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Figure 2.2 : atouts des microréacteurs dus à leurs dimensions réduites

Le principal paramètre d’un microréacteur est sa surface spécifique de contact, correspondant au ratio de la surface des canaux sur le volume interne du microréacteur (soit S/V). Cette surface spécifique est très élevée dans le cas des microstructures, généralement comprise entre 10 000 et 50 000 m²/m3. Cela permet d’augmenter le transfert de matière, et les temps de diffusion à l’intérieur des canaux sont très courts. Le Tableau 2.1 propose la comparaison de quelques caractéristiques entre un microréacteur et un réacteur conventionnel. Les caractéristiques révèlent certains atouts des microréacteurs : volume faible, surface spécifique de contact importante, coefficient d’échange thermique élevé, et consommation énergétique basse. D’autres avantages sont liés au caractère laminaire et très symétrique des flux de matière au sein des canaux. Dans le cas de fluides multiphasiques, chaque phase est très ordonnée, grâce aux forces de surfaces et aux forces interfaciales ; des interfaces spécifiques sont alors obtenues, améliorant ainsi les conditions de la réaction.

Tableau 2.1 : comparaison de quelques caractéristiques pour un microréacteur et un réacteur conventionnel,

d’après [Jähnisch et al., 2004] et [Keil, 2004]

caractéristique microréacteur réacteur conventionnel

volume du réacteur 1 µL à quelques μL 100 mL à plusieurs litres

surface spécifique de contact plusieurs dizaines ou milliers de m²/m3 100 m²/m3 au maximum

surface des interfaces 5000 à 50 000 m²/m

3 en liq/liq, 20 000 m²/m3 en gaz/liq au maximum

environ 100 m²/m3 en liq/liq, jusqu’à 2000 m²/m3 en gaz/liq

épaisseur du film environ 25 μm environ 250 µm

temps de mélange moins d’une seconde plusieurs dizaines de secondes

coefficient d’échange plus de 25 000 W/m²/K pour les liquides,

plusieurs milliers de W/m²/K pour des gaz beaucoup plus faible

énergie requise

ex : pour obtenir une émulsion donnée, il faut environ dix fois moins d’énergie avec

un micromixer qu’avec une turbine

plus importante

Dans la plupart des cas, les mécanismes physiques et les cinétiques classiques peuvent-être appliqués, d’où la possibilité d’effectuer des simulations permettant de calculer la distribution du temps de séjour dans les canaux. Le temps de passage est généralement très faible dans un microréacteur.

Par ailleurs, le coefficient de transfert de chaleur est élevé à l’intérieur des microcanaux ; sa valeur étant inversement proportionnelle au diamètre des canaux, elle avoisine généralement 25 kW/m²/K. Ainsi, la chauffe et le refroidissement des mélanges réactionnels sont très rapides, d’où l’intérêt de l’utilisation de microréacteurs pour des réactions très endo- ou exothermiques. Les conditions sont généralement isothermes, et les points chauds ainsi que l’accumulation de chaleur sont supprimés : les réactions secondaires indésirables sont par conséquent entravées, engendrant ainsi une plus grande sélectivité de la réaction, un rendement amélioré et une qualité de produit optimisée. Les impacts environnementaux sont donc réduits si l’application s’effectue à grande échelle. De plus, comme les transferts de chaleur sont facilités, la puissance nécessaire pour chauffer ou refroidir un microprocédé est plus faible que celle nécessaire à un réacteur conventionnel, la consommation d’énergie est donc réduite.

Enfin, du point de vue de la sécurité, le potentiel dangereux de certaines réactions hautement exothermiques, explosives ou effectuées en conditions limites, est très réduit. En cas d’utilisation de substances toxiques, de travail sous fortes pressions ou encore de réactions menées à très hautes températures, la sécurité du procédé est également accrue. Le faible encombrement des microréacteurs permet par ailleurs de les placer de façon à limiter le transport et le stockage des produits.

Il faut finalement noter que les paramètres du procédé tels que pression, température, temps de passage et débit peuvent être facilement contrôlés, permettant de gérer parfaitement la réaction mise en jeu. [Jähnisch et al., 2004] [Ehrfeld et al., 2000] [Kiwi-Minsker et Renken, 2005] [Keil, 2004] [Kralisch et Kreisel, 2007]

