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Expériences traumatiques et le trouble de personnalité limite

Chapitre 3 : Les troubles de personnalité à l’adolescence

3.2 Le trouble de personnalité limite

3.2.3 Expériences traumatiques et le trouble de personnalité limite

Les expériences traumatiques comme facteur de risque général. Les expériences traumatiques vécues durant l’enfance représentent un facteur de risque général pour une panoplie de difficultés tout au long du développement. Les individus ayant été exposés à ce type d’expériences sont plus à risque de développer des problèmes de dépendance (Carliner et al., 2016; Schimmenti et al., 2017), des difficultés de régulation émotionnelle (Kim & Cicchetti, 2010), des problèmes de santé mentale (Afifi et al., 2011; Ip et al., 2016), des symptômes de dissociation (Gusic, Cardena, Bengtsson & Sondergaard, 2016) de même que des comportements suicidaires (Castellvi et al., 2016). Comparativement aux expériences traumatiques non interpersonnelles comme les accidents, les catastrophes naturelles ou les maladies graves, les expériences traumatiques de type interpersonnel auraient des conséquences plus importantes sur le développement des enfants et des adolescents en raison de leur impacts négatifs sur les sentiments de sécurité et de confiance de même que sur le développement identitaire de l’individu (Ehring & Quack, 2010; van der Kolk, Roth, Pelcovitz, Sunday & Spinazzola, 2005). Les expériences traumatiques de type interpersonnel incluent la maltraitance (violence physique, violence psychologique,

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négligence, agression sexuelle), les expériences d’intimidation par les pairs, la violence au sein des relations amoureuses et la violence communautaire (Castellvi et al., 2016). Les conséquences seraient d’autant plus grandes lorsque l’individu a été confronté à plusieurs types d’expériences traumatiques au cours de son développement (Gusic et al., 2016; Kim & Cicchetti, 2010; Kim, Cicchetti, Rogosch & Manly, 2009). De plus, le jeune âge de l’enfant au moment des expériences traumatiques et la chronicité de celles-ci peuvent exacerber les conséquences des expériences traumatiques sur l’adaptation de l’enfant ou de l’adolescent (Bolger, Patterson & Kupersmidt, 1998; Graham et al., 2010; Kim et al., 2009; Kim & Cicchetti, 2010; van der Kolk et al., 2005).

Les expériences traumatiques, entre autres par leur impact négatif sur le développement de stratégies de régulation émotionnelle adaptées (Cicchetti & Howe, 1991), viendraient fragiliser la capacité de l’individu à négocier les étapes-clés de son développement (Cicchetti & Toth, 2009). Les expériences traumatiques viendraient également nuire au développement des fonctions exécutives qui sont essentielles à la réussite de plusieurs tâches développementales (performance scolaire, fonctionnement social, contrôle des comportements) de même qu’au développement d’autres capacités cognitives telles que la mémoire et l’attention (D’Andrea, Ford, Stolbach, Spinazzola & van der Kolk, 2012). En contexte scolaire, les enfants qui ont vécu de la maltraitance sont davantage à risque de présenter des difficultés académiques de même que des problèmes de comportement (Barbosa Pacheco, Irigaray, Werlang, Nunes, de Lima Argimon, 2014; Shonk & Cicchetti, 2001). De plus, en raison de leurs expériences insatisfaisantes avec leurs figures d’attachement en bas âge, les enfants qui ont vécu de la maltraitance vont souvent développer des difficultés d’attachement qui mèneront au développement de représentations négatives de soi et des autres. Dans ce contexte, il n’est donc pas étonnant que la maltraitance à l’enfance prédise également des difficultés relationnelles avec les pairs et au niveau de l’estime de soi (Bolger et al., 1998; Kaufman & Cicchetti, 1989; Pacheco et al., 2014; Rogosh, Cicchetti & Aber, 1995), surtout si celle-ci est chronique (Graham et al., 2010). Par exemple, il est rapporté que ces enfants sont moins populaires auprès de leurs pairs et qu’ils sont plus souvent rejetés par ceux-ci (Barbosa Pacheco et al., 2014). D’autres difficultés relationnelles sont également répertoriées par D’Andrea et

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collaborateurs (2012) soit des difficultés à faire confiance, un manque d’habiletés sociales de même que des difficultés à comprendre les interactions sociales et à respecter les limites.

