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2.2. Quelques définitions et outils théoriques

2.5.1. Expérience 1. Définition

2.5.1.3. Expériences scolaires vs. expériences de recherche

Les expériences menées dans un cadre scolaire sont le plus souvent des expériences pédagogiques, aux résultats prévisibles au moins pour l’enseignant. Même s’ils jouent le jeu d’une démarche d’investigation, les élèves savent bien qu’ils ne sont pas les premiers à faire les expériences qu’ils mettent en place.

Sauf exception, une règle du jeu implicite est qu’une expérience scolaire soit réalisable dans le temps imparti et avec le matériel disponible, le “bon”

matériel pour la mener à bien étant le plus souvent déjà préparé sur la table.

Une condition pratique de ce contrat éducatif est donc que l’enseignant ait préalablement personnellement testé le matériel et réalisé l’expérience, au risque sinon de se retrouver face à un phénomène imprévu et de passer d’une expérience pédagogique à une expérience ouverte dont il n’identifie plus forcément les éléments pertinents.

Ces deux conditions sont en revanche rarement réalisées au début d’une recherche expérimentale, dont on ne sait jamais quel temps elle prendra, les expérimentateurs professionnels consacrent en pratique un temps considérable à trouver et optimiser les conditions pour “faire marcher” une expérience, et à réunir (ou à concevoir) le matériel nécessaire, sans garantie aucune qu’elle “marchera”, ni même qu’ils seront capables d’interpréter correctement son résultat, en l’absence de référence préalable.

2.5.2. Observation

Ainsi définie, une expérience peut se décomposer en processus élémentaires (“aller” et “retour”). On peut également considérer uniquement le processus élémentaire :

monde 1 -> monde 2

qui consiste pour un sujet à créer une représentation (M2) du monde physique (M1) à partir d’une interaction avec celui-ci, qu’on définira comme une observation. On peut noter que si toute expérience implique au moins une observation, toute observation ne participe pas nécessairement d’une expérience.

Définition 2.5.2.1.

Une observation est une interaction délibérée entre un sujet (observateur) et le monde physique, dont un produit est un compte-rendu ou une mémoire d’un événement.

Selon les définitions 2.5.1.1. et 2.5.2.1., si une observation ne constitue pas une expérience, une expérience inclut en général une ou plusieurs observations.

Cette définition distingue le processus d’observation du compte-rendu d’une observation.

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                         

243. Galilée imagine le mouvement de mouches dans la cale hermétique d’un navire se déplaçant à vitesse constante pour en déduire qu’un observateur ne peut se rendre compte du déplacement du navire en les observant. Galilée, Dialogue sur les deux grands systèmes du monde (Dialogo sopra i due massimi sistemi del mondo, 1632), éd. Seuil, coll. Points Sciences, Paris, trad. René Fréreux et François de Gandt, 1992, pp. 316–317.

Comme pour l’expérience, et à plus forte raison encore, la définition 2.6.2.1. ne conditionne en aucune façon le statut d’une observation à son niveau ou à sa complexité. Même à l’école maternelle, la contrainte de documentation de l’observation peut être satisfaite par un travail de verbalisation des actions ou de réflexion sur l’effet des actions des élèves sur le matériel.

Une observation nécessite une interaction délibérée entre un sujet et le monde physique (e.g. regarder quelque chose et choisir de le prendre en compte). En cela, elle se distingue de la simple perception, qui peut être involontaire, voire inconsciente. L’obligation de documentation, ou au minimum de mémorisation d’une observation la distingue également d’une activité de pure distraction, même lorsque une curiosité consciente en est le moteur.

Il peut donc arriver à l’école primaire, et plus particulièrement à l’école maternelle, que dans le cadre de la “découverte du monde”, des élèves interagissent avec le monde physique sans pour autant réaliser d’observations stricto sensu. C’est typiquement le cas lorsqu’un enseignant fournit du matériel à de jeunes élèves et les laisse le manipuler librement.

Il n’est pas rare que dans un premier temps un enseignant de maternelle laisse des jeunes élèves jouer en toute liberté avec un bac de sable ou d’eau sans intervenir. Il s’agit alors souvent de les familiariser avec le matériel et de leur fournir un premier vécu sensoriel. L’observation à proprement parler vient ensuite avec une attention portée à certains phénomènes par l’enseignant ou les élèves eux-mêmes.

Une observation peut passer par la manipulation d’un appareillage plus ou moins complexe. 244 En physique classique du moins, l’observation d’un phénomène ne le perturbe pas si elle est menée avec un soin idéal. C’est toutefois rarement le cas en pratique, en particulier à l’école primaire dont les jeunes élèves, parfois peu adroits de leurs mains, sont par ailleurs susceptibles de modifier involontairement un phénomène en tentant de le mesurer (e.g.

perturber un équilibre en posant une règle sur le levier).

2.2.6.REPRESENTATIONS DE MONDES IMAGINAIRES

La section 2.2.4. traitait des simulations et des modèles explicitement associés à un référent du monde physique (monde 1). Les définir comme autant de fictions permettait de souligner la distinction essentielle entre la carte et le territoire,245 le modèle et son référent.

