1.3.1. Extension du domaine vitrifiable
Comme observé sur les diagrammes de phase des différentes terres rares, il existe un important domaine de séparation de phase à l’état liquide pour les compositions riches en B2O3, ce qui rendra impossible l’obtention de verres homogènes dans cette gamme de
composition. Si l’on se déplace vers des compositions plus riches en TR2O3, centrées autour
de la composition métaborate de terre rare TRB3O6, il est possible d’obtenir un liquide homogène à relativement basse température et donc d’élaborer des verres homogènes
dans le système binaire, comme différentes études l’ont montré [Tableau 4].
Essai Température
d’élaboration (°C) Creuset TR Trempe
Chakraborty et al. [1],[2] 1000-1300 Pt La-Sm A l’air, dans le creuset puis recuit
Tang et al. [36] 1000-1300 Pt La Coulée dans un moule en fer
Marotta et al. [37] 1200-1270 Al2O3 La Coulée et pressage sur plaque
métallique
Brow et al. [38], [39] 1300-1400 Pt La
Coulée et pressage sur plaque métallique et recuit entre 600
et 700°C
Vaz de Araujo et al. [40] 1200 Pt-Au La Coulée sur plaque et recuit à
650°C puis refroidissement lent Terashima et al. [41] 1400-1500 Pt-Rh La, Pr, Nd,
Sm
Coulée et pressage sur plaque métallique
Vinogradova et al. [3] 1250-1500 Al2O3 La, Nd, Gd, Dy, Er, Yb, Lu
Coulée dans un moule en carbone chauffé à 200-250°C
Kajinami et al. [42] 1250-1380 Pt La Rouleaux
Burns et al. [43] 1300 Pt Nd Rouleaux
Tableau 4. Essais de synthèse de verres de composition binaire TR2O3-B2O3
D’après les différents travaux précédemment réalisés [tableau 4], la gamme de composition dans laquelle il est possible d’obtenir des verres homogènes et transparents s’étendrait de
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10 à 36 mol% de TR2O3 dans le cas du lanthane et jusqu’à 35 mol% pour le néodyme. Regardons d’abord chaque essai, et notamment les conditions d’élaboration.
Dans un des cas, les auteurs affirment obtenir des échantillons transparents pour des
teneurs en TR2O3 valant 10 mol% [36]. Tout d’abord, la durée d’élaboration est relativement
longue (1h30) et en raison de la volatilité du bore, il est possible que la composition obtenue soit différente de celle que les auteurs visaient. Malgré ce décalage, que l’on peut estimer à plusieurs pourcents, la composition coïnciderait tout de même avec la zone d’immiscibilité du diagramme de phase et il est possible que l’échantillon obtenu ait été séparé en une couche transparente, riche en La2O3, et une couche de composition proche de B2O3 pur. Ceci serait en accord avec les observations faites sur le même système par d’autres auteurs [8]. Il faut noter que la référence [36] ne mentionne pas d'analyse chimique des verres pour vérifier leur composition.
Selon d’autres auteurs [43], il est possible d’obtenir des verres pour des teneurs en Nd2O3
variant de 5 à 35 mol%. Ces auteurs ne précisent pas si le verre obtenu est homogène et il est donc probable, comme dans le cas précédent, au vu de l’extension de la zone d’immiscibilité [Fig. 22], que les verres aient présenté de la séparation de phase au moins pour 5 et 10 mol% de Nd2O3.
Pour certaines séries de verres [3], [37], les synthèses ont été réalisées dans des creusets de corindon et il est probable que la contamination de la fonte par Al2O3 pendant l’élaboration ait facilité l’obtention de verres homogènes. Cette suppression de la tendance à la séparation de phasedans le système binaire par ajout d’Al2O3 (ou de Ga2O3) a d’ailleurs déjà été mise en évidence pour le lanthane [44] et pour d’autres terres rares, comme Nd [45] ou Y [46]. Cependant, les auteurs affirment que la contamination par Al2O3 n’a pas d’effet sur la
démixtion dans le liquide entre 1,3 et 5 mol% d’Al2O3 [3]. Ils remarquent une tendance à la
cristallisation accrue pour des teneurs comprises entre 9,5 et 11,6 mol% d’Al2O3, ce qui ne va pas dans le sens des précédentes études citées plus haut. Par ailleurs, cette pollution lors de la fusion en creuset de corindon permettrait d’expliquer les pics de diffraction appartenant à une phase non déterminée dans la référence [37] : les pics peuvent être attribués à la phase LaAl2,03(B4O10)O0,54. La formation de cette phase a également été reportée lors d’un traitement volontaire de verre de borate de lanthane par Al2O3 [47].
