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Structure des bandes dessinées

STRUCTURE DES BANDES DESSINÉES

II.2.1. Ordre de lecture des bandes dessinées

II.2.1.1. S’exprimer au moyen de la parole

Outre les dessins qui, dans les bandes dessinées, forment un outil d’expression très nécessaire au processus de compréhension, la parole elle aussi, et à titre d’égalité ou peut être plus, constitue une mise de fonds capitale à la compréhension. Nous entendons par parole l’ensemble des textes et des dialogues contenus dans les bulles et les cases ; il faut ne pas oublier que la transcription de cette parole dans les bandes dessinées n’est pas du tout celle d’un texte que nous pouvons retrouver dans un livre scolaire de lecture. La différence est d’autant plus remarquable qu’en bande dessinée, nous constatons que l’auteur est doté d’une certaine liberté. A titre illustratif, les règles d’écriture du code typographique sont le plus souvent un peu plus transgressées par les auteurs de bandes dessinées que les auteurs des manuels scolaires.

Mais ceci ne devrait pas nous ramener à dire que si les auteurs de bandes dessinées outrepassent l’utilisation en vigueur de la ponctuation par exemple, cela veut dire que la bande dessinée en soi, ne tient pas compte de l’âge du lecteur car, nous savons que la ponctuation joue un rôle important dans la compréhension comme le souligne Jacques Drillon dans son fameux Traité de la ponctuation française (Gallimard, 1991), mais ce qui convient plutôt le mieux à dire, c’est qu’en réalité, lorsqu’il s’agit d’un public enfantin, l’usage du code

106 typographique se retrouve rigoureusement respecté. Nous confirmons ces propos par la comparaison de la façon selon laquelle la parole est transcrite dans l’exemple de deux vignettes de bandes dessinées « figures 103 et 104 » : la première visant un public adulte tandis que la seconde est destinée à des lecteurs débutants (enfants).

Figure 103. Texte écrit pour des lecteurs débutants (enfants)148.

Figure 104. Une planche de la bande dessinée Rahan, mars 2009 : Texte écrit pour des adultes149.

148 Ibid, p. 40.

149 http://www.sceneario.com/bd_12116_RAHAN%20%28INT%C3%89GRALE%20NOIR%20ET%20 BLANC%29.html/ Le 22.09.2011 à 19h23.

107 En confrontant la façon dont est représenté le texte dans les deux exemples précédents des figures 103 et 104, nous pouvons discerner avec netteté l’écart considérable concernant la disposition du texte ; dans la première vignette, le texte dispose d’une grande lisibilité : le style et la taille de la police conviennent d’une manière parfaite pour un lecteur débutant, la transcription du texte en cursive va aussi avec, le texte est soigneusement ponctué et est suffisamment aéré. Par contre, dans les trois vignettes de la deuxième image, le texte paraît très condensé de telle sorte que le lecteur se sent de prime abord fatigué : manque d’aération, espacement des caractères à l’intérieur du mot très étroit, ce qui donne l’impression que les lettres sont collées les unes aux autres, l’effet de police est en lettres capitales, ce qui contraint chez le lecteur, dans la plupart des situations, son habitude de lire des textes écrits en minuscule.

En comparant aussi un paragraphe ordinaire d’un roman avec un dialogue dans une bulle de bandes dessinées, le lecteur pourrait percevoir pour le roman que la disposition des mots, l’organisation de ces derniers sur la page, le type de police utilisé, la taille de police choisie, etc. sont des critères qui, tout au long du roman, ne changent pas et ne subissent aucune modification ; dans les bandes dessinées au contraire, toute est question de variation mais, ceci ne devrait pas nous faire croire que les bandes dessinées manquent d’organisation.

