• Aucun résultat trouvé

Expériences de nanorhéologie par machine à forces de surface

L’échelle caractéristique des longueurs de glissement étant le nanomètre, il est né-cessaire de sonder l’écoulement à de telles échelles, d’où l’appellation d’expériences de nanorhéologie.

Les machines à force de surfaces (SFA) mises au point dans les années 70 et 80 ont été les premiers dispositifs expérimentaux disposant d’une résolution suffisante pour permettre la réalisation d’expériences de nanorhéologie. Initialement développé pour la caractérisation des forces d’interaction entre deux surfaces, le SFA s’est rapidement ré-vélé un outil de choix pour l’étude de la dynamique des liquides confinés et des liquides aux interfaces, en utilisant la force visqueuse induite par le drainage d’un liquide entre une sphère et un plan (voir le chapitre II).

Machine à force d’Israelachvili

Les premières mesures de nanorhéologie ont été réalisées au milieu années 1980 par Chan et Horn [16] et Israelachvili [59], à l’aide d’une machine à forces de surfaces mise

2. Méthodes expérimentales au point par Israelachvili [61]. Ce SFA permet de mesurer les forces d’interaction entre des surfaces de mica clivées, lisses à l’échelle atomique, pour des distances de sépara-tion résolues à l’échelle de 0,1 nm. Les surfaces de mica sont placées en configurasépara-tion « cylindres croisés », localement équivalente à la configuration sphère-plan. La distance entre les surfaces est mesurée par la méthode dite des Franges d’Égal Ordre Chromatique (FECO) [58]. Un des cylindres est fixé à l’extrémité d’un bilame élastique, l’autre à l’ex-trémité d’un cristal piézoélectrique, qui permet de modifier la distance entre les surfaces. Le principe de mesure de la force repose sur le fait que tout écart entre le déplacement imposé –par l’intermédiaire d’une différence de potentiel appliquée au piézoélectrique– et le déplacement mesuré entre les surfaces, correspond à une déflexion du ressort sur lequel est fixé l’un des cylindres. Connaissant la raideur du ressort, il est alors aisé de remonter à la force subie par le cylindre solidaire du ressort. Il faut noter que dans cette technique il n’existe qu’une mesure de distance à l’échelle de l’angström. La mesure de la force, c’est à dire la déflexion du ressort, fait intervenir un déplacement estimé par l’intermédiaire de la calibration d’un élément piézoélectrique.

Chan et Horn [16] ont mesuré des forces hydrodynamiques en rapprochant sim-plement les surfaces avec une vitesse continue. Ils utilisent trois liquides newtoniens — octaméthylcyclotétrasiloxane (OMCTS), n-tétradécane et n-hexadécane— confinés entre deux surfaces de mica lisses à l’échelle moléculaire. Leurs résultats pour des distances inférieures à 50 nm sont très bien modélisés par l’hydrodynamique macroscopique avec une condition limite de non glissement appliquée sur un plan de référence situé à une distance moléculaire à l’intérieur du liquide. La résolution sur la détermination de cette c.l.h. est impressionnante : c’est la première fois qu’une résolution inférieure à une dis-tance moléculaire est atteinte pour une c.l.h.

Israelachvili [59] a réalisé pour la première fois des mesures en mode dynamique, en imposant un petit déplacement sinusoïdal à la surface liée au cristal piézoélectrique. L’intérêt du mode dynamique pour les mesures de nanorhéologie est de séparer la com-posante statique de la force, résultant des interactions d’équilibre entre les surfaces, de la réponse dynamique du système, qui contient des informations sur l’hydrodynamique interfaciale (voir le chapitre II). Avec cette technique, Israelachvili étudie l’écoulement de l’eau et du tétradécane entre des surfaces de mica dans le cadre de mesures de la viscosité de films très fin de liquides. Aucun glissement aux parois n’est observé.

A la suite de ces expériences fondatrices, plusieurs équipes ont mis au point des ma-chines à forces de surfaces « dynamiques » (dSFA), c’est à dire spécialement adaptées à la réalisation de mesures en mode dynamique, en vue de réaliser des expériences de nanorhéologie.

