2. Filtrations de Harder-Narasimhan
2.1. Fibr´es ad´eliques hermitiens
E. Gaudron [19] a g´en´eralis´ees ces notions dans un cadre plus g´en´eral des fibr´es
ad´eliques hermitiens.
Classiquement la filtration de Harder-Narasimhan d’un fibr´e vectoriel E est un
drapeau de E dont les sous-quotients sont semi-stables et de pentes strictement
d´ecroissantes, et le polygone de Harder-Narasimhan deE est une fonction concave et
lin´eaire par morceaux d´efinie sur [0,rgE] dont les pentes successives sont les pentes
des sous-quotients dans la filtration de Harder-Narasimhan. En g´eom´etrie d’Arakelov,
le polygone de Harder-Narasimhan est un invariant arithm´etique tr`es g´en´eral qui
per-met de consid´erer toutes les pentes d’un fibr´e vectoriel (ou ad´elique) hermitien en
mˆeme temps (cf. [3] et [19]).
Dans ce chapitre, on introduit un nouveau point de vue de cette th´eorie. `A chaque
fibr´e ad´elique hermitien, on associe une R-filtration de l’espace vectoriel sous-jacent,
qui m´emorise en mˆeme temps le drapeau et les pentes successives. On v´erifie que le
polygone associ´e `a cetteR-filtration co¨ıncide avec une forme normalis´ee du polygone
de Harder-Narasimhan du fibr´e ad´elique hermitien. Ce r´esultat nous permet d’utiliser
la m´ethode des R-filtrations et des mesures `a ´etudier les fibr´es ad´eliques hermitiens.
On rappelle que le symboleKd´esigne un corps de nombres, comme convenu dans
§1.1.
2.1. Fibr´es ad´eliques hermitiens
Les fibr´es vectoriels ad´eliques, notamment les fibr´es vectoriels hermitiens sont des
objects fondamentaux de la th´eorie des pentes. Depuis l’article fondateur [3] de J.-B.
Bost, les fibr´es vectoriels ad´eliques ainsi que leurs invariants arithm´etiques ont ´et´e
24 CHAPITRE 2. FILTRATIONS DE HARDER-NARASIMHAN
syst´ematiquement ´etudi´es dans une s´erie d’articles tels que [4, 12, 5, 19]. Dans cette
section, on rappelle des notions basiques de cette th´eorie et des r´esultats classiques
que l’on aura beseoin dans la suite. Voir [19] pour une pr´esentation compl`ete et
d´etaill´ee.
2.1.1. Fibr´es vectoriels ad´eliques. —
D´efinition 2.1.1. — On appelle fibr´e vectoriel ad´elique sur SpecK toute donn´ee
E= (E,(k · k
v)
v∈Σf∪Σ∞) d’un espace vectorielE de rang fini surK et d’une famille
de normesk · k
vsurE⊗
KC
v, soumise aux conditions suivantes :
1) Pour tout ´el´ements∈E, il existe un sous-ensemble finiS de Σ
ftel que ksk
p= 1
quel que soitp∈Σ
f\S.
2) Pour toute place v ∈ Σ
f∪Σ∞, la norme k · k
vest invariante sous l’action de
Gal(C
v/K
v). Plus pr´ecis´ement, si (s
1,· · · , s
r) est une base deE
Kvsur K
vet si
a
1,· · · , a
rsont des ´el´ements dansC
v, alors kτ(a
1)s
1+· · ·+τ(a
r)s
rk
v=ka
1s
1+
· · ·+a
rs
rk
vquel que soitτ ∈Gal(C
v/K
v).
3) Si p ∈ Σ
f, alors la norme k · k
pest ultram´etrique, c’est-`a-dire ks+s
′k
p≤
max(ksk
p,ks
′k
p).
Le fibr´e vectoriel ad´eliqueE est ditnulsi son espace vectoriel sous-jacentE est nul.
En outre, le rang de E est par d´efinition le rang de E sur K. Un fibr´e vectoriel
ad´elique de rang 1 s’appelle aussi un fibr´e inversible ad´elique.
Remarque 2.1.2. — Ici notre condition 1) est ´equivalente `a la condition 1) de [19]
D´efinition 3.1 :
il existe une base(s
1,· · ·, s
r)deEsurK et une partie finieS deΣ
ftelles
que,ka
1s
1+· · ·+a
rs
rk
v= max(|a
1|
v,· · ·,|a
r|
v)quel que soientv∈Σ
f\S
et(a
1,· · · , a
r)∈C
rv,
sachant que les normes correspondant aux places finies sont ultram´etiques.
