
En considérant que les États membres constituent le niveau d’action le plus efficace en matière de lutte contre les dommages environnementaux, la Commission confirme sa position antérieure417 et tient compte des particularités locales, ce qui est particulièrement pertinent en matière de politique environnementale. Néanmoins, son approche en matière de taxation des pesticides n’est pas aussi tranchée puisque la Commission s’autorise à s’immiscer dans la mise en œuvre de toute fiscalité environnementale « en cas de prolifération de solutions nationales différentes pour des problèmes similaires, ou dans le cas où les objectifs environnementaux peuvent être atteints à meilleur compte »418.
Dans l’une de ces Communications419, la Commission a estimé qu’il n’était pas possible de mettre en œuvre un système de taxation garantissant le recouvrement réel des coûts liés aux dommages environnementaux causés par chaque pesticide; notamment en raison du caractère aléatoire des éléments sur lesquels s’établit une telle taxe. Qu’il s’agisse du comportement de l’agriculteur dans l’utilisation des pesticides, des conditions liées au climat ou au milieu naturel ou enfin du caractère nocif qui peut dépendre de certains mélanges actifs nécessaires à l’élaboration de pesticides, ces différents paramètres ont une influence sur le degré de dangerosité des produits phytopharmaceutiques. Par conséquent, l’impact environnemental auquel doit répondre la taxe est quasiment impossible à déterminer.
Enfin la Commission a précisé que les expériences de taxation des pesticides qui ont été menées jusqu’à présent furent globalement inefficaces. D’ailleurs, la conclusion du rapport de la Commission traduit l’impossibilité d’élaborer un tel régime de fiscalité même si dans un sursaut d’optimisme elle considère que sa position pourrait changer à l’avenir.
L’élaboration d’une taxation efficace des intrants utilisés dans le cadre d’une activité agricole semble fortement compromise. Pour autant, ce constat est-‐il figé par les caractéristiques des produits chimiques utilisés pour la composition de tels intrants et par le caractère diffus des pollutions qui entraîne l’utilisation de ces produits par le secteur agricole? La question réside dans la capacité du législateur à déterminer, s’il est possible, par le biais de la fiscalité, d’élaborer un régime capable de limiter la pollution de l’eau dans le cadre d’une activité agricole. A-‐t-‐il saisi une telle opportunité à l’occasion des dernières évolutions en la matière ? (§2).
§2 : Le bilan mitigé de la fiscalité à travers l’étude des dernières normes en matière de protection de la ressource hydrique
Saisie par le gouvernement français d’un projet de loi visant à réformer la politique de l’eau420, l’Assemblée nationale a amendé et adopté ce projet en première lecture le 10 janvier 2002421. Cependant, en raison des élections présidentielles et du changement de gouvernement qui s’ensuivit, le Sénat n’a pas pu procéder à la relecture du projet.
Aussi après un temps relativement long, le 30 décembre 2006, ce projet initial a enfin abouti à l’adoption et à la promulgation de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques422. Cette loi paraissait prometteuse en ce sens qu’elle envisageait une « gestion durable et équilibrée »423 des différents usages de l’eau. Même si « au final, la loi se présente comme une reprise de la jurisprudence interne, et non comme une réforme en profondeur du système qui concilierait les notions d’agriculture et d’environnement »424.
Sur les 102 articles qui composent la loi n° 2006-‐1772, plusieurs affectent directement ou indirectement l’agriculture. Par ailleurs, la loi autorise les Agences de l’eau à percevoir six redevances : pour la pollution de l'eau, pour la modernisation des réseaux de collecte, pour les pollutions diffuses, pour le prélèvement sur la ressource en eau, pour le stockage d'eau en période d'étiage, pour l’obstacle sur les cours d'eau et enfin pour la protection du milieu aquatique425.
Pour autant, cette nouvelle norme introduit-‐elle des outils fiscaux pertinents en matière de lutte contre les pollutions de l’eau par une activité agricole ?
Tout d’abord, il faut souligner que depuis l’application de la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques, la contribution des agriculteurs est passée de 1% à 4 % avec la création de redevances spécifiques : la redevance pour activité d’élevage et celle pour pollution diffuse.
