• Aucun résultat trouvé

2.3. Eléments de scientificité

3.1.1. Corpus historique

3.1.1.1. Naissance de la physique aristotélicienne

Si les interrogations sur les lois de la Nature sont probablement aussi anciennes que l’Humanité elle-même, l’idée d’un type de connaissance particulier, qu’au risque de l’anachronisme on pourrait aujourd’hui dire

“scientifique”, dans un sens encore assez lâche, remonte à Aristote. Dans le Théétète, Platon nous montre encore l’élève de Socrate reconnaissant le calcul, la géométrie ou l’astronomie pour des sciences, mais au même titre que « la cordonnerie, ainsi que les techniques des autres artisans »255. Pour Platon lui-même, si les mathématiques constituent le modèle de toute science, c’est pour mieux permettre au philosophe-roi de raisonner sur des questions morales ou politiques, comme dans le livre VI de la République. De même, si des principes d’ordre physique (sur le caractère fini ou infini, déterministe ou contingent du Monde) sont à la base des systèmes stoïcien et épicurien, la physique stricto sensu y tient une place relativement mineure.

Aristote, en revanche, s’intéresse de très près aux sciences de la nature. Pour lui, une connaissance est assurée lorsqu’on peut la dériver par le raisonnement de principes, idéalement de “premiers principes” qui sont autant de vérités universelles. Son enseignement est donc volontiers axiomatique, et la démarcation entre science et non-science (ou connaissance assurée ou non) réside dans le caractère démontrable (ou apodictique, par opposition aux incertitudes de la dialectique) de ses propositions. Toute démonstration devant par ailleurs répondre à des règles strictes de logique, une condition immédiate de l’apodicticité d’un discours est sa cohérence interne.

Aristote ne distingue pas entièrement la réalité de la vérité.256,257 Pour autant, les premiers principes, pour lui, ne sont pas donnés ou révélés, mais dévoilés, construits par induction à partir, en dernière analyse, des sensations, qui permettent à l’homme d’analyser ses expériences. Malheureusement, constate Claude Ptolémée, le dernier savant majeur de l’Antiquité, « à cause de l’instabilité et de l’impénétrabilité de la matière, qui rend illusoire l’espoir de jamais                                                                                                                

255. Platon, Théétète, éd. Garnier Flammarion, Paris, trad. Michel Narcy, 1999.

256. Aristote confond les deux concepts dans le terme unique alètheia (étymologiquement, “ce qu’on ne peut oublier”) que Heidegger préfère rendre par “dévoilement” ; voir par exemple l’analyse de ce terme dans Être et temps (Sein und Zeit, 1927), où il explique comment la métaphore platonicienne de la caverne, visuelle, repose encore largement sur la notion de vérité comme pur “dévoilement”, avant d’évoluer, avec Aristote, vers celle de “vision correcte”.

257. Paradoxalement, la distinction est plus claire dans la Poétique que dans la Physique ou la Logique.

En effet, il il y distingue clairement le récit historique, dont la vocation est de dire ce qui a effectivement été, dans un cas particulier donné, de la littérature, à laquelle il affecte la tâche de lui donner un sens général, sinon universel. Pour Aristote, « Le rôle du poète est de dire non pas ce qui a réellement eu lieu mais ce à quoi on peut s’attendre, ce qui peut se produire conformément à la vraisemblance ou à la nécessité. » Aristote, La Poétique, 9, 451ab ; éd. Mille et une nuits, 1997. Voir par ex. É. Picholle, « Trois fonctions littéraires de la hard SF : rupture, transmission et création », in Hard science fiction et imaginaires scientifiques, dir. U. Bellagamba, É. Picholle & D. Tron, éd. Somnium, 2013, pp. 97–113.

réaliser l’unanimité parmi les philosophes », la physique ne peut être considérée que comme une science conjecturale ; « seule la mathématique, à condition de la pratiquer avec rigueur, offre a ses adeptes un savoir solide et indubitable »258. La science est en effet une construction collective,259 que le savant se doit de « tenter sans relâche de fortifier, d’abord en étudiant les découvertes faites par les savants qui se sont lancés dans cette recherche avec zèle et générosité » avant d’apporter sa pierre à l’édifice commun, subordonnant son propre discours à une exigence de cohérence externe.