Machine à force de Granick

Le dispositif développé par S. Granick travaille avec des surfaces de mica en confi-guration cylindres croisés, et la distance statique entre les surfaces est mesurée par la méthode FECO, comme dans le dispositif conçu par Israelachvili. L’un des cylindres de mica est lié à un double bimorphe piézoélectrique permettant d’engendrer des déplace-ments dynamiques dans la direction normale aux surfaces. Un déplacement sinusoïdal de faible amplitude est appliqué au bimorphe piézoélectrique du bas (émetteur) et le déplacement résultant est enregistré sur le bimorphe piézoélectrique du haut (récepteur) [35, 50]. Les réponses en phase (partie élastique) et en opposition de phase (partie

vis-queuse) par rapport au déplacement peuvent être distinguées. Notons que ce dispositif ne dispose pas de capteurs indépendants pour les mesures de force et de distance, et que les mesures dynamiques reposent entièrement sur la calibration des éléments piézoélec-triques. Cette calibration doit également prendre en compte la réponse dynamique de la colle utilisée pour fixer les lames de mica sur les supports cylindriques. Les expériences décrites dans les références [139, 140, 51, 142] ont été réalisées à l’aide de ce dispositif.

Dans l’équipe de S. Granick, Zhu et al. [139] ont étudié en 2001 la condition limite hydrodynamique pour l’eau et le tétradécane sur des surfaces de mica, éventuellement rendues non-mouillantes par silanisation ou adsorption de surfactants (HDA). Ils an-noncent des longueurs de glissement dépendant très fortement du taux de cisaillement, et pouvant aller jusqu’à 2 µm.

Taux de cisaillement ν/D (s-1) Longueur de glissement (µm) 10 -1 1 10 2.5 0 0.5 1 1.5 2

Fig. I.7 : De Zhu et al. [139] : évolution de la longueur de glissement de l’eau sur du mica recouvert d’une couche de surfactants adsorbée avec un « taux de cisaillement » effectif. Ce « taux de cisaillement » effectif est construit sur le rapport de l’amplitude de la vitesse d’oscillation ν à la distance moyenne D entre les surfaces les différents symboles correspondent à différentes amplitudes ou fréquences d’excitation. La courbe (a) correspond à l’angle de contact de 110, la courbe (b) à l’angle de 44 et la courbe (c) à celui de 12.

La même équipe étudie également l’influence de la longueur de la chaîne sur la condition limite hydrodynamique pour plusieurs alcanes [141]. Aucun glissement n’est observé pour ces alcanes sur des surfaces de mica (situations totalement mouillantes). En revanche, sur des surfaces recouvertes de surfactants (HDA), des longueurs de glis-sement dépendant du taux de cisaillement sont à nouveau obtenues. Le glisglis-sement a tendance à diminuer avec la taille des molécules de fluide. Notons que les longueurs de glissement maximales observées sont maintenant de l’ordre de la dizaine de nanomètres, comme indiqué sur la figure I.8. Il est étonnant que pour un système identique (tétradé-cane/mica+HDA), la longueur de glissement reportée varie de trois ordres de grandeurs entre [139] et [141].

Enfin, Granick et al. [51] ont étudié l’influence de la présence et de la nature d’un gaz dissout sur la condition limite. Ils trouvent ainsi que selon la nature du gaz dissout il serait possible d’observer une condition limite de glissement, même pour un liquide mouillant le solide.

Nous reviendrons sur le détail de ces expériences et sur les problèmes posés par la méthode d’analyse des données mise en œuvre par cette équipe dans le chapitre III et

2. Méthodes expérimentales Longueur de glissement (nm ) Taux de cisaillement ν/D (s-1) octane dodécane tétradécane

Fig. I.8 : De Zhu et al. [141] : évolution de la longueur de glissement observée avec le « taux de cisaillement » effectif, pour l’écoulement de différents alcanes sur des surfaces de mica recouvertes de surfactants (HDA). La courbe du tétradécane et la courbe (c) de la figure I.7 ont été obtenues pour des systèmes identiques.

dans la partie II.