SoitE un fibr´e vectoriel ad´elique non-nul sur Speck. On d´efinit laboule unit´ede
E comme le sous-ensemble B(E) de E⊗
KA
Kdes ´el´ements (s
v)
v∈Σf∪Σ∞tels que
ks
vk
v≤1 quel que soitv ∈Σ
f∪Σ∞. Lacaract´eristique d’Euler-Poincar´e deE est
par d´efinition le nombre r´eel
(14) χ(E) := log(vol(B(E)))−log(covol(E)),
o`u vol est une mesure de Haar quelconque surE⊗
KA
K, et covol(E) est le covolume
de E pour cette mesure, c’est-`a-dire la mesure pour vol d’un domaine fondamental
du quotient (E⊗
KA
K)/E. Cette d´efinition ne d´epend pas du choix de la mesure de
Haar vol. En particulier, on a l’´egalit´e
(15) χ(E) = log(m
E(B(E)))−rg(E) logp
|D
K|,
2.1. FIBR ´ES AD ´ELIQUES HERMITIENS 25
Pour tout entierr≥1, soitK
r= (K
r,(k · k
v)
v∈Σf∪Σ∞) l’espace vectoriel de rang
r surK muni des m´etriques qui “proviennent de celles deK”. Plus pr´ecis´ement, si
on d´esigne par (e
1,· · ·, e
r) la base canonique de K
r, alors pour toute placev deK
et tous les ´el´ementsa
1,· · ·, a
rdansC
v, on a
ka
1e
1+· · ·+a
re
rk
v=
(
max(|a
1|
v,· · ·,|a
r|
v), siv∈Σ
f,
p
|a
1|
2 v+· · ·+|a
r|
2 v, siv∈Σ∞.
K
rest donc un fibr´e vectoriel ad´elique sur SpecK, appel´e le fibr´e vectoriel ad´elique
trivialde rangrsur SpecK.
Si E est un fibr´e vectoriel ad´elique de rangr >0 sur SpecK, on d´efinit le degr´e
d’ArakelovdeE comme la diff´erence
(16) degdE:=χ(E)−χ(K
r) = log(vol(B(E)))−log(vol(B(K
r))).
Sa version normalis´ee est par d´efinitionddeg
n(E) = 1
[K:Q]deg(d E). LapentedeE est
d´efinie comme le quotientµb(E) :=ddeg
n(E)/rgE. En particulier, le degr´e d’Arakelov
d’un fibr´e vectoriel ad´elique trivial sur SpecK est nul. Enfin, si E est nul, alors son
degr´e d’Arakelov et sa pentes sont nuls par convention.
Proposition 2.1.3. — La caract´eristique d’Euler-Poincar´e deK
rest
χ(K
r) = (#Σ
∞,r) logV
r+ (#Σ
∞,c)(logV
2r+rlog 2)−rlogp
|∆
K|,
o`uV
nest le volume euclidien standard du disque unit´e dans R
n.
D´emonstration. — C’est une cons´equence de la formule (15) ainsi que la d´efinition
dem
E.
Remarque 2.1.4. — D’apr`es [19] (10), on a
logV
n=n(logV
1+ Γ(3/2))−Γ(1 +n/2) =−n2logn+O(n).
On en d´eduit donc
(17) χ(K
r) =−[K2:Q]rlogr+O(r)
puisque #Σ∞
,r+ 2#Σ∞
,c= [K:Q].
Si L est un fibr´e inversible ad´elique et si s est un ´el´ement non-nul deL, alors le
degr´e d’Arakelov deLse calcule comme ci-dessous :
(18) ddeg(L) =− X
v∈Σf∪Σ∞
n
vlogksk
v.
SiL
1etL
2sont deux fibr´es inversibles ad´eliques, alors leur produit tensorielL
1⊗L
226 CHAPITRE 2. FILTRATIONS DE HARDER-NARASIMHAN
L
1⊗L
2et dont les m´etriques satisfontks
1⊗s
2k
v=ks
1k
vks
2k
vquel que soit v. La
formule (18) implique que
(19) deg(dL
1⊗L
2) =deg(d L
1) +ddeg(L
2)
Soient E et F deux fibr´es vectoriels ad´eliques sur SpecK. Siϕ: E→F est une
applicationK-lin´eaire, alors elle induit pour chaque placev∈Σ
f∪Σ∞une application
C
v-lin´eaireϕ
v:E⊗
KC
v→F⊗
KC
vpar extension de scalaire. On d´efinit la hauteur
deϕcomme la somme normalis´ee
(20) h(ϕ) := 1
[K:Q]
X
v∈Σf∪Σ∞
n
vlogkϕ
vk
v,
o`ukϕ
vk
vest la norme d’op´erateur lin´eaire.