3.1.1.2. Période scolastique

Après une longue éclipse, ce sont les travaux de Thomas d’Aquin qui, après ceux d’Averroès dans le monde arabe, permettent la réappropriation de la science aristotélicienne par le monde chrétien. Sa méthode scolastique est toutefois aux antipodes de la science moderne, qui se construira en large mesure contre elle. Elle fait en effet la part belle à l’autorité des anciens maîtres ; en outre, elle hiérarchise les savoirs, et subordonne non seulement la physique à la philosophie (elle-même subordonnée à la théologie), mais la réalité physique elle même, qualifiée de réalité inférieure, aux réalités d’ordre supérieur (réalités mathématique, théologique, angélique, etc.).

A contrario, la science moderne s’inspirera donc plutôt des contradicteurs de Thomas, au premier rang desquels, selon Pierre Duhem, l’évêque de Paris Etienne Tempier. Combattant paradoxalement l’autorité par l’autorité, celui-ci récuse au nom même de la toute-puissance divine toute limitation a priori du champ des possibles, et affirme l’autonomie de la physique par rapport aux préjugés philosophico-théologiques260.

Une autre réaction majeure à la Somme théologique de Thomas fut celle de Roger Bacon, souvent considéré comme un inspirateur de l’empirisme anglosaxon. En termes de méthode, Bacon distingue les questions spirituelles auxquelles, dans la tradition augustinienne, on accède directement par la voie mystique, et les questions scientifiques, relatives aux choses sensibles, auxquelles on accède par l’expérience physique. Pour celles-ci, il affirme donc la primauté de l’expérience, dans la tradition aristotélicienne, mais en renonçant a priori à remonter aux premiers principes.

S’il n’y a pas à proprement parler de philosophie d’Etienne Tempier (sinon négative, par contraposition des propositions interdites), nombre de celles-ci (et particulièrement celles d’inspiration épicurienne) sont reprises, sous une forme positive, dans celle de Guillaume d’Ockham, qui introduit un principe d’économie (i.e. : éviter autant que possible de multiplier les hypothèses inutiles). Guillaume d’Ockham est par ailleurs l’un des premiers tenants du nominalisme épistémologique : pour lui, il convient de distinguer l’objet                                                                                                                

258. Claude Ptolémée, Syntaxe mathématique ; repris in Germaine Aujac, Claude Ptolémée, astronome, astrologue, géographe, éd. du CTHS, Paris, 1993, pp. 201–202.

259. Pour G. Aujac, le titre grec de cette œuvre (syn-taxis, littéralement ordonner ensemble), rend mieux compte que celui d’Almageste, qu’a retenu la tradition arabe, du “sens de l’unité du savoir”

caractéristique de la conception ptoléméenne de la science.

260. Parmi les 219 propositions visées par la Condamnation parisienne de 1277, on trouve par exemple la proposition 24 : « Toutes les sciences sont dépourvues de nécessité, exception faite des disciplines philosophiques, et les sciences ne sont pas nécessaires, si ce n’est à cause de l’habitude des hommes ».

physique de ses représentations, et en particulier du mot qui le représente (qui est une fiction).261

3.1.1.3. Période copernicienne

En science comme en art, le propre des XVe et XVIe siècles est une ambition de

“renaissance”,262 la revendication que les Modernes peuvent non seulement égaler, mais aussi dépasser les Anciens et avoir raison contre eux. La période est riche de grands inventeurs et technologues, au premier rang desquels Francesco di Giorgio Martini et Léonard de Vinci, dont les carnets d’ingénieurs démontrent une volonté de documentation exhaustive de leurs expériences et de leurs idées et posent les bases du dessin technique (coupes, écorchés, etc.).

Inversement, des expérimentateurs comme Bernard Palissy revendiquent hautement la reproductibilité des résultats, voire leur redécouverte,263 contre les secrets d’atelier.

Une autre mutation majeure est rendue possible par le perfectionnement par Gutenberg des techniques d’imprimerie et l’explosion aussi bien du nombre d’ouvrages publiés que de leur tirage, qui permettent la multiplication des bibliothèques universitaires et privées et induisent de nouvelles normes de documentation et de transmission des idées et des résultats scientifiques.

C’est aussi le moment de la “révolution copernicienne”. En termes de méthode, la principale originalité de Copernic est la revendication d’un principe de simplicité permettant de préférer son propre modèle du système solaire, prétendument plus simple,264 à celui de Ptolémée.