L’homogénéité pouvant résulter de cette variation, relève essentiellement du rapport entre le texte, et l’image avec laquelle il est alterné ; d’ailleurs, nous devons savoir que, les motifs selon lesquels l’auteur place le texte dans la bulle et ainsi la bulle devant le personnage qui parle, sont très pertinents, autrement dit, la disposition du texte par rapport au personnage qui le produit et par rapport aussi au lecteur : placer le texte sur la droite du personnage, sur sa gauche, au-dessous de sa tête ou au-dessus ; est-ce qu’il peut s’agir d’un choix démotivé de la part de l’auteur ? Immédiatement, nous pouvons, à travers les exemples qui vont suivre, répondre négativement à la question précédente en disant que ce choix n’est pas du tout non délibéré, et que dans les bandes dessinées, rien n’est laissé au hasard. Les

108 motifs dont il est question en effet, sont en corrélation non seulement avec l’image elle-même, mais aussi et surtout avec l’intention et la visée déployées par l’auteur afin de capter en premier lieu l’attention du lecteur « figure 105 ».

Figure 105. Texte à gauche150.

Faisons remarquer d’abord que la disposition à droite et à gauche, c’est par rapport à la vision de celui qui lit, c’est-à-dire qu’en tant que lecteur, nous allons dire pour notre exemple que le texte se trouve à gauche et les deux personnages Magali et Nicolas sont à droite. Le texte contenu dans la bulle est une sorte d’appel de la part d’un troisième personnage (Jojo, le héros) qui se fait dissimuler sous les herbes ; Magali, étant la première à avoir entendu cet appel, elle tourne sa tête en donnant son oreille vers la direction source de la voix.

Nous confirmons que le fait que l’auteur ait placé le texte à gauche et les deux personnages à droite n’est plus arbitraire, et que nous ne pouvons imaginer le

150 Apicella, M.A & Challier, op-cit, p. 05.

109 fait que les emplacements soient inversés ; en lisant le texte contenu dans la bulle, le lecteur infère une représentation auditive/verbale qui concerne uniquement le texte (Psss ! Psss !). Quelque soit l’ordre de lecture de l’image, c’est-à-dire que les yeux du lecteur débutent la lecture de l’image en fixant le centre de cette dernière ou, le plus souvent, elles vont balayer l’image de droite à gauche, cette représentation se trouve renforcée par une autre visuelle/imagée. La représentation finale inférée par le lecteur faisant référence à la compréhension globale en lecture concerne donc les deux représentations : auditive/verbale et visuelle/imagée et ce, suite à une opération de connexion entre les deux représentations que nous développerons plus loin dans la deuxième partie.

Il s’ensuit d’après ce que nous avons vu d’ajouter que, parfois l’auteur place volontairement le texte à droite « figure 106 ». Il pousse dans ce cas le lecteur à passer d’abord par la gauche où il doit, pour notre exemple, balayer la scène et le décor et de terminer ensuite par le texte. Nous devons souligner que dans cette situation, et pour mieux travailler la compréhension, la scène ou la globalité de l’image suggère des éléments importants à la compréhension et que le texte, ayant été retardé par l’auteur, vient comme supplément d’information afin de compléter cette compréhension.

Figure 106. Texte à droite, Tif et Tondu (tome 2) de Will en 1978151.

151 http://jjblain.pagesperso-orange.fr/new_site/apprendr/scene/jouerordre/jouerordre.htm/ Le 11.04.2011 à 22h50.

110 L’emplacement de la parole exprimée dans les bulles, tient donc énormément compte de l’intention de l’auteur (avancer le texte ou le retarder). Cette intention a pour but primordial de garantir, voire même de consolider la compréhension chez le lecteur ; dans la « figure 107 », la succession intacte des quatre bulles dans la même position, crée une certaine monotonie et ne permet absolument pas de donner de la valeur à l’image : le lecteur connaît préalablement l’architecture de la vignette dans la position (04) car ses yeux sont en quelque sorte automatisés. Mais, si l’auteur cherche à intéresser le lecteur aux images – ce qui offre une variété pouvant rendre les vignettes plus animées et très vives, et peut aussi donner l’envie et le goût de continuer la lecture « figure 108 » – il y a une technique qui consiste à alterner la position de la bulle par rapport à l’image. Dans la figure 108, la position (01) est la plus fréquente dans les bandes dessinées, les positions (01) et (04) incitent le lecteur à lire d’abord le texte, et de passer ensuite aux images (quoi que le degré d’obligation de la lecture du texte est plus fort dans la position (01) que dans la position (04)). Les positions (02) et (03) poussent le lecteur à voir d’abord l’image puis à lire le texte (le degré d’obligation de la lecture du texte est aussi plus fort dans la position (03) que dans la position (02)).

position (01) position (02) position (03) position (04) Figure 107. Position du texte intacte.

position (01) position (02) position (03) position (04) Figure 108. Position du texte variée.