2.1.2. In´egalit´e de pentes. — La proposition suivante est une in´egalit´e de pentes.
Voir [19] Lemmes 6.2 et 6.3 pour une preuve. Cette in´egalit´e nous permet de comparer
les pentes lorsque l’on change les m´etriques d’un fibr´e vectoriel ad´elique.
Proposition 2.1.5. — SoientE etF deux fibr´es vectoriels ad´eliques de rang r >0
surSpecK. Si ϕ:E →F est un isomorphisme K-lin´eaire, alors
(21) µb(E)≤µb(F) +h(ϕ).
Si de plusr= 1, alors l’in´egalit´e (21)est en fait une ´egalit´e.
Lapente maximaledeEest la valeur maximale des pentes des sous-fibr´es vectoriels
ad´eliques (c’est-`a-dire sous-espace de Emuni des m´etriques induites) non-nuls de E,
not´eeµb
max(E). Par conventionµb
max(0) =−∞. L’existence de la pente maximale est
justifi´ee dans [19] proposition 5.3. On rappelle ici une in´egalit´e dans le lemme 6.4loc.
cit. qui compare les pentes maximales de la source et du but d’un homomorphisme
injectif.
Proposition 2.1.6. — SoientE et F deux fibr´es vectoriels ad´eliques et ϕ:E→F
une application K-lin´eaire injective. Alors
(22) µb
max(E)≤µb
max(F) +h(ϕ).
2.1.3. Fibr´es ad´eliques hermitiens. — On dit qu’un fibr´e vectoriel ad´eliqueE=
(E,(k · k
v)
v∈Σf∪Σ∞) sur SpecK est unfibr´e ad´elique hermitiensi, pour chaque place
infiniev∈Σ
∞, la normek·k
vest induite par une forme hermitienneh, i
vsurE⊗
KC
v.
Par d´efinition, les fibr´es inversibles ad´eliques sont des fibr´es ad´eliques hermitiens. Si
E et F sont deux fibr´es ad´eliques hermitiens, on appellehomomorphisme de E vers
F toute applicationK-lin´eaire deE versF.
Remarque 2.1.7. — Dans la litt´erature, la notion de fibr´e vectoriel hermitien sur
SpecO
Kest plus couramment utilis´ee. Un fibr´e vectoriel hermitien E sur SpecO
K2.1. FIBR ´ES AD ´ELIQUES HERMITIENS 27
k · k
vsur E ⊗
OKC
v, invariantes par la conjugaison complexe si la place v est r´elle
(c’est-`a-dire que, siv est r´eelle, alorsk · k
vest induite par une norme euclidienne sur
E ⊗
OK,vR). Une autre d´efinition ´equivalente est la donn´ee (E,(k·k
σ)
σ:K→C) d’unO
K-module projectifE et d’une famille de m´etriquesk · k
σindex´ees par les plongement de
KdansC, invariantes par la conjugaison complexe (on tient compte aussi de l’action
de la conjugaison complexe sur les plongements). SoitE =E
K. Pour chaque place
finiep∈Σ
f, la structure deO
K-module sur E induit une normek · k
psurE⊗
KC
p:
ksk
p= inf
|a|
pa∈C
p, s∈a(E ⊗
OKOb
p) ,
o`u Ob
pest l’anneau de valuation p de C
p. Ainsi (E,(k · k
v)
v∈Σf∪Σ∞) est un fibr´e
ad´elique hermitien sur SpecK.
R´eciproquement, ´etant donn´e un fibr´e ad´elique hermitien E sur SpecK, on peut
en d´eduire une structure enti`ere sur une localisation deO
K. En effet, soitSla partie
finie de Σ
fcomme dans la remarque 2.1.2. Soient U le sous-sch´ema ouvert dense de
SpecO
Kle compl´ementaire de S etO
Ul’anneau deU. L’ensemble
E={x∈E| ∀p∈Σ
f\S, kxk
p≤1}
est un O
U-module projectif de type fini et, pour chaque p ∈ Σ
f\S, la norme sur
E⊗
KC
pinduite par la structure enti`ere de E co¨ıncide avec k · k
p. Ainsi le fibr´e
ad´elique hermitienE peut ˆetre consid´er´e comme un fibr´e vectoriel hermitien surU si
on pr´etend que les places dansS sont “infinies”.
