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Insertion d’un cofacteur métallique au sein d’une architecture protéique: les catalyseurs biohybrides.

II.2.4 L’extension du code génétique

Le code génétique, qui permet d’associer chaque triplet de nucléotides (« codons ») à un acide aminé correspondant, dépend d’un quartet : Le codon est reconnu par un ARN de transfert (ARNt) spécifique, cet ARNt est lui-même reconnu par une aminoacyl-ARNt synthétase (AA-RS) spécifique qui charge cet ARNt avec l’acide aminé correspondant. Il est possible de créer par ingénierie génétique un système permettant l’insertion d’un acide aminé non naturel en créant un quartet « codon/ARNt/AA-RS/acide aminé » orthogonal. Le terme orthogonal désigne deux systèmes qui n’interfèrent pas entre eux. Il est donc nécessaire que l’ARNt ne soit reconnu par aucune AA-RS endogène, que l’AA- RS artificielle ne reconnaisse aucun ARNt naturel et qu’elle charge l’ARNt uniquement avec l’acide aminé désiré. Il faut enfin que l’ARNt reconnaisse uniquement le codon désiré et que celui-ci ne soit reconnu par aucun autre ARNt endogène (figure 71). 165 La méthode

la plus simple pour faire évoluer une AA-RS spécifique d’un acide aminé artificiel (aa*) est d’utiliser un acide aminé de structure proche de l’acide aminé naturellement reconnu. C’est pourquoi la plupart des acides aminés artificiels disponibles actuellement sont des dérivés de la tyrosine et de la pyrrolysine (évolution dirigée d’une Tyr-RS de M. janaschii

166 et d’une pyrLys-RS de M. barkeri 167). Ces systèmes aa*/aa*-RS/ARNt sont dérivés

d’archées, car leurs ARNt ne sont pas reconnus par les systèmes bactériens. Le codon orthogonal communément utilisé est le codon stop de type ambre (UAG), les deux autres codons stops n’étant pas reconnus par un ARNt spécifique.168

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Figure 71 : Mécanisme nécessaire à la modification du code génétique. Une ARNt synthétase (AA- RS) charge spécifiquement un acide aminé non naturel sur un ARNt orthogonal. L'ARNt reconnait un codon unique afin d'intégrer l'acide aminé non naturel à une position voulue (selon 165).

Il existe maintenant un répertoire d’acides aminés non naturels insérables dans les protéines 169, la plupart étant des dérivés de la tyrosine. Deux types d’acides aminés

artificiels sont utilisés dans la conception de métalloenzymes. Ces acides aminés peuvent être de bons chélateurs de métaux de transition qu’ils peuvent donc directement complexer (figure 72, flèche haut), ou ils peuvent porter une fonction chimique permettant un couplage bioorthogonal d’un ligand chimique (figure 72, flèche bas).

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Figure 72 : Deux utilisations des acides aminés non naturels (U) pour la création de métalloenzymes artificielles : insertion d'un acide aminé possédant une forte affinité pour les métaux, ou possédant un groupement permettant un couplage par chimie « click ».

II.2.4.1 Les acides aminés artificiels pour la chimie bioorthogonale

La chimie de couplage bioorthogonale (aussi appelée chimie « click ») a été introduite par l’équipe de Barry Sharpless au début des années 2000 et est caractérisée par une chimie de couplage dans des conditions biocompatibles (milieu aqueux complexe et aérobie), avec absence de réactions secondaires comme un couplage indésirable aux biomolécules, ainsi qu’une réaction rapide et quantitative. La chimie « click » la plus utilisée utilise la cycloaddition azide-alcyne catalysée par le cuivre Cu (I) (CuAAC). Cependant l’utilisation de cuivre réduit Cu (I) est contraignante et cytotoxique. C’est pourquoi il lui est préféré sa variante utilisant des alcynes contraintes (cyclooctyne) permettant de se passer du catalyseur (réaction de type SPAAC).170,171 Il existe cependant

d’autres types de réaction. La figure 73 présente différents acides aminés artificiels incorporés au code génétique étendu permettant d’effectuer ces différents types de chimie.

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Figure 73 : Différents types d’acides aminés artificiels présents dans le répertoire du code génétique étendu actuel capable d’effectuer des réactions de couplage bioorthogonales (selon

172,173) a) Cycloaddition alcyne/azide de type SPAAC, des acides aminés portant la fonction azide ou

cyclooctyne existent b) Condensation de cyanobenzothiazole sur un acide aminé cysteinyl-lysine. c) Ligation norbornene/tetrazine avec un acide aminé portant une fonction norbornene. d) Ligation tetrazine/trans-cyclooctene avec un acide aminé portant la fonction tétrazine e) Réaction photoclick (activée par illumination à 365 nm) avec un acide aminé portant un groupement alcène déficient en électrons et un ligand tetrazole.