Pour les compositions les plus riches en terres rares, dans le cas du néodyme, le recours à des rouleaux pour réaliser une trempe ultra-rapide peut expliquer l’extension du domaine
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vitrifiable jusqu’à 35 mol%. Dans le cas du lanthane, l’adjonction d’Al2O3 ne diminue pas la tendance à la cristallisation de la phase orthoborate mais la contamination de la fonte, avérée à la fois par analyses chimiques et par la diffraction des rayons X [3], [37], ne permet pas d’affirmer que l’on obtient bien des verres purement boratés pour les compositions les plus riches.
D’après les études les plus anciennes, il est possible de former des verres pour les terres rares allant du lanthane au samarium, avec une facilité accrue dans le cas des terres rares les plus grosses [1]. Il serait également possible d’obtenir des verres transparents pour TR= Gd, Dy, Er, Yb et Lu, même si pour les terres rares les plus petites, certains échantillons présenteraient de la cristallisation [3]. Là encore, l’adjonction d’Al2O3 au système aura certainement eu pour effet de stabiliser une fonte homogène et de permettre l’obtention de verres transparents. Cette même étude présente des compositions sur une gamme plus étendue pour des terres rares plus petites comme Lu et Yb en les mélangeant avec du lanthane. On atteindrait ainsi des teneurs en terres rares allant jusqu’à 39 mol%. Cependant, d’après les auteurs, la substitution de B2O3 par TR2O3 (avec TR= Gd, Er ou Y) ne changerait pas la facilité à vitrifier le mélange et s’accompagnerait d’une forte tendance à la cristallisation lors du refroidissement au-delà de 28 mol% de TR2O3 [44].
Si l’on exclut les synthèses ayant eu lieu dans des creusets en corindon, il serait possible d’obtenir des verres homogènes pour TR= La-Sm, sur une gamme de compositions allant de
19 à 30 mol% dans le cas du lanthane [1], [42] et jusqu’à 35 mol% pour le néodyme [43].
Les échantillons sont élaborés par fusion à haute température, dans des creusets à base de
platine. Ils subissent ensuite une trempe, qui peut avoir lieu directement dans le creuset
sous air [1], [2], entre deux plaques métalliques [40], [41] ou encore entre des rouleaux pour réaliser une trempe ultra-rapide [42], [43]. Dans certains cas, les verres obtenus subissent un recuit [1], [2], [40].
1.3.2. Tendance à la cristallisation et à la séparation de phase
Lorsque les teneurs en terres rares sont très faibles et comprises entre 0,1 et 2 mol%, les échantillons présentent de la séparation de phase, avec une matrice blanche opaque
amorphe, dans laquelle sont incluses des billes de verre transparent riche en terre rare [1].
Entre 2 et 22 mol%, les échantillons sont entièrement séparés en deux couches de verre : une couche de verre blanc opaque située au-dessus d’une couche de verre homogène
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transparent. Les auteurs ont dans ce cas considéré qu’il était possible d’obtenir des verres à
partir de 20 mol% de La2O3 mais la composition du verre transparent ne correspond pas à la
composition du mélange de départ. En effet, le verre final doit avoir une composition plus riche en La2O3, la couche se séparant en surface correspondant à du B2O3 presque pur [8]. Des essais d’élaboration de verres pour des terres rares plus petites se sont révélés infructueux, pour TR= Eu, Gd, Ho et Er. Pour les gammes de compositions testées dans le dôme d’immiscibilité des diagrammes de phase, les échantillons présentent une séparation en deux couches, la couche la plus riche en terre rare dévitrifiant sous forme d’orthoborate
TRBO3. Ce phénomène est observé même en augmentant la vitesse de trempe jusqu’à
1300°C.s-1, alors que pour les systèmes contenant des terres rares plus grosses, la vitesse de refroidissement des échantillons (dans le creuset, sous air) peut-être beaucoup plus faible. Hors de la zone d’immiscibilité, vers les teneurs plus importantes en TR2O3, les échantillons cristallisent également sous forme d’orthoborate [2].
