3. Convergence des polygones
3.2. Alg`ebres gradu´ees quasi-filtr´ees et pseudo-filtr´ees
d´efinition
ν
F(n)= 1
rgB
nX
|α|=nδ
α1b1+···+αmbm, T
1 nν
F(n)= 1
rgB
nX
y∈1 nNm∩∆mϕ
b∗(δ
y).
On en d´eduit donc que la suite de mesures (T
1n
ν
F(n))
n≥1converge vaguement versν
b.
3.2. Alg`ebres gradu´ees quasi-filtr´ees et pseudo-filtr´ees
Dans la section pr´ec´edente, en utilisant la m´ethode des s´eries de Poincar´e on a pu
´etablir un th´eor`eme de convergence (le th´eor`eme 3.1.8) pour les alg`ebres bigradu´ees.
En fait, le mˆeme r´esultat est aussi vrai pour une alg`ebre gradu´ee munie des filtrations
dont l’alg`ebre bigradu´ee associ´ee est de type fini.
Soit B = L
n≥0
B
nune alg`ebre gradu´ee de type fini sur k. On suppose que
chaque espace vectoriel B
nest muni d’une R-filtration d´ecroissante F
(n)telle que
le support de ν
F(n)est contenu dans N(c’est-`a-dire que les points de saut sont des
entiers positifs) et que l’alg`ebreBsoit filtr´ee pour les filtrationsF
(n), c’est-`a-dire que
F
s(n)B
nF
t(n′)B
n′⊂ F
s+t(n+n′)B
n+n′quels que soient (n, n
′)∈ N
2et (s, t)∈ R
2. Pour
tout entier d, soit Be
n,dle sous-quotient F
d(n)B
n/F
d+1(n)B
n. Alors la somme directe
e
B =L
n,d
Be
n,dforme une alg`ebre bigradu´ee surk, o`u le produit de deux ´el´ements
[x]∈B
n,det [y]∈B
n′,d′est la classe dexy dansF
d+d(n+n′′)B
n+n′/F
d+d(n+n′+1′)B
n+n′. Soit
P ∈Z[[X, Y]] la s´erie telle que
P(X, Y) = X
(n,d)∈N2
rg
k(Be
n,d)X
nY
d.
Il s’av`ere que la mesure dilat´ee T
1n
ν
F(n)associ´ee `a la filtration F
(n)co¨ıncide avec
ν
n,P. Dans le cas o`u Be est une alg`ebre de type fini sur k, cette observation nous
permet d’appliquer le th´eor`eme 3.1.8 pour d´emontrer la convergence desT
1n
ν
F(n)et
pour calculer la limite.
Cependant, il est tr`es rare que la nouvelle alg`ebre Be soit de type fini. On peut
consid´erer un exemple simple o`uB=k[X] est l’alg`ebre des polynˆomes `a une variable.
Soit (a
n)
n≥0une suite d’entiers dansNtelle que
(41) a
0= 0, 0≤a
n≤n, a
n+n′< a
n+a
n′quel que soit (n, n
′)∈Z
2>0.
On suppose que B est usuellement gradu´ee et que la filtrationF
(n)de l’espacekX
nadmet un seul point de saut enn−a
n. L’alg`ebreB est filtr´ee car
λ
F(n+n′)(X
n+n′) = (n+n
′)−a
n+n′≥(n−a
n)+ (n
′−a
n′) =λ
F(n)(X
n)+λ
F(n′)(X
n′),
o`u les fonctions λ sont d´efinies dans (2). L’alg`ebre bigradu´ee Be s’identifie `a
k[T
1,· · ·, T
n,· · ·], o`u le bidegr´e deT
nest (n, a
n), modulo l’id´eal homog`ene engendr´e
par les ´el´ements de la formeT
nT
n′. Ce n’est pas une alg`ebre de type fini. Par ailleurs,
la mesure associ´ee `a F
(n)est la mesure de Dirac δ
an. La condition (41) combin´ee48 CHAPITRE 3. CONVERGENCE DES POLYGONES
avec le corollaire 1.3.3 montre que la suite (a
n/n)
n≥1converge dansR. Cela montre
effectivement que les mesuresT
1n
δ
an=δ
an/nconvergent vaguement vers une mesure
de Dirac lorsquentend vers l’infini.