Machine à force de l’École Centrale de Lyon

Un autre type de machine à forces de surfaces permettant de faire des mesures dynamiques a été mise au point par A. Tonck, J.-L. Loubet et J.-M. Georges [124, 47] à l’École Centrale de Lyon. Cet appareil dispose de plusieurs capteurs capacitifs. Un premier capteur capacitif sert à mesurer la distance relative entre une sphère et un plan, un deuxième sert à mesurer la déflexion d’un cantilever sur lequel le plan est fixé. Connaissant la raideur k de ce cantilever on peut remonter à la force d’interaction sphère-plan par la relation F = kx. Ces deux capteurs indépendants de déplacement permettent notamment de s’affranchir des non linéarités et de tout problème de calibration des actionneurs de déplacements piézoélectriques. Nous reviendrons sur le fonctionnement des capteurs capacitifs au paragraphe 2.1.2. Enfin, lorsque la sphère et le plan sont métallisés, les surfaces forment un condensateur pouvant être introduit dans un troisième capteur capacitif permettant de déterminer la distance absolue entre les surfaces. Le fonctionnement de ce troisième capteur sera expliqué dans le chapitre suivant, dans la section 1.1. Ce dispositif a permis de réaliser les expériences décrites dans les articles [47] et [4].

Georges et al. [47] ont étudié l’écoulement de liquides simples (n-dodécane, n-hexadécane, OMCTS) entre différentes surfaces de cobalt, platine ou d’or, de rugosité 1 à 2 nm pic-à-pic. Ces surfaces sont obtenues par un dépôt métallique sur du borosilicate et du mica. Dans tous ces cas, le liquide utilisé mouille les surfaces étudiées. Ils obtiennent un comportement dynamique en très bon accord avec les lois de l’hydrodynamique et une condition limite de non-glissement à la paroi, pour une distance entre les surfaces supérieure à quelques couches moléculaires.

Baudry et al. [4] ont étudié en 2001 l’influence de la nature chimique des parois sur l’hydrodynamique interfaciale pour du glycérol confiné entre une sphère de verre et un plan de silicium. Différents dépôts sont réalisés sur la sphère et le plan afin de modi-fier leur propriétés de mouillage. Lorsque la sphère et le plan sont recouverts de cobalt (configuration partiellement mouillante), aucun glissement n’est observé. En revanche lorsque la sphère est recouverte d’or et le plan de thiols (configuration non-mouillante),

une longueur de glissement de 38 nm est mesurée sur le plan, indépendamment du taux de cisaillement (la condition limite est linéaire).

Liquide Surface Mouillage Rugosité Cisaillement Glissement Linéarité Chan [16] OMCTS mica 10 − 103s−1 non

tétradécane ” non hexadécane ” non Israelachvili [59] eau mica 10 − 104s−1 non tétradécane ” non Georges [47] 3 liquides 3 métaux mouillant 1-2 nm pp 1 − 10 s−1 non Baudry [4] glycérol cobalt 20 − 60 1 nm pp 1 − 104s−1 non or+thiols 92 − 94 1 nm pp 40 nm L Zhu [139] tétradécane mica total atomique 10 − 105s−1 non

mica+HDA ≈ 12◦ 0-1 µm NL mica+OTE ≈ 44◦ 0-1,5 µm NL eau mica+OTE ≈ 110◦ 0-2,5 µm NL Zhu [141] octane mica total atomique 10 − 105s−1 non

dodécane non octane mica+HDA — 0-2 nm NL dodécane 0-10 nm NL tétradécane ” ≈ 12 0-15 nm NL

Tab.I.4 : Comparaison des différents résultats expérimentaux obtenus par SFA. Signi-fication des abréviations : HDA : 1-hexadécylamine ; OTE : octadécyltriéthoxysiloxane ; OTS : octadécyltrichlorosilane.

Conclusions sur les expériences de SFA

Les machines à force de surface sont des dispositifs tout à fait adaptés aux expé-riences de nanorhéologie, en particulier lorsqu’elles disposent de capteurs de force et de distance indépendants. Elles ont fourni les premières déterminations de condition limite hydrodynamique avec une résolution réellement moléculaire.

L’ensemble des études s’accordent sur la validité de la condition de non-glissement dans les situations totalement mouillantes, ainsi que sur la présence de glissement dans les situations non-mouillantes. Il reste toutefois d’importantes différences qualitatives et quantitatives entre les résultats obtenus dans le groupe de S. Granick et les résultats obtenus dans les autres équipes.

Nous reviendrons en détail dans la suite de cette thèse sur les origines possibles de ces différences, et sur les conditions à mettre en œvre pour déterminer de façon fiable des propriétés de glissement interfacial à partir de l’écoulement de drainage entre une sphère et un plan.

2.4 Expériences de nanorhéologie par microscope à force