99 La chimie orthogonale présente un grand intérêt dans le domaine de la chimie de couplage des protéines en milieux complexes, cependant il existe encore peu d’exemples utilisant cette technologie pour insérer des ligands de métaux de transition afin de catalyser des réactions. L’équipe de Jared C. Lewis a très récemment exploré cette approche, en utilisant la protéine tHisF comme architecture protéique.170 Par génie

génétique, un acide aminé de l’intérieur du pore de la protéine (position 50) a été muté en un codon ambre pour permettre l’insertion de l’acide aminé p-azido-L-phénylalanine. Des complexes de type tetracarboxylate de di-rhodium ainsi que la terpyridine de manganèse et de cuivre, portant une fonction octyle, ont pu alors être liés par chimie « click » (stratégie a de la figure 73). Les efficacités de couplage allaient de 50 à 90% suivant les points de mutation utilisés et le type de complexe. Le biohybride portant le ligand de di-rhodium en position 176 est capable de catalyser des réactions de cyclopropanation et d’insertion de carbène dans une liaison Si-H mais malheureusement sans excès énantiomérique et avec des rendements plus faibles que le catalyseur seul (figure 74).

Figure 74 : Complexe de rhodium portant une fonction cyclooctyne pour liaison à l'acide aminé p- azido-L-phenylalanine en position 176 de la protéine tHisF (dessus). Réactions de cyclopropanation et d’insertion de carbène dans une liaison Si-H catalysées par le biohybride, sans excès énantiomérique.

Ce même groupe a alors changé d’architecture protéique, pour utiliser la prolyl organopeptidase (POP) de P. furiosus.174 Cette protéine est constituée de deux domaines :

un domaine α/β hydrolase (en forme de tonneau). Un autre domaine de type tonneau β vient recouvrir le premier, de manière à former une grande cavité interne avec un pore étroit traversant le second domaine (figure 75). L’utilisation d’une protéine issue d’un organisme hyperthermophile permet de partir d’une architecture protéique très stable, pour laquelle l’effet déstabilisateur induit par les mutations n’est généralement pas délétère pour le repliement de la protéine. La possibilité d’effectuer des réactions à des

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températures plus hautes est également intéressante. La même stratégie que pour la protéine tHisF a été utilisée. Cependant, la position mutée en azido-phénylalanine à l’intérieur de la cavité (mutation S477Z, Z signifiant le résidu azido-phénylalanine) étant inaccessible au cofacteur, il a été entrepris d’agrandir le pore de la protéine (figure 75, droite) par une quadruple mutation en alanine, ce qui permit le couplage du cofacteur en conditions douces (4°C, tampon pH 7,4). La protéine fut testée pour la catalyse de réactions de cyclopropanation (réaction figure 75). Après optimisation des conditions de réaction (PIPES pH 7,4, 1,75M NaBr), la protéine ne portant que la mutation conférait un excès énantiomérique encourageant de 38%, mais un mauvais ratio cyclopropane/alcool de 0,6.

Figure 75 : Prolyl organopeptidase porcine utilisée par l’équipe de J.C. Lewis (homologue à celle de P. furiosis). Réaction catalysée par le biohybride créé. Les résultats de rendements concernent la protéine portant 4 mutations alanine au niveau du pore d’entrée, ainsi que les mutations S477Z (p-azido-L-phenylalanine), L328H, G99F, G594F.

Les auteurs de cette étude ont alors cherché à positionner une histidine à proximité du métal afin de rigidifier le complexe en coordinant un ion de rhodium et améliorer la sélectivité. Ainsi, la mutation L328H parvint à augmenter l’énantiosélectivité jusqu’à 85% et le ratio cyclopropane/alcool à 1,6. Des mutations subséquentes en acides aminés encombrants (phénylalanines) autour du site catalytique putatif ont permis de multiplier le rendement général par 3 par rapport au biohybride sans mutations, ainsi que de passer à un excès énantiomérique de 92% et un ratio cyclopropane/alcool à 2,4. Cette approche par mutations rationnelles s’est avérée fructueuse et a permis de cartographier les acides aminés bordant le site catalytique.

