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CHAPITRE 3 Sédimentation Holocène dans le Lac de Shkodra

D. Etude de la carotte SK19

7. Evolution paléoenvironnementale et conclusion

L’histoire du remplissage du lac de Shkodra débuterait il y a plus de 8000 ans BP (12 000 ans cal. BP,si

l’on extrapole la courbe âge vs profondeur, cf. Fig. 3.21). La présence de sédiments carbonatés riches

en galets mous indique un faciès proximal. Ce type de mécanismes est observé à l’heure actuelle en baie du Mont Saint-Michel (toutes proportions gardées) avec la formation de galets mous lors des très

grosses marées. En Méditerranée, la faible amplitude des marées ne permet a priori pas d’expliquer la

formation de micro-galets mous d’argiles. Nous proposons donc un environnement de type lagunaire dont la salinité est non négligeable. Ceci expliquerait en outre la faible différentiation des macrophytes

du lac de Shkodra, tels Najadetum marinae, qui sont proches phylogénétiquement d’espèces

caractéristiques d’environnements côtiers (Lakušić et Pavlović, 1981). Cette lagune/lac saumâtre se

comble ensuite progressivement avec une augmentation progressive mais rapide de la proportion de sédiments terrigènes (diminution du taux de carbone inorganique, domination de l’illite et de la chlorite), puis de matière organique indiquant un milieu de plus en plus continental avec une diminution de la tranche d’eau. Le comblement s’achève vers 7,4 ka cal. BP. Nous ne disposons pas de datations dans la partie inférieure de la carotte ce qui rend trop spéculative toute interprétation quand aux taux de sédimentation.

La base de la carotte est située 6 mètres sous le fond du lac ce qui correspond à environ 11 mètres sous le niveau actuel du lac. Sachant que le niveau du lac est situé 5 mètres au-dessus du niveau de la mer, l’infiltration d’eau salée via les roches carbonatées karstifiées entourant le lac et les dépressions remplies par le lac, est clairement envisageable depuis 10 000 ans, mais plus difficile pour 12 ka cal. BP. En effet, les courbes eustatiques indiquent un niveau marin de l’ordre de 40 à 45 m mètres inférieur au niveau actuel (Bard et al., 1996, Lambeck et al., 2004) à 12 ka cal. BP. Nous proposons un âge arbitraire entre 9000 ans BP et 8000 ans BP, lors que le niveau marin est environ 20 m inférieur au niveau actuel. Paradoxalement, un lac subsidant faiblement devrait être plus facilement envahi par la mer lors des dernières phases de la transgression Holocène. Nous expliquons ce phénomène par l’importante progradation de la côte Albanaise au cours du temps (Koçi, comm. pers). Cette progradation se fait principalement par l’apport important de matériel sédimentaire par la rivière Drin, dont le cours a lui

même fortement évolué au cours du temps. La dernière avulsion remonte au XIXème siècle avec une

migration du cours principal vers l’ouest (sous contrôle structural ?). La dynamique actuelle de la Drin est récente. Il est cependant probable que la rivière emprunte aujourd’hui un tracé mineur préexistant. Les connaissances sur l’évolution des cours d’eau en Albanie sont relativement limitées et que les récentes études sur les terrasses alluviales (Mugnier pers. com) ne concernent pas la Drin. Koçi (Pers. com.) propose la synthèse de la figure 3.37. La problématique de l’évolution du système de drainage de la Drin est importante car elle résulte d’une action conjuguée de la tectonique active et du climat.

Figure 3.37 : Carte de l’évolution du système de drainage fluviatile depuis l’époque romaine (Koçi, pers.com). Map of the river system fluctuations since the Roman Times.

A 7,4 ka cal. BP, le niveau organique qui marque le comblement (au moins partiel) du lac de Shkodra fait place à des sédiments lacustres (puis un niveau de cendres). La transition entre les deux environnements est brutale dans les paramètres sédimentaires que nous avons étudiés. Ce changement peut être climatique, lié à l’augmentation du niveau du lac (e.g. Magny et al., 2007), mais également tectonique car le lac de Shkodra prend place dans un graben actif (e.g. Kociaj et Sulstarova, 1980). Dans les lagunes Malo et Velike Jezero (Ile de Mljet, Croatie), Wunsam et al. (1999) ont également observé une tourbière, datée à 7,3 cal. BP qui fait brusquement place à une sédimentation « pluviale ».

