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Les effets nocifs des molécules actives sur les populations lombriciennes du vignoble peuvent être évalués par différents paramètres. L’utilisation de biomarqueurs est désormais une référence (Lukkari et al., 2004) pour l’évaluation des effets neurotoxiques et des processus de métabolisation et détoxication. Afin d’évaluer l’impact des molécules utilisées au vignoble sur les lombriciens, une étude préalable a été réalisée en conditions contrôlées.

1.3.1 Principe et objectifs

Une expérimentation en conditions contrôlées a donc été mise en place afin d’évaluer l’impact des molécules utilisées dans le vignoble sur les lombriciens. Des vers sont exposés durant 34 jours aux molécules actives (insecticides et fongicides en cocktail) à des concentrations environnementales proches de celles appliquées sur la parcelle.

L’objectif de cette expérimentation est alors de mettre en évidence un possible effet neurotoxique des pesticides sur les vers par le suivi de l’activité cholinestérase (ChE, biomarqueur d’exposition aux polluants). D’autre part elle permet de suivre, par des biomarqueurs de la voie de biotransformation des molécules, la métabolisation des toxiques (activité glutathion-S-transférase GST) et la prise en charge des radicaux libres issus de la biotransformation (activité catalase CAT). Les activités de ces 3 biomarqueurs sont mesurées après 3, 7 et 14 jours d’exposition sur 10 vers par condition expérimentale.

Un dernier axe vise à étudier la potentielle détoxication du sol par les populations de lombriciens en suivant les concentrations en molécules actives présentes dans des terraria en présence ou absence de vers de terre.

Le suivi des populations de la parcelle au cours de cet essai apporte une dimension appliquée au travail expérimental réalisé au laboratoire.

1.3.2 Matériels et méthodes

Matériel biologique

Les vers Aporrectodea caliginosa nocturna sont prélevés sur une prairie non traitée chimiquement depuis plusieurs années. Après le prélèvement, ils sont mis à jeûner durant 4 jours sur du papier absorbant maintenu humide, dans une chambre froide (13°C, obscurité). Durant cette période, les vers v ident leur tube digestif et sont alors prêts à être mis en expérimentation.

La terre est prélevée dans la zone « témoin » non contaminée de la parcelle expérimentale du DEVT. Après séchage durant une semaine, 6 kg de terre bien effritée sont introduits dans chacun des terraria de l’étude. 50 vers par terrarium sont nécessaires à la conduite de l’expérimentation et un ver nécessite 100 g de terre pour survivre durant un mois, il faut donc au moins 5 kg de terre par terrarium de 50 vers (Capowiez, communication personnelle)

Protocole de contamination

Pour chacun des terraria, la terre est réhumidifiée avec 600 mL (Vsolution en mL = 10 % Mterre en kg) de solution contaminée ou d’eau et solvants de dissolution (témoin). Cette contamination se fait dans un grand bac, afin de bien malaxer et mélanger la terre avec la solution, pour garantir une homogénéité de la contamination dans le terrarium.

Au total, l’expérimentation compte 12 terraria. Il s’agit de 6 modalités correspondant chacune à 2 terraria identiques pour faciliter la mise en œuvre de l’expérimentation. Sur la parcelle, les pesticides (fongicides et insecticides) sont appliqués directement sur les feuilles de la vigne (la dose appliquée est donnée en g ha-1). Dans le cas de notre contamination en terrarium, nous avons considéré que la totalité de ce qui est appliqué par ha tombait au sol. La dose appliquée prend pour référence la surface de dessus du terrarium, mais le traitement est ensuite homogénéisé à toute la terre du terrarium afin d’avoir des conditions homogènes.

Dès lors, les expositions sont maximisées par rapport à la réalité de la parcelle. Il s’agit en effet d’une extrapolation de la « réalité » même si les doses employées restent des doses homologuées.

Terraria 1 et 2 : bacs témoins (6 kg de terre humidifiée par 600 mL d’eau distillée)

• Terraria 3 et 4 : bacs contaminés par une solution d’insecticides en mélange : chlorpyrifos + λ-cyhalothrine à la dose appliquée pour

un traitement sur la parcelle

• Terraria 5 et 6 : bacs contaminés par une solution d’insecticides en mélange : chlorpyrifos + λ-cyhalothrine à la dose maximale appliquée (= somme de tous les traitements insecticides appliqués au cours d’une campagne phytosanitaire)

• Terraria 7et 8: bacs contaminés par une solution de fongicides en mélange : folpel + myclobutanil + métalaxyl-M + fosétyl-aluminium à la dose appliquée pour un traitement sur la parcelle