Un autre archétype de « l’homme de la Renaissance » est Giordano Bruno, brillant physicien dont les intuitions anticipent souvent la physique galiléenne, mais si brutal dans ses provocations qu’il en devient un contre-exemple, un archétype de “non scientifique”, du fait à la fois de son incapacité à communiquer avec ses pairs, en dépit de ses nombreux livres, et de son mélange résolu de questions physiques, “magiques” et théologiques, qui le mènera sur le bûcher de l’Inquisition, le 17 février 1600.

                                                                                                               

261. « La tendance à créer des êtres fictifs en vue d’une explication est si fortement enracinée en nous qu’il a fallu se prémunir contre elle par un énoncé spécial. C’est là en effet, à ce qu’il nous semble, le véritable sens (du moins dans le domaine scientifique) du fameux “rasoir d’Ockham” qui interdit de créer des êtres au-delà de ce qui est nécessaire. ». Emile Meyerson, De l’Explication dans les sciences, éd. Payot, Paris, 1921, p. 74.

262. Ce n’est qu’au XIXe siècle que le terme de Renaissance sera consacré (par Jules Michelet, dans l’ouvrage éponyme) pour désigner la période.

263. Le céramiste Bernard Palissy brûlant son mobilier pour alimenter la fournaise dans laquelle il expérimentait des techniques de fabrication de porcelaine a longtemps été présenté comme un symbole de la détermination scientifique, sacrifiant tout à son but. Ses contemporains, comme Agrippa d’Aubigné, en forgent la légende dorée ; mais il deviendra également par la suite une figure tragique, inspirant par exemple à Balzac la figure du savant fou de La Recherche de l’absolu.

264. La simplicité relative des deux modèles dépendant bien sûr du problème considéré. Ainsi, si l’orbite de Mars est assurément plus simple à décrire dans un cadre copernicien, le calcul des marées l’est bien plus dans un modèle géocentrique. Pour Kuhn, même si « le système de Copernic doit sembler le plus économique à un astronome intéressé uniquement par une explication qualitative du mouvement des planètes (...) cette économie apparente [est] en grande partie illusoire [et] une victoire de la propagande » ; T. Kuhn, La Révolution copernicienne (The Copernican Revolution, 1957), éd. Fayard, 1973, p. 200.

3.1.1.4. Période galiléenne et cartésienne

L’un des principaux enjeux du début du XVIIe siècle sera donc la séparation de la religion et de la science. De la condamnation du système copernicien en 1616 à celle de Galilée en 1633, l’Eglise tente d’imposer son droit de regard sur les idées scientifiques. Elle sera toutefois débordée dans la seconde moitié du siècle par leur démocratisation rapide, rendue possible, en particulier, par les idées de René Descartes, dont le Discours de la méthode, publié en français, constitue l’ouvrage paradigmatique265. Réciproquement, pour le scientifique en tant que tel, dont le discours doit véhiculer des connaissances spécifiques, « il ne faut s’occuper que des objets dont notre esprit paraît capable d’acquérir une connaissance certaine et indubitable »,266 à l’exclusion en particulier des querelles philosophico-théologiques.

Le modèle explicite de la méthode cartésienne est de nouveau la mathématique, pour la démontrabilité de ses théorèmes, mais aussi pour la simplicité formelle de ses équations, dont peuvent bénéficier les modèles de la physique théorique, sous réserve de cohérence formelle. Pour Galilée, l’Univers peut même être considéré comme un « livre gigantesque écrit en langage mathématique »267.

L’élargissement de la communauté scientifique et la multiplication des académies scientifiques, locales ou nationales, encouragent par ailleurs la reproduction fréquente des expériences et le test de leur robustesse, ainsi qu’une forme de normalisation de leur documentation et de la communication de leurs résultats, avec l’apparition progressive d’une langue scientifique attentive à la cohérence lexicale autant que symbolique.

Ces tendances sont définitivement consacrées dès la fin du XVIIe siècle, avec le triomphe de la théorie newtonienne de la gravitation, mais aussi le progrès de la rigueur expérimentale, avec des figures comme, en France, Blaise Pascal et surtout, en Angleterre, Robert Hooke. Ce dernier, pur expérimentateur, reproduit ainsi chaque semaine, pour la Royal Society de Londres, les expériences les plus notables et opportunes du moment. Avec le perfectionnement de nouvelles techniques d’observation apparaissent également les notions d’expérience contrôlée, voire cruciale,268 et de maîtrise de l’instrumentation269. pièce aux Méditations métaphysiques, du même auteur, publiées en latin en 1641, à l’usage des clercs de la Sorbonne.

