• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 Sédimentation Holocène dans le Lac de Shkodra

A. Chronostratigraphie, corrélations

2. Composition et origine des téphras

Comme nous l’avons vu précédemment (cf. carottes composites), le contenu en minéraux (ferri-)magnétiques varie de façon importante dans les trois carottes étudiées. Dans les carottes SK13 et SK12, les niveaux plus magnétiques sont également caractérisés par des changements de couleur. Nous avons prélevé des échantillons de sédiment total dans ces niveaux particuliers et nous avons étudié la morphologie et la chimie des particules au MEB. Nous avons ensuite échantillonné les niveaux de cendre principaux pour des analyses géochimiques plus poussées réalisées par le laboratoire DST de l’Université de Pise.

a. Morphologie et minéralogie des cendres.

Nous avons prélevé des échantillons dans deux niveaux à forte SM de la carotte SK13. Cette carotte présente le meilleur enregistrement des niveaux de cendre depuis 5000 ans. La morphologie des particules vitreuses ainsi que la composition minéralogique de ces deux niveaux sont très différentes indiquant deux mécanismes éruptifs distincts.

Deux échantillons ont été prélevés dans la carotte section B-Upper de la carotte SK13 à une profondeur comprise entre 267 et 287 cm. Le premier est prélevé dans les sédiments fins de couleur grise. Il s’agit de très fines aiguilles (5 µm) correspondant à un magma relativement alkalin. Sous ces particules fines, on trouve des minéraux magmatiques de taille plus importante (>10 µm) correspondant à des feldspath potassiques (Annexe I) ou alcalins. Nous avons également identifié des cristaux de titanomagnétite (Annexe I) dont la taille est de l’ordre de quelques microns. D’après les âges 14C, ce tephra aurait été émis entre 1535 et 1694 ans cal. BP.

Le second niveau que nous avons étudié est situé dans la partie inférieure de la carotte, à une profondeur comprise entre 672 et 680 cm. C’est un niveau de tephra silto-sableux et nous avons particulièrement étudié les minéraux d’un échantillon prélevé à 674 cm. La morphologie des particules est très différente de celle des minéraux précédemment étudiés. Les formes sont plus complexes témoignant d’une histoire éruptive différente et plus violente. Nous observons des aiguilles dont la composition correspondrait à celle de feldspaths potassiques, des minéraux de titanomagnétite dont la taille peut atteindre plus de 10 microns, ainsi que des cristaux d’apatite (Annexe I). Ce tephra est antérieur à 4238 ans cal. BP.

b. Source des téphras et éruptions connues

Après le travail préliminaire décrit ci-dessus, nous avons échantillonné tous les niveaux que nous pensions correspondre à des téphras pour une analyse plus fine. Le bruit de fond sédimentaire, principalement carbonaté, permet l’utilisation de la susceptibilité magnétique comme détecteur de niveaux de téphras et nous n’avons pas eu à utiliser la méthode de Fretzdorff et al. (2000) qui nécessite le comptage des particules détritiques afin d’évaluer les proportions de particules vitreuses, de cristaux et d’éléments lithiques de la fraction > 40 microns.

Les échardes de verre ont été prélevées dans la fraction comprise entre 40 et 150 µm et montées dans une résine epoxy. La concentration des éléments majeurs a été mesurée à l’aide d’un microscope électronique à balayage JEOL couplé à une sonde EDS de 15 kV et 0,3 nA. Ces compositions ont été calibrées à partir du géostandard international Vedde Ash (Bard et al., 1994). Tous les résultats des

téphras individuels ont été normalisés à 100% et placés dans le diagramme « alkalins-silice » de Le Bas et al. (1986) afin de définir la source du matériel.

Siani et al. (2004, figure 3.18) proposent une synthèse de la géochimie des cendres analysées à terre et dans les sédiments marins de l’Adriatique qui permet de définir les sources des retombées déposées depuis 18 ka.