En raison des impacts des expériences traumatiques sur le développement des capacités de mentalisation et de régulation des émotions, les enfants qui ont vécu ce genre d’expériences sont plus à risque de développer des problèmes de psychopathologie ou de comportement, difficultés qui contribuent de façon indirecte aux difficultés relationnelles avec les pairs (Barbosa Pacheco et al., 2014). Par conséquent, au plan de la psychopathologie, il est bien appuyé dans la littérature que les enfants et les adolescents qui ont vécu des expériences traumatiques présentent davantage de comportements externalisés et internalisés (Bégin, Ensink, Chabot, Normandin & Fonagy, sous presse; Kim & Cicchetti, 2010; Kim et al., 2009; Shonk & Cicchetti, 2001). Plus spécifiquement, les enfants victimes de violence physique seraient davantage à risque d’adopter des comportements antisociaux et violents, que ce soit à l’enfance, à l’adolescence ou à l’âge adulte (Jaffee, Caspi, Moffitt & Taylor, 2004; Kaufman & Cicchetti, 1989; Lansford et al., 2002), et ce même lorsque les effets génétiques possibles sont contrôlés (Jaffe et al., 2004). De plus, les enfants qui ont été exposés à plusieurs types d’expériences traumatiques, entre autres à de la violence physique ou à des agressions sexuelles, seraient particulièrement à risque de développer des comportements externalisés (Kim et al., 2009) de même que des symptômes de dissociation et de stress post-traumatique (Gusic et al., 2016).

Liens entre les expériences traumatiques et le TPL. Si on s’attarde plus spécifiquement aux conséquences des expériences traumatiques sur le développement de la personnalité, il est généralement reconnu que le fait d’avoir grandi dans un contexte d’adversité est un facteur de risque important dans le développement des troubles de personnalité à l’âge adulte, dont le TPL (Afifi et al., 2011; Carlson, Egeland & Sroufe, 2009; Chiesa & Fonagy, 2014; Sansone, Hahn, Dittoe & Wiederman, 2011; Sar, Akyuz, Kugu, Ozturk, Ertem-Vehid, 2006; Widom, Czaja & Paris, 2009; Wingenfeld et al., 2011; Zanarini et al., 1997). Dans un échantillon clinique d’adultes présentant des troubles de personnalité, 73% des patients rapportent avoir été victime d’une quelconque forme de violence et 82% de ceux-ci rapportent avoir vécu de la négligence (Battle et al., 2004). Parmi les différents troubles de personnalité étudiés par Battle et collaborateurs (2004),

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c’est le TPL qui était le plus fortement associé à la maltraitance à l’enfance. Plus le TPL est sévère, plus les chances sont élevées que l’individu ait vécu de la maltraitance à l’enfance (Bornolova et al., 2013). À l’adolescence, des contextes de violence psychologique, de punition excessive, d’agression sexuelle, d’antipathie, de violence physique et de négligence sont également associés au développement de traits TPL (Bégin et al., sous presse; Bounoua et al., 2015; Gratz, Latzman, Tull, Reynolds & Lejuez, 2011; Hallquist, Hipwell & Stepp, 2015; Horesh et al., 2009; Jovev et al., 2013; Winsper, Zanarini & Wolke, 2012). Toutefois, parmi les différents types de traumas, il semble que ce soit l’agression sexuelle qui parvienne le mieux à discriminer les adolescents TPL des autres adolescents hospitalisés en pédopsychiatrie (Venta, Kenkel-Mikelonis & Sharp, 2012; Westen, Ludolph, Misle, Ruffins & Block, 1990). De surplus, les enfants qui ont vécu des agressions sexuelles ont quatre fois plus de chances de développer des traits de personnalité limite comparativement aux enfants qui n’en ont pas été victimes (Zelkowitz, Paris, Guzder & Feldman, 2001).

