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Les expériences des femmes en terme d’économie sociale et solidaire dans les pays du Sud

PARTIE II : LE POIDS DES ACTIVITES ECONOMIQUES SOCIALES ET SOLIDAIRES DANS L’EMPOWERMENT DES

Chapitre 2 : La place des femmes dans l’économie sociale et solidaire en Afrique Subsaharienne

I. L’économie sociale et solidaire au féminin

1.2 Les expériences des femmes en terme d’économie sociale et solidaire dans les pays du Sud

Au Nord comme au Sud, bon nombre de ces expériences sont animées par des femmes et destinées à des femmes. Face à la délicate conciliation entre vie familiale et vie professionnelle, face à des responsabilités matérielles croissantes (du fait de l'augmentation du « coût » des enfants, d'un célibat en progression et de la persistance du chômage masculin), face aux difficultés d'accès à la propriété et au crédit, les femmes sont souvent les premières à se mobiliser et à s'auto-organiser. C'est le cas notamment dans les domaines de l'alimentation et de la nutrition (groupements d'achat, épiceries sociales, restaurants, services de traiteur, cuisines collectives, banques céréalières), de la couture et de l'entretien du linge (laverie, retouche, repassage, magasin de mode), de la santé et des services de soins à autrui (garde d'enfants, soins aux personnes âgées), des relations avec les administrations et l'environnement institutionnel (services de médiation) du commerce, de la production et de l'artisanat, de l'épargne, du crédit et de l'assurance, de l'éducation et de la formation (alphabétisation, transferts de connaissances et de savoir-faire) et enfin de la culture et de la communication (espaces d'expression politique et culturelle).

Ces différentes expériences se présentent d'abord comme un moyen de soulager le quotidien des femmes qui les animent et qui sont poussées avant tout par le besoin et la nécessité. L'allégement de leurs obligations par leur mise en commun et l'amélioration du quotidien sont un premier résultat en soi. Néanmoins, faciliter l'accès des femmes à des activités génératrices de revenus ne suffit pas à garantir une égalité réelle. Celle-ci se heurte à trois obstacles principaux : le caractère multidimensionnel de la pauvreté, l'inadaptation des institutions et enfin l'inégale répartition des obligations familiales. Pour Isabelle Guérin, les initiatives d'économie solidaire, qui créent des espaces intermédiaires entre le privé-domestique et la vie publique, entre le monétaire et le non-monétaire, remplissent, de fait, trois fonctions interstitielles majeures susceptibles de favoriser la levée de ces blocages90. En premier lieu, elles jouent un rôle de justice de proximité, or celle-ci est essentielle face

au caractère multidimensionnel de la pauvreté. En deuxième lieu, elles constituent des espaces de discussion, de réflexion et de délibération collectives ; elles se présentent en cela comme des modes d'accès à la parole publique pour des personnes qui en sont généralement dépourvues, et à travers l'expression et la revendication collectives, elles peuvent participer à la transformation des institutions, qu'il s'agisse de la législation ou des normes sociales. En troisième lieu, elles contribuent à redéfinir l'articulation entre famille, autorités publiques, marché et société civile, et elles participent à la revalorisation des pratiques réciprocitaires ; or cette redéfinition et cette revalorisation doivent permettre de lutter contre les inégalités intrafamiliales en permettant aux femmes, mais aussi aux hommes, de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle.

Au Sud, ces espaces de médiation font très souvent partie du quotidien des femmes, habituées dès leur plus jeune âge à se regrouper et à s’entraider afin d’assumer leurs obligations domestiques, agricoles, rituelles ou encore religieuses. Au fil du temps, les activités collectives se sont transformées et diversifiées. L’enracinement social et religieux des groupements subsiste, tout en s’élargissant de plus en plus vers des activités génératrices de revenus. On assiste à la mise en place de circuits de financement spécifiquement féminins, ainsi qu’à de véritables filières commerciales où les femmes règnent en maîtres. L’appartenance au groupe permet aux femmes de réunir un capital de départ, d’effectuer des achats groupés, de négocier les prix et de limiter les déplacements. Les groupes jouent également un rôle d’intermédiaire avec l’environnement institutionnel. Avec les autorités locales, auprès desquelles les femmes parviennent à revendiquer leurs droits, et parfois quelques moyens ; mais aussi et surtout avec le milieu de l’aide au développement, en particulier dans le domaine de l’accès au crédit : en s’organisant en groupes de caution mutuelle, les femmes réussissent à accéder à des financements, inaccessibles autrement, et à donner ainsi plus d’ampleur à leurs activités commerciales. Espaces privilégiés d’intimité et de sociabilité et donc d’existence féminine, les groupes féminins apparaissent désormais comme des supports d’émancipation individuelle, voire comme de véritables modes d’accumulation économique et d’accès au pouvoir.