266. René Descartes, Règles pour la direction de l’esprit, 1628 ; in Œuvres & lettres, Gallimard, coll.

Pléiade, 1953 (deuxième règle, p. 32).

267. « La philosophie est écrite dans ce livre gigantesque qui est continuellement ouvert à nos yeux (je parle de l’Univers), mais on ne peut le comprendre si d’abord on n’apprend pas à comprendre la langue et à connaître les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langage mathématique, et les caractères sont des triangles, des cercles, et d’autres figures géométriques, sans lesquelles il est impossible d’y comprendre un mot. Dépourvu de ces moyens, on erre vainement dans un labyrinthe obscur. » Galilée, L’Essayeur (Il Saggiatore, 1623), éd.

Belles Lettres, Paris, 1989.

268. L’expression « expérience cruciale » est forgée par Hooke et reprise et popularisée par Newton.

L’idée d’une situation capable de départager des théories aux prédictions contradictoires avait en

L’introduction de nouveaux outils mathématiques adaptés à la physique, comme le calcul différentiel, permet à Newton de concrétiser l’idéal galiléen d’une mécanique effectivement prédictive dans des situations non triviales. Il revendique pour cela une méthode inductive (par opposition à celle, supposément déductive, de Descartes), en refusant de « bricoler dans l’hypothèse »270 pour justifier les principes généraux qu’il établit autrement que par leur efficacité — c’est-à-dire par leur pouvoir prédictif, dans une constante navigation entre le particulier et le général.

Même si Newton lui-même fait peu d’efforts de communication,271 la formalisation de la physique qui s’ensuit et le consensus qui s’établit sur les théories newtoniennes permettent par ailleurs une relative stabilisation des concepts (e.g. de force, d’accélération) et du vocabulaire, et l’élaboration d’une langue scientifique univoque.

Promu en particulier par les Lumières, qui y ajoutent une ambition encyclopédique, le paradigme newtonien embrasse la science du XVIIIe et apparaît pratiquement incontesté jusqu’au tournant du XXe. Au début du XIXe siècle, un Pierre-Simon de Laplace peut imaginer une physique “positive”, entièrement déterministe, symbolisée par le “démon de Laplace”, qui « n’a pas besoin de l’hypothèse » d’une intervention divine pour asseoir la stabilité de son Système du monde (au contraire de celui de Newton).

3.1.1.5. Période newtonienne

La question de la démarcation ne se pose désormais plus entre science et religion, mais entre pratiques scientifiques et non scientifiques. Les penseurs positivistes, comme Auguste Comte, réaffirment le renoncement à la recherche des causes premières, caractéristique pour eux de “l’âge positif”, hiérarchisent les sciences des plus abstraites (les mathématiques, l’astronomie) aux plus concrètes et appliquées (la sociologie politique) et entreprennent de généraliser la méthode hypothético-déductive à toutes les disciplines, y compris les sciences sociales et politiques,272 dont la seule vocation serait la                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                          

particulier été développée par Francis Bacon dans le Novum organum (1620). Lisa Jardin, The Curious Life of Robert Hooke. The Man Who Measured London, éd. Harper perennial, Londres, 2003.

269. Si l’importance de l’instrumentation pour la science moderne était une évidence au moins depuis Le Messager des étoiles de Galilée (1610), la lunette astronomique restait relativement facile d’emploi. Ce n’était pas le cas des premiers microscopes, et la qualité des splendides observations reportées par Hooke dans Micrographia (1665), autre “best-seller” scientifique du XVIIe siècle, passe par un travail conséquent sur l’instrument lui-même, les techniques d’éclairage des échantillons, etc.

270. « Hypotheses non fingo » (sur les raisons des lois de la gravitation). I. Newton, General Scholium, appendice à la 2e édition des Principia Mathematica, 1713. Notons que, de même que Descartes

“avançait masqué” (selon sa devise, Larvatus prodeo), Newton cultive une certaine ambivalence à cet égard. Dans des travaux non publiés de son vivant, il justifie son approche de la force de gravitation, présumée immanente, par une réfutation d’ordre théologique des “tourbillons” cartésiens. I. Newton, De la gravitation, Gallimard, coll. Tel, 1995.

271. Les Principia sont publiés en latin, et les démonstrations mathématiques retranscrites dans le langage moins adapté de la géométrie.