Cependant, malgré tous les avantages proposés par les microréacteurs, il existe quelques inconvénients mineurs à leur utilisation. Premièrement, d’un point de vue calculatoire, il existe des écarts avec les équations macroscopiques classiques (Langmuir-Hinshelwood), surtout en

phase gazeuse ; cela peut ainsi poser des problèmes lors de simulations [Keil, 2004]. Dans un second temps, s’équiper de multiples petites unités représente aujourd’hui encore un surcoût par rapport à l’investissement nécessaire pour une unité de production traditionnelle, mais cet aspect économique doit être compensé par le gain en termes de sécurité et/ou de qualité du produit [Aubin et Xuereb, 2008]. De plus, la durée de vie des microréacteurs est plus faible qu’un réacteur traditionnel, car il existe un phénomène d’encrassement des microcanaux qui n’est pas encore maîtrisé et pousse au changement de la structure plus ou moins régulièrement, selon le type de réaction mise en jeu [Kralisch et Kreisel, 2007]. Enfin, il a été montré que la fabrication de microréacteurs (surtout s’ils sont construits en acier inox) est matériellement et énergétiquement plus consommatrice que la fabrication des équipements de production plus conventionnels : une étude du cycle de vie (Life Cycle Assessment : LCA) a été menée par [Kralisch et Kreisel, 2007] afin de comparer les aspects environnementaux et les impacts potentiels qu’induit la fabrication d’un produit chimique, en réacteur batch à double enveloppe ou en mode continu dans un microréacteur.

La réaction étudiée est la synthèse du m-anisaldéhyde sur lithium, effectuée sous haute sécurité car étant très exothermique ; le dispositif réactionnel nécessite ainsi un refroidissement important pour éviter l’emballement de la réaction. De nombreux paramètres sont pris en compte dans l’étude pour considérer l’ensemble du système, que ce soit le cycle de vie de chaque produit utilisé, l’approvisionnement en gaz inerte et en énergie, le traitement ainsi que le transport des déchets, les différents équipements nécessaires, < Cette étude a été effectuée à l’échelle du laboratoire mais également à celle de la production. Il en résulte que le passage du réacteur batch au microréacteur en continu semble réduire de façon significative les impacts environnementaux potentiels, malgré la durée de vie limitée des microréacteurs qui engendre leur remplacement régulier. En effet, la fabrication des microréacteurs considérés dans l’étude induit des émissions de chrome et de nickel lors de la production de l’inox. Bien qu’une cuve agitée soit également fabriquée en acier inoxydable, son remplacement reste exceptionnel. Cependant, les économies engendrées par l’utilisation d’un microréacteur sont multiples : diminution de la consommation d’énergie, réduction de l’utilisation de solvants, amélioration du rendement de la réaction (28% d’augmentation à l’échelle industrielle), < L’intérêt écologique est donc important. La seule petite restriction à l’intensification de ce procédé concerne la fabrication de l’inox, il conviendrait ainsi de pouvoir prolonger la durée de vie des microréacteurs, que ce soit pour des raisons environnementales ou économiques.

L’utilisation des microréacteurs est encore limitée en industrie, car il reste parfois des problèmes technologiques qu’il faut optimiser, comme la répartition équilibrée des flux entrants dans les canaux ou encore certains problèmes de connectique lors de l’emploi d’un microréacteur au sein d’un procédé plus traditionnel. Par ailleurs, l’encrassement des microcanaux est un phénomène parfois irrémédiable, et changer toute la structure peut devenir coûteux au fil du temps malgré la facilité de l’opération. Enfin, les industriels présentent quelquefois une certaine réticence à abandonner des procédés utilisés depuis de nombreuses années (en batch généralement), car ils sont bien maîtrisés et par conséquent fiables. La complexité des microprocédés peut paraître impressionnante, mais au vu des avantages

proposés par les microréacteurs, il semble que l’industrie s’y intéresse tout de même de plus en plus.

Comme évoqué précédemment, les microstructures permettent de produire suivant un concept d’intensification des procédés, le « numbering-up », schématisé sur la Figure 2.3. Il s’agit de mettre en parallèle plusieurs microréacteurs, pour produire la quantité de produit souhaitée (sachant que la capacité de production peut difficilement dépasser la tonne/heure). L’avantage majeur par rapport au « scale-up » est de pouvoir passer directement et rapidement de l’échelle des essais à celle de la production, limitant ainsi les risques intrinsèques à tout changement d’échelle (dégradation de la qualité du produit, pertes des performances énergétiques, <). La mise en parallèle de microréacteurs permet donc de produire à grande échelle tout en conservant les avantages des petits volumes. Il est également possible de combiner différents types d’appareils microstructurés afin d’effectuer diverses opérations en série : par exemple, réaction puis séparation des produits.

