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1.3 Les émotions comme levier de l’accession à l’autre

1.3.2 Faire preuve d’empathie et d’une capacité d’observation

Les guides de bonnes pratiques expliquent que la détermination des attentes des personnes malades suppose des qualités particulières chez les professionnels, et notam- ment l’empathie et le sens de l’observation.

L’empathie représente l’un des moyens permettant d’accéder à la personne. Il n’y a qu’en se mettant à la place des résidents que les professionnels pourront établir ce qui a de l’importance pour eux, et ainsi mettre en œuvre une prise en charge respectueuse. L’empathie nécessite de posséder une qualité humaine bien particulière, celle de se projeter dans la situation de l’autre, aussi différente soit-elle. Cela permet l’établissement des besoins associés à la maladie, et en conséquence de minimiser les troubles du comportement. L’empathie conduit ainsi à mettre en évidence l’importance de la stabilité du lieu de vie, notamment la chambre, ou encore de l’étayage social, la solitude entraînant une angoisse chez le malade (Ploton, 2009).

Le professionnel doit littéralement se mettre dans la peau du malade afin d’ima- giner ses préférences lorsqu’elles ne peuvent s’exprimer directement. Le respect de la dignité consiste ainsi à veiller à l’image que le malade renvoie aux autres, au tra- vers d’un habillage adéquat, ou encore d’une coiffure correspondant à son « âge et sa culture ». Le professionnel veille également à gommer au maximum les traces de stigmates socialement invalidants. Il peut, dans cet objectif, proposer de « masquer une amputation de jambe par un habillage adéquat (pantalon, jupe longue) ou par une couverture, ou encore « utiliser des poches à urine pouvant s’accrocher sur la jambe ou la cuisse afin d’éviter qu’elles soient visibles de tous en étant accrochées au fauteuil »77.

77. ANESM (2012c). « Recommandation de bonnes pratiques professionnelles. Qualité de vie en EHPAD (volet 4). L’accompagnement personnalisé de la santé du résident », pp. 39-40

L’empathie ne consiste pas uniquement en la détermination théorique d’attentes, puisqu’elle permet l’entrée en communication, enjeu majeur de la personnalisation. Plus précisément, l’empathie représente un outil de cadrage des leviers possibles de la communication. Les actes concrets consistent par exemple à agir sur la modulation du langage en fonction de l’interlocuteur, ce qui peut conduire à parler lentement afin de laisser un temps de réponse suffisant aux personnes dont le débit de paroles est amoindri. Lorsque la vitesse de compréhension est ralentie, il est nécessaire de décomposer les consignes. Le cas échéant, une communication non verbale doit être établie.

Pour mettre en place un « réel échange », il faut se positionner en « véritable interlocuteur », ce qui implique de laisser suffisamment de temps de réponse au malade, d’échanger avec lui sur des thèmes qui l’intéressent et non de l’ « interroger » en connaissant les réponses à l’avance, ou encore d’ « accepter » les discours n’étant pas en lien avec la réalité. Le soignant doit de préférence « rejoindre » le malade d’Alzheimer dans son monde et sa réalité, plutôt que le ramener systématiquement à ses erreurs. Cette situation permet d’éviter que le malade ne s’enferme dans son monde et devienne agressif (Rousseau, 2013).

L’approche Carpe Diem enjoint les professionnels à se mettre à la place du résident afin de comprendre ce qu’il ressent, et ainsi déterminer ses désirs78. Sa particularité affichée est l’ajustement à chaque personne selon ses besoins, là où les approches traditionnelles limitent les déplacements, recourent aux médicaments tranquillisants, fixent des horaires de repas, de lever et de coucher, ou encore imposent des activités. Ce nouveau « regard » sur le malade suppose une « capacité à se mettre à la place de l’autre personne pour mieux comprendre ce qu’elle ressent »79.

Les personnes envoient des messages parfois difficiles à interpréter, mais qu’il faut malgré tout saisir, de façon respectueuse et sensible. Dans cette perspective, les équipes ne visent pas à éliminer l’agressivité, mais à en découvrir le sens : inquiétude ressentie

78. Brochure Carpe Diem (2014). « Un regard différent, une approche différente » 79. Brochure Carpe Diem (2014). « Un regard différent, une approche différente », p. 3

à cause d’une impossibilité à reconnaître l’endroit où la personne se trouve, ou encore inconfort résultant d’un problème de santé. Toute expression, qu’elle s’exprime dans le comportement ou les paroles, doit être envisagée comme un message, dont il faut rechercher le sens. C’est aux professionnels de trouver « les voies d’accès à l’univers de l’autre »80, et non aux malades.