´
Etant donn´e un fibr´e ad´elique hermitien E, les sous-fibr´es ad´eliques hermitiens
et les quotients ad´eliques hermitiens sont naturellement d´efinis. Un sous-fibr´e
ad´elique hermitien est la donn´ee F d’un sous-espace vectoriel F de E muni
des m´etriques induites. L’espce quotient E/F et les m´etriques quotientes
for-ment aussi un fibr´e ad´elique hermitien sur SpecK, not´e E/F. Le diagramme
0 //F //E //E/F //0 est appel´e une suite exacte courte de fibr´es
ad´eliques hermitiens.
Plusieurs constructions alg´ebriques sont “canoniquement” d´efinies pour les fibr´es
ad´eliques hermitiens, notamment lasomme directeet leproduit tensorielde deux fibr´es
ad´eliques hermitiens, ainsi que le dual, les puissances sym´etriques et les puissances
ext´erieures d’un fibr´e ad´elique hermitien. En particulier, le d´eterminant d’un fibr´e
ad´elique hermitienE est par d´efinition la puissance ext´erieure d´etE := Λ
rgEE. De
plus, on addeg
n(E) =degd
n(d´etE). D’autre part, ddeg
n(E) +degd
n(E
∨) = 0, o`uE
∨est
le dual deE.
Si 0 //F //E //G //0 est une suite exacte courte de fibr´es
ad´eliques hermitiens, alors d´etE est canoniquement isomorphe `a d´etF⊗d´etG, d’o`u
(23) degd
n(E) =degd
n(F) +ddeg
n(G).
28 CHAPITRE 2. FILTRATIONS DE HARDER-NARASIMHAN
SiE et F sont deux fibr´es ad´eliques hermitiens, alors d´et(E⊗F) est isomorphe `a
(d´etE)
⊗rgF⊗(d´etF)
⊗rgE. Par cons´equent,
(24) deg(d E⊗F) = rgFdeg(dE) + rgEdeg(d F).
Les ´egalit´es de degr´es d’Arakelov (23) et (24) impliquent les ´egalit´es suivantes de
pentes
b
µ(E) = rgF
rgEµb(F) +rgG
rgEµb(G),
(25)
b
µ(E⊗F) =µb(E) +µb(F),
(26)
pourvu que tous les fibr´es ad´eliques hermitiens sont non-nuls.
2.1.4. In´egalit´e de pentes des fibr´es ad´eliques hermitiens. — Lapente
min-imale d’un fibr´e ad´elique hermitien non-nul E est la valeur minimale des pentes de
ses quotients ad´eliques hermitiens non-nuls, not´ee µb
min(E). Par d´efinition on a la
relationµb
min(E)≤µb(E)≤µb
max(E). En outre,µb
max(E
∨) =−bµ
min(E). On note par
conventionµb
min(0) = +∞.
Remarque 2.1.8. — Dans [19], la pente minimale est aussi introduite pour un fibr´e
vectoriel ad´elique. Mais l’´egalit´eµb
max(E
∨) =−bµ
min(E) n’est plus vraie en g´en´eral.
´
Etant donn´e un homomorphisme non-nul de fibr´es ad´eliques hermitiens sur SpecK,
les diverses pentes de la source et du but se comparent par les in´egalit´es de pentes :
Proposition 2.1.9. — Soit ϕ : E → F un homomorphisme non-nul de fibr´es
ad´eliques hermitiens. Les in´egalit´es suivantes sont v´erifi´ees :
1) µb
min(E)≤µb
max(F) +h(ϕ).
2) Si ϕest injectif, alorsµb
max(E)≤bµ
max(F) +h(ϕ).
3) Si ϕest surjectif, alorsµb
min(E)≤µb
min(F) +h(ϕ).
D´emonstration. — 2) est un cas particulier de la proposition 2.1.6. Si on applique
2) `a ϕ
∨:F
∨→E
∨on obtient 3). On d´esigne parGl’image de E parϕmunie des
m´etrique induite. En appliquant 3) `a l’homomorphisme canoniqueE→G, on obtient
b
µ
min(E)≤µb
min(G) +h(ϕ)≤µb
max(F) +h(ϕ), qui d´emontre 1).
2.1.5. Pente minimale du produit tensoriel. — On rappelle une estimation de
la pente minimales du produit tensoriel d’un nombre fini de fibr´es ad´eliques hermitiens
´etablie dans [14].
Proposition 2.1.10. — Soit (E
i)
1≤i≤nune famille finie de fibr´es ad´eliques
hermi-tiens non-nuls sur SpecK. L’in´egalit´e suivante est v´erifi´ee :
(27) µb
min(E
1⊗ · · · ⊗E
n)≥
nX
i=1b
µ
min(E
i)−log(rgE
i)
.
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Convergence des polygones de Harder-Narasimhan
(Page 32-38)