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Chapitre 2 : La mentalisation dans une perspective de psychopathologie

2.2 Comportements internalisés

2.2.1 Troubles anxieux. Pour ce qui est des comportements internalisés, il semble que les enfants et les adolescents anxieux, contrairement à leur pairs non-anxieux, auraient tendance à porter davantage leur attention vers des stimuli potentiellement menaçants (Brotman et al., 2007; Ehrenreich & Gross, 2002) et auraient plus souvent recours à des biais de jugement (sous-estimation de leur capacité à contrôler les sensations reliées à l’anxiété ou à faire face aux menaces extérieures; Bogels & Zigterman, 2000; Cannon & Weems, 2010) et à des biais d’interprétation (tendance à interpréter les stimuli ambigus, les situations et les expériences passées comme négatifs ou menaçants; Barett, Rapee, Dadds & Ryan, 1996; Cannon & Weems, 2010; Chorpita, Albano & Barlow, 1996; Creswell & O'Connor, 2011; Higa & Daleiden, 2008; Muris, Jacques, & Mayer, 2004; Muris, Merckelbach, & Damsma, 2000a; Rozenman, Amir & Weersing, 2014). Ces biais seraient observés tant auprès d’échantillons cliniques (Barett et al., 1996; Bogels & Zigterman, 2000; Chorpita et al., 1996) que d’échantillons provenant de la communauté (Hadwin, Frost, French & Richards, 1997; Muris et al., 2000a; Muris et al., 2000b) et seraient non spécifiques à un trouble anxieux en particulier (Muris et al., 2000b).

Cette tendance des enfants et des adolescents anxieux à percevoir l’environnement comme potentiellement menaçant se rapproche beaucoup du concept du biais d’attribution hostile de Dodge défini plus haut. En effet, malgré que la majorité des auteurs qui se sont intéressés au biais d’attribution hostile ait étudié des populations d’enfants ou d’adolescents présentant des comportements agressifs, le biais d’attribution hostile n’est pas spécifique à ces individus et peut également mener au développement de symptômes dépressifs, anxieux ou somatiques (Dodge, 2006). Ce qui distinguerait les enfants avec des problèmes de comportement des enfants anxieux seraient plutôt leur façon de réagir face à l’interprétation d’une menace, les premiers se tournant vers l’agressivité alors que les deuxièmes opteraient plutôt pour l’évitement de la situation anxiogène (Barett et al., 1996).

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Pour ce qui est du FR des enfants et des adolescents présentant des symptômes anxieux, les données sont quasi-inexistantes et les données auprès de populations adultes ne sont guère plus nombreuses. Rudden, Milrod, Target, Ackerman et Graf (2006) se sont intéressés au FR d’un échantillon clinique d’adultes présentant un trouble panique. Les auteurs avaient comme hypothèse que les individus avec un trouble panique auraient un FR global dans la normale alors que leurs capacités à mentaliser par rapport à leurs symptômes anxieux seraient réduites. Dans un essai randomisé contrôlé comparant leur psychothérapie psychodynamique centrée sur le trouble panique à un entraînement par la relaxation, ils développent une mesure qui leur permet d’évaluer la compréhension du patient quant aux états mentaux pouvant être sous-jacents à ses attaques de paniques: le « Panic Specific Reflective Functioning » (PSRF). Les résultats révèlent, qu’en accord avec leur hypothèse de départ, les patients présentant un trouble panique ont un FR global qui n’est pas altéré par rapport à la population générale, mais que leur FR en lien avec leurs symptômes est plus faible que leur FR global. De plus, les auteurs observent qu’après 12 semaines de traitement, la psychothérapie augmente le PSRF, mais pas le FR global, alors que ni le PSRF, ni le FR global ne sont améliorés dans le cas de l’entraînement par la relaxation. Dans un même ordre d’idées, Kullgard, Persson, Möller, Falkenström et Holmqvist (2013) observent, dans une étude pilote auprès d’adultes présentant un trouble obsessionnel- compulsif que ceux-ci ont un FR par rapport à leurs symptômes (obsessions et compulsions) inférieur à leur FR général tout comme les patients présentant un trouble panique.