Cette distinction perd de sa limpidité lorsque le référent relève lui-même d’un monde imaginaire : le modéliser, c’est alors bâtir une fiction secondaire sur une fiction. Cette situation est pourtant fréquente à l’école, en particulier avec les plus jeunes enfants, dont l’expérience personnelle du monde physique est limitée et dont l’imaginaire est nourri de contes et d’histoires, lues ou vues à la télévision, etc.  

                                                                                                               

244. Un appareil enregistrant des informations sans intervention d’un sujet ne réalise pas une observation. Lorsque les images d’une caméra de vidéo-surveillance ne sont pas regardées et sont supprimées après quelques jours, il n’y a pas d’observation. Il y a observation lorsque quelqu’un décide de les visionner ou de les traiter.

245. Pour reprendre la métaphore d’Alfred Korzybski, in Science & Sanity. An Introduction to Non-Aristotelician Systems and General Semantics, op. cit.

S’il serait, par construction, absurde de questionner un monde imaginaire sous l’aspect de sa vérité, il est en revanche possible d’en dresser une typologie élémentaire basée sur sa plausibilité, physique en particulier.246 On qualifie ainsi de

“mimétiques” les mondes imaginaires qui présentent les mêmes caractéristiques générales que la réalité consensuelle, y compris du point de vue de l’ensemble des lois physiques.247 Inversement, on parle de mondes imaginaires “non mimétiques”

lorsque ceux-ci font intervenir des éléments clairement248 étrangers à la réalité consensuelle, qu’il s’agisse d’y rendre la magie opératoire (comme dans nombre d’histoires de fantasy), de pousser à leur limite des hypothèses scientifiques non vérifiées (comme le font volontiers les auteurs de hard science fiction249) ou encore de bâtir un monde sur des lois entièrements distinctes de celles du monde physique (comme on le rencontre fréquemment dans des jeux vidéo ou des univers virtuels comme Second Life250).

Losqu’on s’intéresse à une histoire c’est à dire à la narration d’une succession d’événements interdépendants dans un monde imaginaire, les théoriciens de la littérature parlent volontiers de diégèse. On qualifiera donc de diégétique les éléments relatifs à cet univers. En particulier, les lois diégétiques seront celles qui s’appliquent dans le monde de la diégèse.

On se limitera ici aux mondes imaginaires obéissant, en apparence du moins, au mêmes lois physiques que la réalité consensuelle, sans s’arrêter toutefois aux conventions littéraires aisément identifiables en tant que telles251 (e.g. animaux habillés et doués de parole, etc.). Questionner la plausibilité d’un tel monde revient alors à s’assurer de la conformité des lois physiques impliquées dans la fiction — ou, en termes plus acessibles aux enfants, à se demander si « on peut faire comme dans l’histoire », ce qui peut passer par un travail de simulation ou de modélisation.

                                                                                                               

246. Éric Picholle, « Science et fiction spéculative : les jeux du plausible » in Science et fictions à l’école : un outil transdisciplinaire pour l’investigation ? dir. E. Blanquet & É. Picholle, Nice, éd. du Somnium, 2011. pp. 39–51.

247. Une subtilité supplémentaire apparaît lorsque ces lois ne s’appliquent pas de la même façon à tous. Ainsi, le monde virtuel que constitue la « matrice » éponyme du film Matrix est-elle régie par les lois physiques habituelles pour ceux qui y croient mais pas pour les « agents » ou les héros qui n’y croient pas (Matrix, Andy et Lana Wachowski, 1999. Voir à ce propos, Matrix : Machine philosophique.

Alain Badiou, Élie During, Patrice Maniglier, Thomas Benatouil, David Rabouin et Jean-Pierre Zarader. éd. Ellipses Marketing, 2003).

248. Quoique de façon plus ou moins ostensible, la confusion contrôlée et ludique entre ces univers virtuels et le monde physique étant devenue une thématique majeure de la science-fiction d’inspiration dickienne (e.g. P.K. Dick, « De mémoire d’homme » (« We Can Remember It For You Wholesale », 1966), adaptée au cinéma par Paul Verhœven (Total Recall, 1990)).

249. Éric Picholle, « Trois fonctions littéraires de la hard SF : rupture, transmission et création » in Imaginaires scientifiques et hard science fiction, dir. U. Bellagamba, É. Picholle & D. Tron, Nice, éd. du Somnium, 2012. pp. 97–114.

250. Où il n’est pas rare de rencontrer par exemple des pierres flottant dans les airs. Voir par exemple le Noomuseum créé par l’artiste Yann Minh sur Second Life :

http://slurl.com/secondlife/Cimarac/246/82/23

Site de Yann Minh : http://www.yannminh.org (consulté août 2014)

251. Les enfants dès l’école maternelle identifient sans difficulté de telles conventions littéraires. Voir par exemple Wooley, J. & Cox, V. (2007). Development of Beliefs about Storybook Reality.

Developmental Science, vol. 10(5), pp. 681–693.