En Amérique Latine, elles ont un sens de l’organisation très poussé, mais à l’inverse ne savent pas créer les outils. Dans les pays d’Europe Centrale et Orientale, où les problèmes de

femmes savent très bien mener un travail de lobbying pour faire reconnaître leurs droits et obtenir des subventions nécessaires à leurs projets. Mais il existe des groupes de femmes très actives aussi dans les pays dits développés, notamment au Québec mais aussi en France. Ainsi à Dinan en Bretagne, des femmes artisanes (créatrices d’accessoires de mode, relieuses de livres, vendeuses de pizzas, etc.) ont monté un réseau pour essayer d’améliorer leur situation souvent très difficile. Elles entendent travailler autour de la logique de mutualisation et de coopération, en partageant par exemple un cabinet comptable pour faire des économies d’échelle, ou un stand sur un salon...En Afrique plus que partout ailleurs, les femmes savent produire à partir de rien. Elles sont particulièrement douées pour créer les outils de l’économie solidaire, comme les caisses d’épargne et les mutuelles de santé.

Dans la pratique, les femmes sont souvent les principales actrices des expériences d’économie solidaire. Face à la délicate articulation entre vie professionnelle et vie familiale, à des responsabilités matérielles accrues (notamment pour les familles monoparentales), aux difficultés d’accès à la propriété ou au crédit, les femmes s’auto-organisent : création de restaurants collectifs, de petits commerces, de coopératives de producteurs et d’artisans qui leur permettent d’acquérir une certaine autonomie financière. A cet effet, on peut citer l’impressionnante réussite des Nana Benz togolaises dans l’encadré ci après.

Encadré 8 : Réussite des Nana Benz

Les Nana Benz comptent parmi les personnalités les plus riches du Togo. Elles doivent leur surnom aux voitures allemandes, Mercedes Benz, qu’elles étaient les premières à importer, à un moment où même les hauts cadres de l’État ne pouvaient pas s’offrir ce luxe. À l’origine, c’étaient des femmes illettrées (en général) vendant divers produits dans le seul but de subvenir aux besoins familiaux. Mais, très vite, grâce au commerce de tissus, elles ont accumulé des succès et créé un vaste réseau de revendeuses de tissus. Grâce aux Nana Benz, Lomé, capitale du Togo, est devenue, surtout dans les années 1970, une plaque tournante du commerce de la sous-région. Les activités commerciales des Nana Benz démontrent une activité d’économie sociale et solidaire à l’africaine. On y note un véritable équilibre entre le social et l’économique. Ainsi, chacune d’elles offre des emplois à plusieurs employés, dont des proches et des connaissances de quartiers, voire des ressortissants de même village, venus travailler pour elle et apprendre d’elle. Au même moment, elles assurent ou contribuent aux

dépenses familiales (nourriture, logement, éducation des enfants, etc.), participent à des activités communautaires et entretiennent tout un réseau de revendeuses dont certaines leur doivent leur survie. Certaines de leurs relations avec les collaborateurs sont plus sociales et solidaires que commerciales.

En 1966, on estimait le chiffre d’affaires de cinquante revendeuses de tissus à 3 milliards de francs CFA; il devait s’élever à 11 milliards en 1979 et atteindre 12 milliards 650 millions en 1980. Ces chiffres seraient proches des marges bénéficiaires occasionnées à la même période par le phosphate, principale matière première du Togo.

Grâce à leur commerce de textiles, les Nana Benz ont pu amasser beaucoup de richesses, construire des maisons grandioses, investir dans l’éducation de leurs enfants, nourrir, soigner et loger leurs époux. Bien qu’illettrées, elles voyageaient à l’étranger pour affaires. Par ailleurs, au fil des ans, elles ont diversifié leurs activités : agrandissement de la gamme de produits importés; ouverture de restaurants de luxe, de boîtes de nuit, de pâtisseries, de compagnies de taxi, de pêche, etc. Même dans ces domaines, leur réussite est restée impressionnante.

Dans les pays en voie de développement, plus particulièrement en Afrique, les femmes lient survie quotidienne et création d'activités. Elles expérimentent des initiatives solidaires par le simple fait que leurs activités ne visent pas un retour sur investissement d'ordre financier mais une recherche surtout de plus value sociale en développant conjointement des services connexes comme la reconstruction d'écoles, la réhabilitation de maternités ou d'hôpitaux, ou le réaménagement du territoire par la réparation des routes.

De plus, les réseaux de femmes, en Afrique, s’élargissent tout en se spécialisant. Les “ nanas-benz ” béninoises ou togolaises, les “ driankés ” sénégalaises91, les pèlerines commerçantes (elles vont à la Mecque pour faire du commerce), femmes d’affaires de toutes sortes prennent un poids de plus en plus important.