Il est intéressant de noter que la substitution, pour la composition de type métaborate La2O3.3B2O3, de plus de 5 mol% de La2O3 par Gd2O3, Y2O3 ou Er2O3 engendrerait de la séparation de phase [44].
1.3.3. Propriétés des verres
Comme pour les composés cristallins du système binaire, les compositions vitreuses obtenues présentent des propriétés intéressantes. Elles possèdent un indice de réfraction
élevé, compris entre 1,64 et 1,77 [1], [2], [38], [39], [41]. En fonction des études, de faibles
variations d’indice sont observées pour les mêmes compositions. L’indice de réfraction tend à augmenter à mesure que la teneur en terre rare devient plus importante. Par exemple,
pour la composition contenant 19 mol% de La2O3, l’indice de réfraction n vaut 1,729 tandis
que pour 28 mol% de La2O3, n vaut 1,755 [40]. De plus, l’indice de réfraction augmente avec
le numéro atomique de la terre rare, comme attendu: de 1,72 pour le métaborate de lanthane, n passe à 1,75 lorsque TR= Sm [2]. La densité des verres de borates de terres rares est comprise entre 3,9 et 4,8 g.cm-3, en fonction de la nature de la terre rare et de sa teneur [2], [41]. Pour TR= La, la densité vaut entre 3,94 g.cm-3 [41] et 4,12 g.cm-3 [38]pour le verre de métaborate. Par ailleurs, le coefficient de dilatation thermique est très faible, de l’ordre de 6,7.10-6.K-1 pour TR= La et de 8,5.10-6.K-1 pour TR= Sm, par rapport aux autres verres boratés binaires. Ces valeurs augmentent avec la diminution de la taille de la terre rare [2].
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Les valeurs de température de transition vitreuse Tg sont comprises entre 650 et 690°C et se
classent donc parmi les valeurs de Tg les plus élevées pour des verres boratés. Tg varie peu en fonction de la teneur en TR2O3 [Fig. 27], à l’instar des coefficients de dilatation [2]. Cependant, on peut noter que, pour une des études, Tg a tendance à augmenter avec la teneur en oxyde de terre rare [2] alors que dans une autre, Tg diminue [40].
Figure 27. Variation de la température de transition vitreuse Tg en fonction de la teneur en TR2O3 [2].
A titre de comparaison, dans les borates alcalins, Tg est comprise entre 454 et 495°C pour les borates de sodium et vaut 420°C pour le métaborate de lithium [48]. Pour les métaborates alcalino-terreux de type B2O3.RO, Tg vaut 539°C dans le cas où R= Ba et 629°C lorsque R= Ca [50]. Tg tend à augmenter avec la force de champ du cation considéré. Par ailleurs, les valeurs de Tg dans les borates de terre rare augmentent lorsque les verres subissent un recuit [3].
Les verres de ce système présentent une bonne stabilité thermique, avec une différence entre Tg et Tx de l’ordre de 100°C. La température de cristallisation varie en fonction de la teneur en terre rare et, pour la composition congruente LaB3O6, en fonction de la
granulométrie [40]. Cette dernière information est caractéristique d’un système cristallisant de façon hétérogène.
La composition métaborate LaB3O6 correspond à un liquide fragile [50] car la variation de la
viscosité en fonction de la température ne suit pas la loi d’Arrhenius et chute brutalement I. N. Chakraborty et al. J. Amer Ceram. Soc 1985
T
gLa
Nd
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avec l’augmentation de la température [fig. 28]. Ce verre fait partie des systèmes les plus fragiles, au même titre que d’autres borates, comme Na2O.4B2O3, présenté sur la figure, ou que les liquides ioniques et moléculaires [51].
Figure 28. Courbe d’Angell présentant la variation de la viscosité en fonction de Tg/T [50]
Cette famille de verres est stable dans les conditions standards de pression et de
température, ne montrant aucun signe de détérioration lorsque exposée à l’atmosphère du
laboratoire. Pour la composition métaborate de lanthane LaB3O6, des expériences de
lixiviation ont montré que le verre était stable jusqu’à un pH de l’ordre de 2 [1], en-dessous de cette valeur, le verre devient beaucoup plus soluble. Il est intéressant de noter ici que cette stabilité n’est pas du tout observée dans le cas de verres de borates alcalins, ceux-ci étant hygroscopiques, ce qui limite les applications possibles pour de tels systèmes. Ces propriétés de durabilité chimique sont observées pour d’autres terres rares que le lanthane [2].