Les recommandations de l’ANESM illustrent ce processus81. L’empathie permet de rechercher les causes possibles du refus de soin, qu’il soit lié au soin lui-même, à la manière dont il est réalisé ou au moment. L’ANESM prend l’exemple d’un refus de soin d’escarre. L’infirmière, dans la peau du malade, comprend que le moment du soin ne lui convient pas. Elle décide alors de le reporter et, suite à un second refus, de communiquer à sa collègue de l’après-midi le report de ce soin, que celle-ci a réalisé sans résistance de la part du résident. Des formations peuvent être dispensées afin d’acquérir cette capacité d’empathie. L’ANESM propose, dans ce cadre, des mises en situation afin d’entrer dans la peau du malade et comprendre ce qu’il ressent, en plaçant par exemple les professionnels dans un fauteuil roulant, les yeux bandés et des bouchons dans les oreilles afin de simuler la situation des malades.

L’empathie permet également d’évaluer les potentialités et ressources du résident82,

et notamment ses capacités cognitives, physiques et sensorielles restantes. Le profes- sionnel peut par exemple faire appel à des « stratégies d’induction des automatismes », consistant à amener le malade ayant des troubles de la compréhension à réaliser des gestes spontanément, plutôt que de tenter de les lui expliquer. Un exemple est ce- lui de l’ouverture de porte, un malade pouvant être dans l’incapacité de réaliser ce geste après une explication, mais l’exécutant spontanément lorsque placé en position de sortir d’une pièce (Ploton, 2009). Il faut, pour cela, se mettre dans sa peau afin d’imaginer ce qui fait sens dans son monde.

80. Brochure Carpe Diem (2014). « Un regard différent, une approche différente », p. 12 81. ANESM (2012c). « Recommandation de bonnes pratiques professionnelles. Qualité de vie en EHPAD (volet 4). L’accompagnement personnalisé de la santé du résident »

82. ANESM (2012c). « Recommandation de bonnes pratiques professionnelles. Qualité de vie en EHPAD (volet 4). L’accompagnement personnalisé de la santé du résident »

Accéder à l’envie des résidents nécessite également que les professionnels soient formés à l’observation de la personne, cette qualité permettant de renseigner « sa façon de réaliser les activités de la vie quotidienne, de s’approprier son espace personnel, les espaces collectifs ; sur les stratégies de compensation qu’elle a elle-même mises en place ou sur la façon dont elle s’approprie les stratégies de compensation qui lui sont proposées ; sur sa façon d’exprimer ce qu’elle ressent, d’entrer en relation avec les autres »83.

Le respect des décisions du résident suppose une phase d’observation de son com- portement, et notamment de ses attitudes non verbales. La capacité d’observation est notamment soulignée par les formateurs à l’approche Montessori appliquée aux personnes âgées. Elle se fonde sur le postulat que toute personne a une aptitude et une capacité innées à apprendre, l’action des professionnels consistant à les laisser s’exprimer au maximum à travers une valorisation. Ils doivent mettre en avant les forces plutôt que les faiblesses, et utiliser un langage positif, encourageant, propice au sentiment d’accomplissement personnel. Dans cette optique, c’est l’environnement qui doit s’adapter aux besoins, et non l’inverse, ce qui évite l’échec, la diminution ou la punition des personnes.

La concrétisation de ce projet implique une capacité d’observation, indispensable à l’identification des capacités restantes et à la communication non verbale. Plus pré- cisément, la finesse d’observation débouche sur l’identification des objets de la vie de tous les jours qui font sens pour les malades, et qui permettent de mobiliser leurs capa- cités restantes. Cette qualité est d’autant plus importante que l’approche invite à une centration sur l’instant présent, à travers une décomposition des tâches, la « répétition guidée », la progression en difficulté du simple vers le complexe, l’adéquation entre la demande et les niveaux de compétence, ainsi que l’encouragement dans l’apprentissage. Plus que des signes de préférences, les professionnels doivent entrer dans une forme de communication se positionnant sur le plan des émotions. Lorsque la maladie em- pêche toute expression verbale, il subsiste les émotions, qui deviennent alors le seul

83. ANESM (2012c). « Recommandation de bonnes pratiques professionnelles. Qualité de vie en EHPAD (volet 4). L’accompagnement personnalisé de la santé du résident », p. 33

levier restant d’accession au résident.