Cet exemple sugg`ere que la convergence vague des mesures associ´ees `a une alg`ebre
gradu´ee munie des filtrations devrait v´erifier sous une hypoth`ese assez faible sur la
croissance des filtrations. La formalisation de cette observation conduit `a deux notions
similaires —alg`ebre gradu´ee quasi-filtr´eeetalg`ebre gradu´ee pseudo-filtr´ee— qui sont
importantes dans la deuxi`eme strat´egie `a ´etudier la convergence des polygones que
l’on pr´esentera dans les sections qui suivent.
On fixe dans cette section une application f : N→ R
≥0et une alg`ebre gradu´ee
B = L
n≥0
B
nqui est de type fini sur k, o`u chaque espace vectoriel B
nest muni
d’uneR-filtration d´ecroissanteF
(n).
3.2.1. Alg`ebre gradu´ee quasi-filtr´ee. —
D´efinition 3.2.1. — On dit que l’alg`ebre gradu´ee B est f-quasi-filtr´ee s’il existe
un entier n
0> 0 tel que, pour tout entier r > 0, tout (n
i)
1≤i≤r∈ Z
r≥n0et tout
(s
i)
1≤i≤r∈R
r, on ait
rY
i=1F
(ni) siB
ni⊂ F
S(N)B
N, o`u N =
rX
i=1n
iet S=
rX
i=1(s
i−f(n
i)).
Une alg`ebre gradu´ee 0-quasi-filtr´ee s’appelle aussi une alg`ebre gradu´ee filtr´ee, o`u le
symbole 0 d´esigne la fonction constante deNversR
≥0qui prend valeur 0.
L’alg`ebre gradu´eeB estf-quasi-filtr´ee si et seulement s’il existe un entier n
0>0
tel que, pour tous les ´el´ements homog`enesx
1,· · · , x
rde degr´en
1,· · ·, n
rdansN
≥n0respectivement, en posantx=x
1x
2· · ·x
ret N=n
1+· · ·+n
r, on ait
λ
F(N)(x)≥
rX
i=1λ
F(ni)(x
i)−f(n
i)
.
Exemple 3.2.2. — On consid`ere un exemple o`u l’alg`ebre B est l’alg`ebre k[X] des
polynˆome `a une variable, munie de la graduation usuelle. Pour tout entiern≥1 soit
a
n= λ
F(n)(X
n). Alors cette alg`ebre gradu´ee estf-quasi-filtr´ee si et seulement s’il
existe un entiern
0>0 tel que, pour toute suite finien
1,· · · , n
rd’entiers≥n
0, on ait
a
n1+···+nr≥
rX
i=1a
ni−f(n
i)
.
D’apr`es le corollaire 1.3.2, la suite (a
n/n)
n≥1converge pourvu que a
n=O(n) (n→
∞) et que lim
n→+∞
f(n)/n= 0.
Remarque 3.2.3. — On suppose que l’alg`ebre gradu´eeB est f-quasi-filt´ee. Alors
pour toute fonction g qui domine f, c’est-`a-dire telle queg(n)≥f(n) quel que soit
3.2. ALG`EBRES GRADU ´EES QUASI-FILTR ´EES ET PSEUDO-FILTR ´EES 49
n∈N, l’alg`ebreB estg-quasi-filtr´ee. En outre, pour toute sous-alg`ebreAengendr´ee
par des ´el´ements homog`enes,A est aussif-quasi-filtr´ee.
On pr´esente au-dessous un r´esultat de convergence. Bien que sa d´emonstration est
´el´ementaire, elle contient d´ej`a des id´ees importantes de la preuve de la convergence
des polygone.
Proposition 3.2.4. — On suppose que
1) l’alg`ebre gradu´eeB est int`egre etf-quasi-filtr´ee, etB
n6= 0pourn assez grand,
2) lim
n→+∞
f(n)/n= 0,
3) il existe α >0 tel queλ
max(F
(n))≤αnpour tout entiern≥1.
Alors la suite (λ
max(F
(n))/n)
n≥1converge dans R, o`u l’application λ
maxest d´efinie
dans (3).