Ensuite, la Taxe Générale sur les Activités Polluantes qui regroupait initialement 5 taxes élaborées entre 1985 et 1992 a été étendue de façon à concerner davantage l’agriculture. En effet, la loi de financement de la sécurité sociale du 29 décembre 1999426 pour l’année 2000 a permis d’intégrer les produits antiparasitaires à usage agricole au régime de la Taxe Générale sur les Activités Polluantes. Cependant, le montant des sommes perçues est affecté au budget général de l’État. Par conséquent, il ne s’agit nullement d’une taxe environnementale puisque son produit ne finance pas directement une politique de ce type. Or, s’il existe un déséquilibre au profit de l’agriculture entre le montant des aides perçues par le secteur agricole et le montant des redevances qu’ils concèdent aux Agences de l’eau, cela résulte principalement du fait que le produit de cette Taxe Générale sur les Activités Polluantes n’est pas prise en compte dans le ratio « redevances aides ». C’est tout à fait regrettable et injuste car entre 1997 et 2002, la moyenne des aides accordées s’élevait à environ 59 millions euros alors que le montant de la taxe représentait plus de 30 millions d’euros427. Aussi apparaissait-‐ il légitime d’affecter le produit de la T.G.A.P. assise sur les produits phytopharmaceutiques aux Agences de l’eau afin de renforcer leurs mesures d’aides aux agriculteurs. Par ailleurs, une telle démarche semblerait tout à fait conforme à l’esprit initial de la fiscalité écologique en permettant non seulement d’orienter les comportements par des effets incitatifs, mais aussi de générer des recettes affectées à la préservation de l’environnement. C’est donc sans surprise qu’à partir de 2008 la T.G.A.P. appliquée aux produits antiparasitaires à usage agricole a été perçue par les Agence de l’eau à travers une redevance pour pollutions diffuses. Cette redevance est due par toute personne vendant des produits phytopharmaceutiques à l’utilisateur final et détentrice, à ce titre, d’un agrément. De plus, depuis le 1er janvier 2009, le montant de la redevance acquittée doit apparaître sur les factures destinées aux utilisateurs.
Pour autant, comme le souligne Bernard BARRAQUÉ, si la récupération des coûts, y compris environnementaux avaient lieu secteur par secteur, les agriculteurs ne pourraient pas les supporter. De plus, à quel titre les usagers qui n’ont pas financé leurs installations d’assainissement, puisqu’elles ont été payées en bonne partie par les
contribuables, exigeraient-‐ils que les agriculteurs financent, eux, la totalité du traitement des pollutions issues de leurs activités ? En conséquence, la mutualisation financière entre usagers telle que pratiquée par les Agences de l’eau apparaît nécessaire428.
L’instauration d’une fiscalité environnementale pour lutter contre la pollution de l’eau d’origine agricole paraît improbable, en partie à cause du caractère diffus de ce type de pollution. Dès lors, il convient de s’interroger sur d’autres moyens, que la fiscalité, qui permettraient de responsabiliser les acteurs de telles pollutions (Partie II).
Conclusion de titre :
Un ensemble de directives et de règlements ont été mis en œuvre pour lutter spécifiquement contre la pollution de l’eau d’origine agricole. Cependant, les effets de ce dispositif juridique sont insuffisants puisqu’ils n’ont pas permis de préserver la qualité de l‘eau.
En ce qui concerne les directives et les règlements, il faut distinguer les textes permettant de lutter contre la pollution par les nitrates et les produits phytosanitaires, de la directive cadre, car si dans les deux cas, le constat est négatif, les causes de ces échecs sont différentes.
La législation sur les nitrates et les produits phytosanitaires est d’une extrême complexité, ce qui rend très difficile sa mise en œuvre ; de même, l’application du principe du pollueur-‐payeur est illusoire, notamment en raison du caractère diffus des pollutions occasionnées par ce type d’intrants. Enfin, les industriels occupent une place trop importante dans le processus de mise sur le marché des produits phytosanitaires, ce qui pose un problème de conflit d’intérêts.
En ce qui concerne la directive cadre, elle souffre d’un régime dérogatoire trop large ce qui complique grandement l’application au pollueur-‐payeur et reporte les charges sur le « contribuable payeur », l’activité agricole demeurant hors de son champ d’application. Ce constat résulte principalement de la réticence des États membres à concéder une part de leurs compétences, en matière de gestion de l’eau, à l’Union européenne. Il faut également souligner la volonté pour certains États, comme par exemple la France, de ménager les agriculteurs en ne les soumettant pas à l’application d’une législation trop stricte.
Sur le plan fiscal, en plus des contraintes techniques liées à l’élaboration d’une fiscalité permettant de lutter contre la pollution des eaux d’origine agricole, la taxation telle qu’elle est pratiquée, est satisfaisante, non pas au regard des résultats obtenus en matière de réduction de la pollution et de changement des comportements, mais du fait qu’elle permet d’assurer le financement d’une politique coûteuse en matière de dépollution, sans pour autant recourir aux deniers publics, donc d’épargner le contribuable.