Figure 2.3 : « scale-up » et « numbering-up », de la recherche à la production

Les microstructures représentent ainsi un nouvel outil pour la chimie et les procédés, particulièrement adapté aux réactions rapides et/ou hautement exo- ou endothermiques. Elles permettent d’étudier ces réactions à l’échelle du laboratoire en envisageant une production dans de courts délais, mais également d’intensifier un procédé existant. Les réacteurs microstructurés sont déjà beaucoup étudiés et utilisés pour l’optimisation de synthèses, mais leur usage à des fins catalytiques n’est pas encore assez exploité ; l’une des raisons principales est la difficulté à introduire un catalyseur solide dans les microcanaux. Mais les potentiels des microréacteurs catalytiques se découvrent peu à peu et s’étudient ainsi de plus en plus au niveau industriel. [Ehrfeld et al., 2000] [Jähnisch et al., 2004] [Kiwi-Minsker et Renken, 2005] [Aubin et Xuereb, 2008]

Les divers avantages liés à l’utilisation des microréacteurs se répercutent ainsi sur des intérêts économiques et environnementaux, et proposent une utilisation simple et sécurisée en flux continu, tout en profitant d’un gain de place car les appareils microstructurés sont peu

encombrants par rapport aux procédés traditionnels. La partie suivante traite alors de la mise en œuvre des microréacteurs, afin de mieux comprendre les caractéristiques qui leur sont propres.

II. Mise en œuvre et technologie des microréacteurs

Pour fabriquer un microréacteur, la première étape consiste à définir le type de matériau utilisé pour la structure, puis un procédé adapté est appliqué pour l’obtention des microcanaux. Dans le cas d’un microréacteur catalytique, un catalyseur est alors inséré dans les canaux, par garnissage ou par recouvrement des parois. Enfin, les plaques sont assemblées puis insérées dans un châssis qui permet la connexion à une alimentation et à une sortie. Les différentes étapes de fabrication d’un microréacteur catalytique sont ainsi présentées dans cette partie, les techniques utilisées pour le chauffage du microréacteur sont également exposées.

II.1. Matériaux et microcanaux

II.1.a. Choix du matériau

Différents matériaux peuvent être utilisés pour fabriquer les plaques microstructurées. Le Tableau 2.2 regroupe les différents matériaux possibles pour la construction d’un microréacteur, en fonction des caractéristiques principales à considérer.

Tableau 2.2 : choix du matériau pour la construction d’un microréacteur, d’après [Kusakabe et al., 2001-a]

conductivité thermique

stabilité

thermique transparence

aptitude à la

mise en forme coût

polymère mauvaise mauvaise moyenne bonne peu élevé

verre mauvaise bonne très bonne bonne correct

céramique moyenne très bonne mauvaise moyenne correct

silicium bonne très bonne mauvaise bonne correct

métal bonne bonne mauvaise bonne peu élevé

Les polymères sont plutôt utilisés pour des applications à température ambiante ou inférieure à 200°C, car leurs propriétés changent au-delà de cette température. Par contre, la céramique est bien adaptée à une utilisation à haute température, de plus ce matériau est stable vis-à-vis de la corrosion. L’utilisation de plaques de silicium permet également d’appliquer des températures élevées (le point de fusion de la silice est proche de 1412°C), et les transferts de chaleur sont favorisés. Les métaux permettent eux aussi des transferts thermiques importants, mais leur structure peut réagir avec l’effluent. Enfin, le verre est surtout utilisé pour sa transparence mais il présente des risques de casse élevés. Il faut donc considérer un certain nombre de paramètres afin de trouver le matériau adéquat aux contraintes imposées par le procédé. [Kusakabe et al., 2001-a] [Mills et al., 2007]

Une étude a été menée par [Steinfeldt et al., 2003] afin de comparer les performances de deux microréacteurs, l’un étant fabriqué en acier inoxydable et l’autre en titane. La réaction étudiée est celle de la déshydrogénation oxydative du propène en propane, sur un catalyseur composé d’oxyde de vanadium supporté sur une couche d’alumine (VOx/Al2O3).

D’après les résultats expérimentaux, il apparaît une légère différence de sélectivité entre les deux microréacteurs lorsque la température augmente ; les résultats issus du modèle cinétique montrent également une déviation pour le microréacteur en acier inoxydable. Cela s’explique par le fait que l’acier inoxydable présente une certaine activité catalytique au delà de 500°C, en plus de celle apportée par le catalyseur. L’activité du titane est par contre négligeable, certainement à cause de la formation d’une couche d’oxyde TiO2, qui empêcherait l’interaction entre le titane et le catalyseur. Il convient ainsi de prendre en compte une éventuelle interaction avec le catalyseur et/ou le milieu réactionnel lors du choix d’un matériau supportant un catalyseur.

II.1.b. Gravure des microcanaux

L’obtention des microcanaux peut se faire selon plusieurs techniques : alors que la plupart des techniques sont abrasives (usinage, gravure), certaines se font par accumulation de matière (fusion sélective au laser, stéréolithographie). D’autres encore utilisent la transformation de la matière, que ce soit d’un point de vue mécanique (moulage, emboutissage) ou d’un point de vue chimique (cristallisation). Le Tableau 2.3 indique les procédés utilisés pour graver les microcanaux en fonction du type de matériau. [Brand et al., 2006]