Même si avoir vécu de la maltraitance est un facteur de risque important pour le développement d’un trouble de personnalité, il n’est ni nécessaire ni suffisant en soi pour expliquer le TPL. Par exemple, Joyce et collègues (2003) rapportent, dans leur échantillon clinique adulte, que 8% des patients qui n’ont pas vécu de maltraitance ont développé un TPL alors que 67% des patients qui ont vécu de la maltraitance n’ont pas développé de TPL. Il n’est donc pas étonnant que le modèle diathèse-stress du TPL, qui postule qu’une interaction entre une vulnérabilité génétique et un contexte d’adversité soit à la source du développement du TPL, ait de plus en plus d’appuis empiriques dans la littérature (Crowell, Beauchaine & Linehan; 2009; Joyce et al., 2003). Afin de vérifier le rôle de cette interaction entre vulnérabilité génétique et trauma dans le développement du TPL à l’adolescence, Belsky et al. (2012) ont suivi des jumeaux britanniques de l’âge de 5 à 12 ans. Les auteurs observent sans surprise que les enfants qui ont subi des mauvais traitements en bas âge présentent davantage de traits TPL à 12 ans. Toutefois, ils rapportent que ces mêmes enfants sont particulièrement vulnérables à développer des traits limites s’il y a présence dans la famille d’antécédents psychiatriques. En effet, les enfants qui ont grandi dans un contexte d’adversité et dont un ou des membres de la famille présentent des antécédents psychiatriques ont environ 13 fois plus de chances d’être classés dans le groupe

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d’enfants ayant le plus de traits limites comparativement aux enfants qui présentent aucun de ces facteurs de risque. Outre les antécédents psychiatriques, des facteurs tempéramentaux sont avancés comme influençant la relation entre expériences traumatiques et TPL. En effet, Jovev et al. (2013) observent que le fait d’avoir grandi dans un contexte de violence (qu’elle soit psychologique, physique ou sexuelle) prédit une augmentation des traits de personnalité limite à l’adolescence chez les participants qui présentent un faible niveau d’affiliation. De leur côté, Hallquist et al. (2015), qui ont suivi une cohorte de jeunes filles de l’âge de 5 à 17 ans, identifient la punition excessive, un faible autocontrôle et la négativité émotionnelle comme des prédicteurs des symptômes limites à l’âge de 14 ans. Plus spécifiquement, ils rapportent qu’un faible autocontrôle lorsqu’enfant (de 5 à 8 ans) prédit une augmentation de la punition excessive de l’âge de 10 à 14 ans. Également, la présence de punition excessive lorsqu’enfant prédit une augmentation des difficultés d’autocontrôle entre 10 et 12 ans, ce qui suggère que les difficultés de régulation des enfants sont exacerbées par des stratégies parentales inadéquates. Ces dernières études viennent appuyer l’importance à la fois de la vulnérabilité génétique et des expériences traumatiques dans le développement du TPL, chaque facteur de risque étant exacerbé en présence de l’autre.

Comme le fait d’avoir vécu de la maltraitance à l’enfance est non seulement associé au TPL à l’adolescence, mais également à différentes problématiques de santé mentale dont des comportements antisociaux et des idées suicidaires à l’adolescence (Bensley, van Eenwyck, Spieker & Schoder, 1999) et que tous les individus qui ont grandi dans un contexte d’adversité ne développent pas nécessairement de trouble de personnalité, il importe de mieux comprendre les mécanismes qui relient contexte d’adversité et psychopathologie afin d’intervenir rapidement auprès de ces enfants et tenter de minimiser le plus possible les effets néfastes des expériences traumatiques aux plans affectif, relationnel et identitaire. Parmi les mécanismes potentiels, les aspects génétiques, tempéramentaux et neurocognitifs (Bounoua et al., 2015; Gratz et al., 2011) de même que les difficultés de régulation émotionnelle (van Dijke, Ford, van Son, Frank & van der Hart, 2013) ont reçu davantage d’attention jusqu’à maintenant. Toutefois, la mentalisation, comme facteur de protection chez les individus qui ont vécu des expériences traumatiques, a été encore peu étudiée jusqu’à maintenant, malgré la publication de plusieurs articles et

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modèles théoriques à cet effet. Chiesa et Fonagy (2014) observent que le FR, tel que mesuré au AAI, joue un rôle de médiation partielle entre le fait d’avoir grandi dans un contexte d’adversité et de présenter à l’âge adulte un TPL. La sévérité du contexte d’adversité semble accentuer les difficultés au plan de la mentalisation chez les individus TPL (Chiesa & Fonagy, 2014). De plus, Nicol et al. (2014) observent une association entre le fait d’avoir vécu des expériences traumatiques à l’enfance et une difficulté à reconnaître des émotions faciales chez des individus présentant un TPL. Toutefois, jusqu’à maintenant, aucune étude, à notre connaissance, ne s’est encore intéressée à l’effet médiateur de la mentalisation, opérationnalisée sous la forme du FR, sur la relation entre les expériences traumatiques à l’enfance et les traits TPL à l’adolescence.