2.2.2 Dépression. Contrairement aux autres psychopathologies, peu d’auteurs se sont intéressés jusqu’à maintenant aux capacités de mentalisation ou à la cognition sociale des enfants et des adolescents présentant des symptômes dépressifs ou ayant un diagnostic de dépression majeure (Sharp & Venta, 2012). Les quelques auteurs qui se sont attardés à ce sujet ont surtout étudié leurs capacités à reconnaître les émotions faciales. Dans une perspective de mentalisation, il s’agit quand même d’une habileté importante, comme les caractéristiques du visage, particulièrement les yeux, fournissent plusieurs indices quant aux états mentaux d’autrui. Dans un groupe clinique d’enfants âgés de 7 à 11 ans, une difficulté à identifier les émotions par le biais d’un support visuel ou auditif est observée chez les garçons déprimés, mais pas chez les filles (Nowicki & Carton, 1997). De plus, les

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adolescents présentant des symptômes dépressifs auraient plus de difficulté à identifier la joie et la colère, mais seulement lorsque celles-ci sont exprimées à faible intensité (van Beek & Dubas, 2008). Certains auteurs ne rapportent pas de différence de performance globale entre des enfants dépressifs et des enfants contrôles mais font plutôt ressortir certains biais. En effet, Nowicki et Carton (1997) observent que les enfants avec des symptômes dépressifs auraient tendance à surestimer la colère et à sous-estimer la joie alors que Schepman, Taylor, Collishaw et Fombonne (2012) rapportent que les enfants et les adolescents déprimés ont plus souvent tendance à identifier les expressions faciales de faible intensité ou ambigües comme tristes. De son côté, Walker (1981) observent que les enfants déprimés ont tendance à plus souvent identifier les émotions positives ou neutres comme des émotions négatives. Plus récemment, Mellick et Sharp (2016) ont comparé des adolescents de sexe masculin présentant un épisode dépressif majeur à des adolescents contrôles quant à leur performance à la tâche de cognition sociale CET. Ils rapportent que les adolescents dépressifs seraient meilleurs que les adolescents contrôles pour identifier les états mentaux à valence négative, alors qu’il n’y aurait pas de différence entre les deux groupes pour ce qui est des états mentaux neutres ou à valence positive.

Malgré que plusieurs auteurs se soient intéressés à l’identification des états mentaux chez les enfants et les adolescents présentant des symptômes dépressifs, il est difficile jusqu’à maintenant de dresser un portrait clair sur la présence ou non de difficultés de mentalisation auprès de cette population comme les résultats pointent dans des directions différentes. De plus, la recherche sur la mentalisation auprès des enfants et des adolescents s’est majoritairement limitée à l’identification d’états mentaux. La récente étude d’Ensink et al., (2016) est la première à évaluer directement la mentalisation dans un contexte d’attachement en lien avec le développement de symptômes dépressifs chez l’enfant. Il ressort de cette étude qu’un faible FR est associé à davantage de symptômes dépressifs chez l’enfant, que celui-ci ait vécu ou non une agression sexuelle. Les auteurs observent également que le lien entre l’agression sexuelle à l’enfance et le développement de symptômes dépressifs peut s’expliquer, du moins en partie, par l’effet négatif de l’agression sexuelle sur la mentalisation de l’enfant. La présence de difficultés de mentalisation chez les adultes déprimés reste également à être démontrée comme les résultats demeurent mitigés. Alors que Fisher-Kern et al. (2013) rapportent que des patients psychiatriques

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souffrant de dépression présentent un FR général inférieur à des participants contrôles, Taubner et al. (2011) n’observent pas de différence significative entre des patients dépressifs et des participants contrôles. Toutefois, les patients dépressifs auraient plus de difficulté à mentaliser quant à leurs expériences de perte (ex. décès ou séparation) que les participants contrôles.

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