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II.2.4.2 Les acides aminés artificiels pour la liaison dative

Comme nous l’avons vu plus haut, la principale difficulté lors de l’ingénierie d’une liaison dative entre la protéine et un métal concerne le positionnement des résidus de manière à créer un ligand multidenté. Cette limitation peut être contournée par l’insertion d’acides aminés ayant directement une forte affinité pour le métal. Ceci revient à l’idée d’insérer directement un complexe métallique lors de la synthèse protéique. Plusieurs acides aminés artificiels de ce type existent, mais un seul a pour le moment été utilisé pour la création de métalloenzyme artificielle : la bipyridine-alanine (BpyAla, nommé X ci-dessous).

L’équipe de Roelfes s’est en effet intéressée à la modification du facteur de transcription LmrR avec cet acide aminé artificiel. Cette protéine avait déjà été modifiée covalemment avec une phénanthroline pour donner une Diels-Alderase artificielle présentant une très bonne énantiosélectivité (voir chapitre couplage covalent), ainsi qu’une métallo- hydratase et un catalyseur de Friedel-Craft avec une série de dérivés indoles. Cette nouvelle approche utilise le codon ambre pour l’insertion directe de l’acide aminé non naturel pour à nouveau la réaction de Friedel-Craft.

Trois positions ont été testées pour son incorporation : N19X, M89X et F93X. De manière intéressante, la position donnant le meilleur catalyseur (M89) est la même que celle utilisée précédemment lors du couplage covalent de cofacteurs à une cystéine. La mutation systémique en alanine des acides aminés bordant la position modifiée (« alanine-scanning ») a été effectuée (figure 76, acides aminés en bâton sur l’image) et a permis de montrer que toutes les positions sauf K22 jouent un rôle significatif soit sur le taux de conversion, soit sur l’énantiosélectivité. Ces observations ont prouvé que la catalyse était bien dépendante de la sphère de coordination due aux acides aminés environnants. Les positions amenant aux plus grands changements dans l’énantiosélectivité ont été choisies pour un second tour de mutagénèse (H86 et F96). Ces deux positions ont été changées indépendamment en 4 autres acides aminés couvrant diverses propriétés (I/S/W/D pour H86 et I/H/W/D pour F93) et l’activité catalytique des différents variants testée pour la réaction de Friedel-Craft (figure 76, substituants a). Il est apparu que la position 86 s’accordait bien avec des acides aminés apolaires, quelle que soit leur taille, tandis que la position 93 nécessitait des acides aminés aromatiques, laissant croire que cette position participait à des interactions de type « π stacking ». Indépendamment de cette étude de mutagénèse, un double mutant H86A/E107A a également été test après avoir observé que les variants indépendants présentaient une sélectivité accrue. Il s’est avéré que les mutations n’étaient pas additives.

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Figure 76 : Protéine LmrR possédant un acide aminé non naturel BpyAla (construction PyMOL en encart). Réaction de Friedel-Craft catalysée en milieu aqueux par le biohybride de Cu (II) (selon 175).

Cette étude illustre encore une fois l’intérêt mais aussi les inconvénients d’une approche par tâtonnement : il a été apparemment possible de cartographier la sphère de coordination du substrat par une expérience de « alanine-scanning », cependant bien que les mutagénèses à saturation à des points précis aient donné des informations quant à la nature des interactions mises en jeu, la plupart des mutations se sont révélées non additives. Il est donc clair qu’une approche par évolution dirigée serait une solution intéressante pour pallier à ce problème.

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- Contexte scientifique de la thèse

Nous avons pu constater au cours de cette introduction que la question principale lors de l’ingénierie de protéines et plus spécifiquement de la création d’un catalyseur biohybride est le choix de l’architecture protéique. Celle-ci doit pouvoir résister aux conditions de couplage chimique ou celles imposées lors de la catalyse, c’est-à-dire tolérer une certaine proportion de solvant organique et être stable dans la plus grande gamme de température possible. Elle doit également être disponible facilement et en grande quantité, les vitesses de catalyse étant généralement loin d’égaler celles de protéines naturelles, une grande quantité est nécessaire pour leur étude. Enfin, comme décrit lors de la première partie, la capacité d’évolution par ingénierie est primordiale, car malgré la promiscuité enzymatique, il n’est pas possible d’avoir une enzyme spécialiste de plusieurs réactions. Il est donc nécessaire de pouvoir adapter le biohybride, le tailler sur mesure pour la réaction désirée.

Le laboratoire de Modélisation et Ingénierie des Protéines de l’I2BC travaille sur la conception de protéines artificielles nommées αRep. Nous verrons ici en quoi consistent les protéines à motifs répétés, dont les αRep sont des représentants, et pourquoi ce sont des candidats de choix pour la conception de biohybrides entièrement artificiels.