272. Voire les sciences de l’éducation. Mais pour le Comte tardif, qui se veut le “grand prêtre” d’une religion positiviste, « la connaissance des lois invariables des phénomènes naturels est une grande leçon de soumission », qu’il convient d’enseigner aux jeunes gens « non seulement sans entretenir, mais en étouffant, autant que possible, l’esprit d’examen et de discussion. La disposition qui doit être envisagée est celle où l’on accepte toute chose sur l’autorité du précepteur. » John Stuart Mill, Auguste Comte et le positivisme (Auguste Comte and Positivisme, 1865), éd. Germer Baillères, Paris, 1868, pp. 187–188.

recherche de lois aussi robustes273 que possible — jusqu’à, comme le Comte tardif, en faire paradoxalement une “religion positiviste”.

Le XIXe siècle est également celui de la révolution industrielle. En France, la Révolution puis l’Empire créent de “grandes écoles”, pour enseigner non seulement la théorie, mais aussi les bonnes pratiques, en particulier expérimentales. Dans le même esprit, la communauté scientifique se structure pour lutter contre les mauvaises pratiques ou, dans le lexique de Charles Babbage, les fraudes scientifiques.

3.1.1.6. Naissance de la physique contemporaine

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les progrès de la physique mathématique permirent l’apparition de théories hautement formalisées, comme la mécanique rationnelle qui relève traditionnellement autant des mathématiques que de la physique, et éventuellement compatibles avec des interprétations très différentes. C’est en particulier le cas de la thermodynamique et des fonctions d’état qu’elle manipule (e.g. la température, la pression, l’entropie), qu’on peut ou non interpréter comme des représentations statistiques réduites (ou variables collectives) d’un grand nombre de comportement individuels à l’échelle moléculaire. La controverse sur l’existence des atomes qui s’engagea alors entre, d’une part, Ludwig Boltzmann, et d’autre part des thermodynamiciens intransigeants274 comme Wilhelm Oswald se soldera moins par le triomphe des idées atomistes que par la prise de conscience de la relativité des discours scientifiques,275 également revendiquée, en même temps qu’un principe d’économie, par Ernst Mach dans sa relecture des notions newtoniennes d’espace et de temps absolus, qui ouvrira la voie à la théorie einsteinienne de la relativité générale.

En 1927, la question du formalisme et de son interprétation sera également au cœur de la révolution quantique, qui portera le coup de grâce au scientisme positiviste naïf, en remettant en cause aussi bien la possibilité, au moins en droit, de procéder à toute mesure nécessaire avec toute la précision voulue que l’adéquation du langage naturel à la description du monde physique.

                                                                                                               

273. Par exemple, écrit Auguste Comte, « la chimie actuelle mérite à peine le nom de science, puisqu’elle ne conduit presque jamais à une prévoyance réelle et certaine. En introduisant, dans des actes chimiques déjà bien explorés, quelques modifications déterminées, même légères et peu nombreuses, il est rarement possible de prédire avec justesse les changements qu’elles doivent produire : et néanmoins, sans cette indispensable condition, comme je l’ai déjà si fréquemment établi dans ce traité, il n’existe point à proprement parler de science ; il y a seulement érudition, qu’elles que puissent être l’importance et la multiplicité des faits recueillis.

Penser autrement, c’est prendre une carrière pour un édifice. » A.Comte, Philosophie Positive, t. 3, p. 11 (imprimeur Bachelier, Paris, 1838, accessible en ligne sur le site de Hathitrust, digital library : http://catalog.hathitrust.org/Record/009649197; consulté août 2014).

274.« Il était complètement impossible d’être entendu à l’encontre d’autorités qui s’appelaient W. Ostwald, G. Helm et E. Mach », se souvient Max Plank ; Autobiographie scientifique, p. 82.

275. « L’atomisme n’est pas une mauvaise conception du monde, mais c’est ce concept de conception du monde qui est mauvais. On ne dois pas se lier à des conceptions du monde déterminées ». Ludwig Boltzmann, Lectures on Natural Philosophy, 1903-1906 (Principien der Naturfilosofi), Stringer Verlag, Cerlin, 1990, p.

295. Cité par Jacques Bouveresse, « La Philosophie naturelle de Boltzmann », Philosophie Scientiae, 3, n°2 (1998-1999), pp. 9–30. En ligne : http://archive.numdam.org/ARCHIVE/PHSC/PHSC_1998-1999__3_2/PHSC_1998-1999__3_2_9_0/PHSC_1998-1999__3_2_9_0.pdf (consulté août 2014)