• Terraria 9 et 10 : bacs contaminés par une solution de fongicides en mélange : folpel + myclobutanil + métalaxyl-M + fosétyl-aluminium à la dose maximale appliquée (= somme de tous les traitements fongicides appliqués au cours d’une campagne phytosanitaire)

• Terraria 11 et 12 : bacs contaminés par une solution d’insecticides et de fongicides en mélange : chlorpyrifos + λ-cyhalothrine + folpel +

myclobutanil + métalaxyl-M + fosétyl-aluminium à la dose maximale appliquée (= somme de tous les traitements appliqués au cours d’une campagne phytosanitaire)

Un terrarium supplémentaire (13) est dédié à l’étude de la détoxication potentielle des sols par les lombrics. Il s’agit d’un terrarium identique aux 2 précédents mais dans lequel aucun ver n’est introduit afin de suivre le devenir des molécules actives en absence de lombrics.

Cette expérimentation de contamination en laboratoire est réalisée avec les produits phytosanitaires utilisés en molécules pures (pureté>98%).

Tableau 3.2 : Doses (en mg) de molécules actives introduites dans les 6 kg de terre des terraria Pesticide Dose par

traitement sur parcelle (g/ha)

Dose maximale sur parcelle (g/ha)

Dose par traitement en µg kg-1 de sol en terrarium Dose maximale en µg kg-1 de sol en terrarium Chlorpyrifos-éthyl 200 200 0,168 0,168 λ-cyhalothrine 12,5 25 0,010 0,020 Folpel 960 1920 0,805 1,610 Myclobutanil 30 60 0,025 0,050 Métalaxyl 116,4 232.8 0,098 0,196 Fosétyl-aluminium 1400 6300 1,175 5,288

Des solutions stocks concentrées de pesticides (Tableau 3.2) sont alors préparées pour les besoins de l’expérimentation dans un mélange acétone-éthanol afin de faciliter la solubilité de tous les produits phytosanitaires (lipophiles et polaires). Ces solutions stock sont ensuite diluées dans un volume de 600 mL d’eau en vue de la contamination du sol du terrarium.

Les mêmes quantités de solvant organique sont ajoutées dans tous les terraria, y compris les témoins afin de ne pas créer un biais ou un stress du à une plus grande quantité de solvant dans un des bacs. Ces volumes restent négligeables (1 mL dans 600 mL d’eau).

Les terraria sont placés en conditions contrôlées : 13°C, obscurité. Les vers ayant jeûné 4 jours sont placés en surface (Figure 3.5). Ils s’enfouissent ensuite dans la terre. L’humidité des terraria est régulée pour éviter un desséchement des bacs (vaporisation d’eau distillée en surface).

L’expérimentation s’étale ainsi sur 34 jours.

Chaque jour, les vers morts en surface sont comptés et enlevés. La même opération est effectuée au moment des prélèvements mais sur tout le volume de terre.

L’activité des vers est surveillée par l’observation des individus (vivacité, mobilité, entrée en diapause, taux de mortalité…) mais aussi de l’état des terraria (galeries, trous, tassement de la terre).

Des prélèvements de lombrics sont effectués régulièrement au cours de l’expérimentation afin d’analyser par la suite d’une part la concentration en pesticides dans ces organismes et d’autre part, les activités enzymatiques des biomarqueurs suivis :

- à t=0 : congélation de 10 vers après le jeûne ; mise en conditions contrôlées en terrarium des autres lombriciens

- à t = 3 jours - à t = 7 jours - à t = 14 jours - à t = 34 jours

Huit vers sont prélevés dans chacune des 2 répétitions de chaque modalité : 3+3 font l’objet d’une étude chimique (analyse des teneurs en pesticides) et 5+5 font l’objet d’une étude écotoxicologique (tests biomarqueurs) (Figure 3.6).

Une fois prélevés, les vers (exposés et témoins) sont placés durant 2 jours (Reinecke and Reinecke, 2007) en chambre froide sur du papier absorbant (pour une étape de jeûne) afin qu’ils vident leur tube digestif de la terre, ce qui rend d’une part le broyage plus facile et qui enlève tout pesticide contenu dans la terre (élimination du biais terre pour le dosage des produits phytosanitaires accumulés dans le corps des lombrics). Après cette période de jeûne, les vers sont congelés à - 80°C en attendant leur analyse chimique ou biochimi que (Figure 3.7).

Figure 3.7 : Congélation individuelle des vers après le jeûne