• Aucun résultat trouvé

Une représentation par les réseaux bayésiens causau

5.3 Une application à la sûreté

5.3.1 Extension de la notion d’intervention

Nous avons introduit plus haut les interventions particulières de type do(Xi = xi), qui sus-

pendent les liens entre Xi et ses parents et lui attribuent la valeur xi. Nous allons à présent

considérer une classe plus large d’interventions.

La notion d’intervention a été formulée à l’origine dans le cadre de modèles structurels. Marschak proposait de représenter ainsi les mesures de politique économique, en distinguant les politiques structurelles, qui changent une relation entre variables économiques, et politiques non structurelles, qui fixent la valeur d’une variable exogène (Marschak, 1950). Le terme intervention a probablement été utilisé la première fois pour désigner une modification exogène d’une relation structurelle par Simon, également dans un sens très général (Simon, 1953). L’approche plus restrictive qui consiste à ne considérer comme intervention que l’affectation d’une valeur constante à une variable est

plus récente (Strotz et Wold, 1960), mais elle a rapidement gagné en popularité (Fisher, 1970; Sobel, 1990; Spirtes, Glymour and Scheines, 1993), notamment en raison de sa simplicité21. Dans

l’approche « probabiliste » des RBC, en particulier, la distribution de probabilités résultant d’une intervention sur la variable Xi ne peut être dérivée de la distribution initiale P que si l’on dispose

de la nouvelle distribution marginale de Xi et si le support de cette dernière est inclus dans le

support de la distribution initiale. Le choix, à travers l’intervention do(Xi= xi), d’une distribution

marginale dégénérée simplifie ce problème22

. Dans l’approche « fonctionnelle », comme nous allons le voir, cette difficulté ne se pose pas.

Nous proposons donc de revenir à la notion générale d’intervention, qui s’avère beaucoup plus riche dans notre cadre, et de considérer comme telle toute modification de la relation (5.3.1) entre une variable et ses causes. L’intervention sur la variable Xipeut alors être représentée comme valeur

spécifique d’une variable d’intervention Gi au sein d’une structure causale « augmentée »(Pearl,

1993). Nous pouvons ainsi considérer, en chaque nœud de la structure, une variable d’intervention dont chaque réalisation Gi= gi détermine une relation xi= gi(xP a(i), yi) (voir la figure (5.3.1)).

Définition 5.13. Soit G un ensemble de vecteurs de mécanismes tel que pour tout g ∈ G, M =< D, g, PY > soit un modèle markovien pour le système X. On appelle intervention le choix d’un

vecteur particulier de mécanismes g. On appelle structure causale augmentée un graphe D+obtenu

en associant à chaque nœud de D une variable d’intervention Giet M+=< D+, G, PY > un modèle

markovien augmenté pour le système X.

Le vecteur de mécanismes préexistants f représente alors une intervention particulière que nous appellerons laisser-faire. Nous nous autoriserons à parler d’intervention gi relative à (ou sur) une

variable Xi au lieu de l’intervention (f1, ..., fi−1, gi, fi+1, ..., fn).

L’ensemble G permet de rendre compte de contraintes exogènes23 pesant sur l’intervention.

Dans les cas où aucune intervention au sens propre n’est possible en un nœud i, par exemple, la variable d’intervention Gi est dégénérée et prend pour seule valeur fi.

Cette structure augmentée peut être considérée selon deux points de vue : celui du décideur qui détermine les interventions ou celui d’un observateur extérieur.

5.3.1.1 Point de vue du décideur

Le décideur n’a pas d’incertitude au sujet de ses propres choix, mais seulement à l’égard de leurs conséquences : il considère les alternatives à sa disposition et en choisit une en fonction des effets qu’il en attend. Ce point de vue correspond au cadre de la théorie de la décision, dans lequel nous

21. Pour Pearl, un grand avantage de cette forme est son économie, puisqu’il suffit d’une valeur pour la décrire entièrement (communication personnelle).

22. Voir la définition 5.9 et l’équation 5.2.3 page 172.

23. On entend par là des contraintes qui ne seraient liées à aucune variable du système, faute de quoi elles seraient explicitées par les relations fonctionnelles constitutives du réseau.

Figure5.3.1 – Réseau bayésien causal augmenté de variables de décision

nous situerons au cours des chapitres suivants. Ici, il permet de rendre compte des modifications de sûreté.

Pour le décideur, les variables d’intervention Gi ne sont donc pas des variables aléatoires (ce

que reflète leur représentation par un double cercle dans la figure (5.3.1)). À chaque intervention g correspondent une structure Dg et une distribution Pgqui vérifie :

Pg(x1, ..., xn) = Y Pg(xi| xPa(i)) où : Pg(xi | xPa(i)) = X yi PY(yi) pour (yi, xPa(i)) ∈ g−1i (xi)

En particulier, si l’intervention porte sur la seule variable Xiet laisse inchangées n − 1 relations

(5.3.1), Pg admet la factorisation :

Pg(x1, ..., xn) = Pg(xi| xPa(i)).

Y

j6=i

P (xj| xPa(j))

où l’on retrouve l’expression habituelle de la transformation de P par une intervention (voir l’équa- tion (5.2.3)).