Entre 6000 ans BP et 3000 ans BP, le sédiment est riche en particules magnétiques. Deux niveaux ont été identifiés comme des niveaux de cendre, que la géochimie rattache aux éruptions de l’Agnato-Monte Spina (4650 ans cal. BP, Wulf et al., 2004) et Pollena (472 AD). D’après notre modèle d’âge, ces deux niveaux de cendre ont des âges bien plus anciens indiquant une erreur dans le modèle d’âge ou le dépôt de cendres volcaniques provenant d’éruptions non encore connues. Wunsam et al (1999) identifient pour leur part un niveau de cendres à 7,3 ka cal. BP, associé selon eux à un phénomène volcano-tectonique de la province Campanienne (expliquant également le changement marqué de sédimentation).

La figure 3.38 présente les variations de la susceptibilité magnétique au cours du temps en comparaison avec l’activité solaire (Solanski et al., 2004), le détritisme du Rhône dans le lac du Bourget (Debret, 2005) ainsi que les variations de niveaux de lac dans le Jura (Magny, 2004). Nous avons utilisé une chronologie en âge AD pour plus de lisibilité sur la période historique. On observe que les variations de SM entre 6000 ans BP (~ -4000 AD) et 3000 ans BP (~ -1000 AD) sont corrélables avec un signal climatique qu’il s’agisse du signal détritique du Bourget et/ou de l’activité solaire. C’est le cas des pics à -3000-3300 AD (4900-5200 BP), -2800 AD (4700 BP) et -2100 AD (4000 BP). A partir de -1000 AD (2900 BP), les valeurs de susceptibilité magnétiques sont plus faibles, mais les pics sont également bien corrélés à l’activité solaire à -800-200 AD (2600-2200 BP), 100 AD (1900 BP), 700 AD (1200 BP), 1300 AD (600 BP), 1500 AD (400 BP) et 1800AD (200 BP). Ces résultats semblent montrer une empreinte climatique dans la sédimentation du lac de Shkodra. Magny et al. (2007) proposent un calendrier des fluctuations des niveaux des lacs italiens, corrélés avec l’activité solaire. A partir de

6000 BP, ces auteurs définissent des hauts niveaux lacustres à 5700-5200, 4850, 4200, 3400, 2600, 1200 et 400 ans cal. BP. On remarque que les processus de dépôt évoluent malgré l’apparente homogénéité des sédiments lacustres, comme en témoignent les variations d’anisotropie de susceptibilité magnétique. Le changement brutal de la dynamique sédimentaire à 3000 ans cal. BP, reflétée dans la susceptibilité magnétique, l’évolution granulométrique et les argiles, ne correspond à aucune perturbation climatique particulière répertoriée. Il pourrait donc être lié à une modification morphologique du bassin lacustre et/ou de sa périphérie ; une origine tectonique (sismo-tectonique) peut être également envisagée.

Figure 3.38 : Comparaison entre la courbe de susceptibilité magnétique de la carotte SK19 et diverses courbes paléoclimatiques. De haut en bas (respectivement) : évolution du 14C résiduel (Stuiver et al., 1998), % isotopique

d18O (Bond et al., 2001), détritisme dans le Lac du Bourget (Debret, 2005), niveaux des lacs Jurassiens (Magny et al., 2004), avancées glaciaires (Denton & Karlèn, 1973) et nombre de tâches solaires (Solanski et al., 2004)

Comparison between MS variations in time compared to paleoclimatic reference curves.

Notre étude montre que malgré d’importants changements d’environnement de dépôt, la profondeur du lac n’a jamais été importante, du moins dans cette partie du lac. En l’absence de pente suffisante, aucun mouvement gravitaire ne peut se déclencher et l’identification de dépôts co-sismiques de type « homogénite » est peu envisageable. Nous identifions dans la carotte SK19 deux niveaux perturbés pouvant correspondre à des liquéfactions (figure 3.39). En l’absence de stratification claire, il est difficile de savoir si ces liquéfactions sont le fait des deux derniers séismes ou d’événements plus

anciens. Néanmoins, la bonne corrélation entre les crues (du lac de Shkodra et des cours d’eau majeurs dans la zone qui nous intéresse tels que la rivière Kiri et de la Drin) observées dans les sédiments de Shkodra et les courbes paléohydrologiques disponibles montre que la dynamique de sédimentation depuis 7 ka cal. BP n’a pas été fortement modifiée excepté vers 3 ka cal BP. Cette modification pourrait être d’origine co-sismique car elle ne correspond pas à un changement climatique majeur.

La diminution de la taille des grains observée vers 2 ka cal. BP correspond à une diminution permanente de l’énergie de dépôt et donc à une augmentation du niveau du lac. Nous avons vu précédemment (van Welden et al., 2008) qu’une faible modification du niveau du lac était caractérisée par une augmentation permanente de la granulométrie. L’augmentation du niveau du lac pourrait donc être liée à une modification de l’embouchure du lac.

Figure 3.39 : Niveaux de la carotte SK19 présentant des déformations pouvant être attribuables à de la liquéfaction et de l’injection.