En Afrique de l’Ouest et à titre d’exemple au Burkina Faso, la notion d’économie solidaire est récente. Pourtant, les pratiques sociales de type solidaire ainsi que les réseaux d’entraide existent depuis longtemps. Les formes les plus anciennes d’action collective sont les «associations de classes d’âge » (naam92), les « groupes d’entraide pour les travaux des champs » (sosoaga), les tontines ainsi que d’autres formes d’entraide et de solidarité

(songtaaba)93. Aujourd’hui, de nouvelles pratiques collectives émergent, telles que les coopératives d’épargne et de crédit ou les mutuelles de micro-assurance santé; nombre d’entre elles sont initiées par les femmes. Celles-ci se sont organisées et s’organisent encore dans des réseaux de solidarité qui leur permettent non seulement de tisser des liens étroits et de garantir une cohésion sociale mais aussi d’assurer des investissements productifs et le maintien des cérémonies familiales comme le baptême, le mariage ou les funérailles.

Ainsi, elles constituent grâce à leur rôle de pilier familial, les canaux de redistribution de l’économie informelle. En outre, leur penchant aux dépenses excessives dans les cérémonies familiales doit être replacé dans le contexte d’une économie sociale et solidaire comme étant un investissement dans le capital social.

Sur tout le continent, est amorcé un processus de démocratisation par la base qui voit l'émergence d'un acteur social plein de vitalité : les ONG, les associations et les groupes de base. Des initiatives qui recouvrent tous les domaines de la vie sociale sont pris en charge par ces associations et ONG où les femmes occupent une place de plus en plus visible et importante, mais en parallèle, il est vrai que des millions de femmes actuellement sortent de l’ombre et du travail invisible et innommable, car se fait jour tout d'un coup "un consensus" pour reconnaître que les femmes ne sont pas que des ménagères. Concrètement, le travail politique des vingt dernières années est actuellement sorti de la censure et du refoulement, pour tenter de s'y appuyer, mais dans un moment où la crise, la dette, la dévaluation ne permettent pas qu'il soit correctement payé ! De plus en plus et partout en Afrique, on assiste à une multiplication des initiatives, du développement des "petits métiers", des caisses de crédit : et tout ce qui est nommé informel, car sans appui institutionnel (et même avec des obstacles institutionnels sérieux avec l'environnement juridique qui tend à limiter la mobilité des femmes en plus des tâches réelles de reproduction.

92 La langue utilisée est le moore.

93 M. Saussey, (2011) Initiatives féminines et économie sociale et solidaire dans la production du beurre de karité au Burkina Faso in Femmes , économie et développement : De la résistance à la justice sociale, sous la direction d’I. Guérin, . Hersent et L. Fraisse, Collection « sociologie économique.

La participation des femmes à l’économie sociale et solidaire majorée des transformations rapides de l’environnement urbain et du contexte économique ouvrent de larges brèches dans le contrôle marital, le rôle et l’identité masculine. La famille s’adapte à la nouvelle donne urbaine ; le travail et les visées entrepreneuriales des femmes deviennent de nouvelles normes sociales.

Non explicitée, par soumission et certainement par humilité, cette prise du pouvoir des femmes devient une réalité d’autant plus forte qu’elles sont des exemples de réussite pour les hommes en matière de regroupement économique, de capacité d’organisation et d’anticipation. Prenant conscience de leur poids économique, de leurs responsabilités et capacités à jouer un rôle déterminant dans la communauté, elles expriment toujours plus fort une volonté de participer aux instances de décision locales, même si elles tolèrent (encore) que le dernier mot revienne aux hommes.

Les responsabilités financières des femmes dans le cadre familial ont tendance à s’alourdir. Depuis le début des années 1980, la crise économique qui frappe l’Afrique touche en premier lieu les domaines d’activité réservés aux hommes (salariat et cultures d’exportation), bouleverse la division sexuée des tâches. Les hommes sont de moins en moins nombreux à assumer leur fonction de protection et on observe une participation croissante des femmes au marché du travail94.

Cette évolution des pratiques, dans le domaine de l’accès à la propriété et des activités économiques, ne se fait pas sans heurts.

La diversité des pratiques monétaires et financières et des circuits féminins est au coeur de cette évolution. Cette pluralité exprime à la fois la pression du quotidien – un quotidien de plus en plus lourd compte tenu du désengagement masculin –, l’ambiguïté du rapport à la famille (conjoint, éventuellement co-épouses) et enfin parenté élargie - source incontournable de soutien et de protection mais aussi de contrainte et de subordination95.

94 E. Baumann (1999), Travail et mondialisation au Sénégal in I.Guérin, « L’argent des femmes pauvres: entre survie quotidienne, obligations familiales et normes sociale », Revue Française de Socioéconomie.