5.3.1.2 Point de vue d’un observateur extérieur

Pour un observateur extérieur, au contraire, les choix du décideur constituent une source d’in- certitude qui vient s’ajouter aux autres données du problème. L’observateur peut constituer à leur sujet des croyances probabilistes. Sous leur forme la plus basique, ces croyances seront dérivées d’une représentation purement aléatoire, mais il serait également concevable pour l’observateur d’identifier et d’intégrer à son raisonnement des déterminants du choix du décideur tels que sa

psychologie ou le contexte dans lequel il est placé, en augmentant ainsi le RBC. Ce point de vue correspond au cadre de la théorie de l’agence, où un principal considérerait les choix possibles d’un agent. Il permet de représenter les considérations d’erreur humaine et de succès ou d’échec des missions de conduite, qui constituent un élément critique des évaluations probabilistes de la sûreté des centrales nucléaires24

.

Formellement, la structure augmentée est associée à une distribution de probabilités P′ obtenue

en combinant la distribution Pg relative à chaque intervention particulière avec une distribution a

priori PG du vecteur des variables d’intervention G = (G1, ..., G1) :

P′(x1, ..., xn, g1, ..., gn) = X g∈G P′(x1, ..., xn, g1, ..., gn| G = g).P′(G = g) = X g∈G Pg(x1, ..., xn).PG(g)

5.3.2

L’approximation déterministe

Nous cherchons à présent à reconstituer à partir de ce modèle les grandes lignes de l’approche déterministe de la sûreté présentée au chapitre 3. Notre visée étant uniquement illustrative, il va de soi que nous privilégierons ici la simplicité par rapport au réalisme.

La démarche déterministe consiste à simuler le comportement du système par le biais d’une représentation simplifiée, où la prise en compte des variables aléatoires exogènes est repoussée aux frontières du système et où, hormis les variables initiatrices, chaque variable Xi du système

ne dépend que d’un petit ensemble de causes identifiées25

, représenté par le vecteur XP a0(i). Les

relations 5.3.1 de la section précédente s’écrivent alors sous la forme :      Xi= gi(Yi) si i ∈ In Xi= gi(XP a0(i)) sinon (5.3.2) L’objectif est de s’assurer du bon fonctionnement du système sous l’intervention g considérée. Les moyens sont l’intégration de marges de sûreté et les hypothèses pénalisantes, qui doivent permettre compenser l’approximation déterministe.

5.3.2.1 Les marges de sûreté

En fixant la valeur des variables initiatrices dans le système pseudo-déterministe d’équations (5.3.2), le décideur établit une estimation a priori de l’état du système. L’intégration de marges de

24. Voir en particulier le premier paragraphe de la sous-section 3.4.2.1 page 93.

25. Cet ensemble est en général plus restreint que dans l’approche probabiliste, où l’effort d’inférence est plus important.

sûreté consiste, en premier lieu, à se donner, pour chacune des variables initiatrices, une valeur ¯xi

qu’il estime prudente. Pour porter une telle appréciation, le décideur doit disposer d’une distribution de probabilités sur les valeurs de Xi. Dans le domaine de la sûreté nucléaire, comme nous l’avons vu

dans la sous-section 3.3.3, il exclut les événements qu’il juge trop improbables. À titre d’exemple, si Xi est le mouvement au sol associé à l’occurrence d’un séisme, ¯xi peut être la valeur-limite

correspondant à un événement millénal :

Pg(xi > ¯xi) = α

avec α = 0, 001. Ces valeurs sont alors transmises au reste du réseau. Lorsque tous les parents d’une variable Xj ont été déterminés, on obtient :

¯

xj= g0j(¯xP a0(j))

où g0

j est une estimation prudente de gjretenue par le décideur pour compenser l’absence d’un terme

aléatoire et le faible nombre de parents de Xi. Il peut s’agir, par exemple, d’un calcul majorant des

contraintes exercées sur les différentes structures suite à la survenue d’une accélération au sol ¯xi.

Une fois l’ensemble des valeurs déterminées26

, on vérifie que (¯x1, . . . , ¯xn) ∈ χs.

Notons que si l’on peut calculer la marge de sûreté pour les variables initiatrices (par exemple comme la différence entre ¯xi et la moyenne de la distribution Pg(xi)), ce n’est pas le cas pour les

autres variables, en raison du cumul d’estimations conservatrices. 5.3.2.2 Les hypothèses pénalisantes

Le second mode de raisonnement dans une approche déterministe de la sûreté est de vérifier la robustesse du bon fonctionnement à un dépassement des marges. En d’autres termes, on suppose que pour une ou plusieurs variables, on a xi > ¯xi, et l’on réestime la valeur des autres variables

sous cette hypothèse.

La valeur (¯x1, . . . , ¯xn) obtenue, où les valeurs ayant fait l’objet d’hypothèses pénalisantes sont

réajustées à la hausse, détermine le niveau de dimensionnement de l’installation (en supposant bien sûr elle correspond à un bon fonctionnement).

On sait alors, sous réserve de monotonie des fonctions gi et de justesse des marges calculées,

que :

Pg(x ∈ χs) > α

26. La notion de marge de sûreté, au sens traditionnel, ne s’applique qu’aux variables pour lesquelles une métrique peut être définie. La représentation de la sûreté comporte également, nous l’avons vu, des variables qualitatives telles que « l’opérateur chargé de la manutention fait chuter une barre de combustible ». Ici, nous traitons de ces variables dans le cas général, en posant que les marges sont nulles dans leur cas et en notant qu’elles font, en revanche, fréquemment l’objet d’hypothèses pénalisantes (voir la sous-section suivante).

Mais naturellement, cette évaluation est incertaine.