D´emonstration. — Soit n
0∈ Z
>0comme dans la d´efinition 3.2.1. Pour tout entier
n ≥ 1, soit x
nun ´el´ement non-nul dans B
ntel que λ
F(n)(x
n) = λ
max(F
(n)). On
suppose quer ≥1 et un entier et quen
1,· · ·, n
rsont des ´el´ements dans Z
≥n0. On
noteN =n
1+· · ·+n
r. L’alg`ebreB´etant int`egre, le produitx
n1· · ·x
nrest non-nul.
CommeB estf-quasi-filtr´ee, on a
λ
max(F
(N))≥λ
F(N)(x
n1· · ·x
nr)≥
rX
i=1λ
F(ni)(x
ni)−f(n
i)
=
rX
i=1λ
max(F
(ni))−f(n
i)
.
Par cons´equent, la suite (λ
max(F
(n)))
n≥1v´erifie les conditions du corollaire 1.3.2.
Donc elle converge dans R.
Remarque 3.2.5. — On verra dans la remarque 3.4.4 que l’´enonc´e de la proposition
3.2.4 n’est pas n´ecessairement vrai si l’alg`ebreB n’est pas int`egre.
Proposition 3.2.6. — On suppose que
1) l’alg`ebre gradu´ee B est f-quasi-filtr´ee, B
n6= 0 pour n assez grand, et B
nB
m=
B
n+mpournet massez grands,
2) lim
n→+∞
f(n)/n= 0,
3) il existe α >0 tel queλ
min(F
(n))≤αnpour tout entiern≥1.
Alors la suite (λ
min(F
(n))/n)
n≥1converge dans R, o`u l’application λ
minest d´efinie
dans (3).
D´emonstration. — Soitn
0∈Z
>0comme dans la d´efinition 3.2.1. Quitte `a agrandir
n
0, on peut supposer que B
nB
m= B
n+md`es que n et m sont tous sup´erieurs ou
´egaux `an
0. Soientn
1,· · · , n
rdes entiers arbitraires dansZ
≥n0etN =n
1+· · ·+n
r.
Soit W = {b
1· · ·b
r| ∀i, b
i∈ B
ni}. Comme B
N= B
n1· · ·B
nr, l’espace B
Nest
50 CHAPITRE 3. CONVERGENCE DES POLYGONES
engendr´e comme groupe additif parW. Si a
1,· · ·, a
msont des ´el´ements dans W, on
a λ
F(N)(a
1+· · ·+a
m) ≥ min
1≤i≤m
(λ
F(N)(a
i)). On en d´eduit l’existence d’un ´el´ement
y ∈W tel queλ
F(N)(y) =λ
min(F
(N)). On suppose que y =c
1· · ·c
ravec c
i∈B
ni.
Alors
λ
min(F
(N)) =λ
F(N)(y)≥
rX
i=1λ
F(ni)(c
i)−f(n
i)
≥
rX
i=1λ
min(F
(ni))−f(n
i)
.
D’apr`es le corollaire 1.3.2, la suite (λ
min(F
(n))/n)
n≥1converge dansR.
Remarque 3.2.7. — L’assertion de la proposition 3.2.6 n’est pas n´ecessairement
vraie si la condition “B
n+m= B
nB
mpour n, m assez grands” n’est pas satisfaite.
On consid`ere l’alg`ebre de polynˆomesB =k[X, Y] qui est gradu´ee de sorte queX soit
homog`ene de degr´e 1 etY soit homog`ene de degr´e 2. Dans ce cas-l`aB
nest engendr´e
comme un espace vectoriel sur k pare
n:= (X
n, X
n−2Y,· · ·, Y
n/2) si nest pair et
pare
n:= (X
n, X
n−2Y,· · ·, XY
(n−1)/2) si nest impaire. Pour tout entiern≥1, on
munit l’espaceB
nune filtrationF
(n)telle que
1) la basee
nsoit compatible `a F
(n);
2) sinest impair, pour touta∈e
n, λ
F(n)(a) = 0;
3) sinest pair, pour touta∈e
nautre queY
n/2,λ
F(n)(a) = 0, etλ
F(n)(Y
n/2) =−n.