111 II.2.1.1.1. L’onomatopée

Outil très fort dans les bandes dessinées, les onomatopées jouent aussi un rôle important pour la compréhension. Elles ont la faculté de traduire le son et par là, de rapprocher les mouvements et les actions à la réalité. Nous savons que les onomatopées forment une catégorie d’interjections comme elles peuvent aussi être employées comme nom, et qu’elles sont émises essentiellement pour simuler un bruit particulier associé à une personne, un animal ou un objet, par l’imitation des sons que ces derniers peuvent produire. Les onomatopées sont pour les bandes dessinées comme le sel pour le pain, nous les retrouvons partout et il nous semble rarement admissible qu’une bande dessinée soit conçue sans onomatopées.

L’avantage des onomatopées réside dans le pouvoir d’offrir à l’auteur la possibilité de reproduire phonétiquement tous les sons de la nature ; outre le dictionnaire des onomatopées que nous connaissons, les bandes dessinées possèdent un vocabulaire assez consistant. Nous pouvons souligner que ce vocabulaire est bien relatif aux écoles de bandes dessinées (école américaine, école franco-belge) mais malgré ceci, nous pouvons constater que chaque auteur peut inventer ses propres onomatopées pour décrire au mieux le son qu’il veut exprimer.

L’onomatopée peut donc servir comme une sorte de sonorisation de la vignette ; techniquement parlant, il existe une assez remarquable variation entre les onomatopées américaines, franco-belges et japonaises, mais sur le plan sémantique, elles ont toutes la faculté d’exprimer les mêmes idées et possèdent en commun le même principe de fonctionnement : la représentation par analogie phonétique des sons qu’elles traduisent.

II.2.1.1.2. L’idéogramme

Les idéogrammes partagent avec les onomatopées la même utilité, ils sont tous considérés comme des adjuvants à la compréhension. Les idéogrammes sont en réalité des symboles tels que : (/), (…), (?), (!), (+), (=), ($), ({}), etc. qui ont été empruntés au discours écrit. Leur rôle pour la compréhension est d’exprimer la

112 surprise par exemple, l’interrogation, la suspense, le silence l’étonnement, la colère, le sommeil, la fatigue, etc. mais comment parvient-on en tant que lecteur, à connaître avec exactitude le sens d’un idéogramme, le sens que l’auteur veut réellement véhiculer ? Théoriquement parlant, l’image se trouvant dans la vignette qui contient un idéogramme peut clairement suggérer le sens de ce dernier au lecteur, et sur le plan pratique, l’entraînement dans la lecture des bandes dessinées pourrait facilement surmonter cette contrainte.

Mais dans le domaine des bandes dessinées, nous pouvons sans difficulté faire remarquer que la créativité des auteurs est considérée comme un facteur d’une grandeur particulière ; l’expression au moyen des idéogrammes ne se limite pas uniquement aux symboles empruntés au discours écrit que nous avons cités supra, néanmoins, au-delà de ces signes élémentaires, les auteurs de bandes dessinées peuvent recourir à une autre catégorie des idéogrammes et ce, pour exprimer les états psychologiques et les sentiments des héros ou des personnages secondaires.

Cette catégorie des idéogrammes, tout à fait différente de la première, relève de la capacité des auteurs afin de faire coller l’idéogramme créé avec la représentation ou l’idée qu’ils veulent transmettre au lecteur dans la vignette. A titre illustratif, ces idéogrammes peuvent aller de certaines couleurs spécifiques à l’image, des lignes d’effet et de bulles noires jusqu’aux gouttes de sueur, des têtes de morts, des ciels sombres, des poignards dans le dos, des éclairs, des étoiles pour exprimer un état de vertige, des petits oiseaux pour un état d’étourdissement, des cloches, etc.