On v´erifie que l’alg`ebreBest filtr´ee. D’abord, pour tout ´el´ementQ∈B
n,λ
F(n)(Q) =
0 siQest divisible parX etλ
F(n)(Q) =−nsinon. On suppose queP∈B
netQ∈B
msont deux ´el´ements non-nuls. Si l’un des P et Q est divisible parX, alors il en est
de mˆeme de P Q. Par cons´equent, λ
F(n+m)(P Q) = 0 ≥λ
F(n)(P) +λ
F(n)(Q); sinon
λ
F(n+m)(P Q) =−(n+m) =λ
F(n)(P) +λ
F(m)(Q). Donc la relationλ
F(n+m)(P Q)≥
λ
F(n)(P) +λ
F(n)(Q) est toujours v´erifi´ee. On en d´eduit par r´ecurrence que l’alg`ebre
gradu´eeBest filtr´ee. Cependant,λ
min(F
(n)) est ´egal `a 0 sinest impair et est ´egal `a
−nsinest pair. Donc la convergence de (λ
min(F
(n))/n)
n≥1n’est pas v´erifi´ee.
Bien que les hypoth`eses alg´ebriques dans les propositions 3.2.4 et 3.2.6 sont
l´eg`erement diff´erentes, les preuves utilise une mˆeme technique — les suites presques
sur-additives — discut´ee dans§1.3, qui jouera un rˆole important dans l’´etude de la
convergence des polygones.
3.2.2. Alg`ebre gradu´ee pseudo-filtr´ee. — On pr´esente une variante de la
no-tion d’alg`ebre gradu´ee quasi-filtr´ee — celle d’alg`ebre gradu´ee pseudo-filtr´ee. Cette
notion demande des conditions alg´ebriques plus faibles. Ceci permet de simplifier
dans certains cas la v´erification des conditions.
D´efinition 3.2.8. — On dit que l’alg`ebre gradu´eeB est f-pseudo-filtr´ees’il existe
un entier n
0>0 tel que, pour tout couple d’entiers (m, n)∈Z
2≥n0
, tout (s, t)∈R
2,
on ait (F
s(m)B
m)(F
t(n)B
n)⊂ F
s+t(m+n)B
m+n.
3.3. CONVERGENCE DES MESURES : CAS D’ALG `EBRE DE POLYN ˆOMES 51
Une alg`ebre gradu´ee 0-pseudo-filtr´ee est exactement une alg`ebre gradu´ee filtr´ee.
En outre, l’alg`ebre gradu´eeB est pseudo-filtr´ee si et seulement s’il existe un entier
n
0>0 tel que, pour tous les ´el´ements homog`enesxety deB de degr´esmetndans
Z
≥n0respectivement, on aitλ
F(m+n)(xy)≥λ
F(m)(x) +λ
F(n)(y)−f(m)−f(n).
On pr´esente dans le contexe des alg`ebres gradu´ees pseudo-filtr´ees les r´esultats de
convergence des suites (λ
max(F
(n))/n)
n≥1et (λ
min(F
(n))/n) en s’imposant d’une
condition de croissante lente de f qui est plus forte que l’annulation de la limite
lim
n→+∞
f(n)/n. Au lieu d’utiliser le corollaire 1.3.2, on fait appel au corollaire 1.3.6.
Comme les d´emonstrations sont tr`es similiares que celles des propositions 3.2.4 et
3.2.6, on laisse les lecteurs le soin de les compl´eter.
Proposition 3.2.9. — On suppose que
1) l’alg`ebre gradu´eeB est int`egre etf-pseudo-filtr´ee, etB
n6= 0 pournassez grand,
2) la fonction f est croissante et X
α≥0
f(2
α)/2
α<+∞,
3) il existe α >0 tel queλ
max(F
(n))≤αnpour tout entiern≥1.
Alors la suite (λ
max(F
(n))/n)
n≥1converge dans R.
Proposition 3.2.10. — On suppose que
1) l’alg`ebre gradu´ee B est f-pseudo-filtr´ee, B
n6= 0 pour nassez grand, et B
nB
m=
B
n+mpournet massez grands,
2) la fonction f est croissante et X
α≥0
f(2
α)/2
α<+∞,
3) il existe α >0 tel queλ
min(F
(n))≤αnpour tout entiern≥1.
Alors la suite (λ
min(F
(n))/n)
n≥1converge dans R.
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Convergence des polygones de Harder-Narasimhan
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