Figure 3.18 : Comparaison entre les compositions géochimiques à terre et en mer dans un diagramme K2O vs SiO2 des appareils volcaniques : Somma-Vésuve, Champs Phlégréens, Etna, Vulcano, Salina et Lipari (extrait de

Siani et al. 2004). Série A : tholéiitique, B1 : calco-alcalin peu potassique, B2 : calco-alcalin fortement potassique, C : shoshonite, D : série Alcanline.

Comparison between geochemical compositions of onland and onshore téphras from Somma-Vesuvius, Phlegrean Fields, Etna, Vulcano, Salina and Lipari volcanoes in a K20 vs SiO2 diagram (from Siani et al. 2004).

Les volcans de la Province Campanienne, principalement les Champs Phlégréens et le Soma-Vésuve

connaissent une activité explosive remarquable durant ces 18 ka BP, avec des produits volcaniques appartenant à la série alcaline. Les cendres ont une nature trachy-phonolitique à trachytique. L’un des

téphras les plus importants est le Napolitan Yellow Tuff (NYT), daté à 12,4 ka, qui résulte de plusieurs

éruptions. L’étude des sédiments de la Mer Adriatique (Paterne et al., 1988 ; Siani et al., 2004) a permis

de mettre en évidence l’éruption de l’Agnato Pomici Principali à 10,4 ka caractérisée par des cendres de

nature trachytique. Au cours de la période qui nous concerne (8000 ans), l’éruption plinienne de l’Agnato Monte Spina a été datée par Di Vito et al. (1999) à 4130 ± 50 14C et à 4350 ± 70 14C BP par Siani et al. (2004), elle est caractérisée par des cendres trachytiques. Siani et al. (2004) identifient enfin trois

téphras entre 4,4 et 3,8 ka (âge à terre de 3780 ± 70 14CBP) qu’ils associent à des phases éruptives du

volcan Astroni, correspondant à l’Epoque III définie par Di Vito et al., (1999). Selon Isaia et al. (2004),

sept éruptions se sont suivies à un intervalle de temps très court. Wulf et al. (2004) proposent un calendrier plus complet des éruptions du Vésuve d’après l’étude des sédiments du Lago Grande di

Monticchio (figure 3.19). Ces auteurs présentent trois éruptions du Vésuve depuis 5000 ans : TM1 en

1631 AD (319 ans cal. BP), l’éruption « Pollena » en 472 AD (1478 cal. BP, nommée TM2) ; en 79 AD (1871 cal. BP), ce sont les éruptions de Avellino et Pompeii (entre 79 AD et 3170 ± 110 14C BP). Enfin,

Wulf et al. (2004) proposent un événement de l’Avellino indépendant (TM4), daté entre 3675 ± 57 14C

BP et 3920 ± 50 14C BP.

Figure 3.19 : Diagramme total Alcalins-silice montrant les valeurs moyennes obtenues par micro-sonde électronique sur les échardes de verre provenant des 340 niveau de téphras identifiés dans les sédiments du Lago

de Monticchio (Wulf et al. 2004)

Total-Alkali-Silica diagram showing the mean values of electron microprobe analyses of glass shards from the 340 tephra layers identified in sediments from Lago de Monticchio.

Les Champs Phlégréens et le Soma-Vésuve ne sont pas les seuls sites actifs depuis le Tardiglaciaire. En

effet, le Mont Etna et les Iles Eoliennes (province volcanique dite Sicilo-éolienne) connaissent

également une forte activité explosive. La dernière éruption identifiée et associable à l’Etna a une

composition benmoréïtique. Elle date de 14 650 ± 90 14C BP. Les téphras issus des Iles Eoliennes ont

une composition rhyolitique. Dans l’Adriatique, un niveau de cendres rhyolitiques a été identifié à une date de 7770 ± 70 14C BP.

c. Les téphras dans les sédiments du lac de Shkodra

Nous avons identifié des niveaux de cendres dans les carottes SK19, SK13 et SK12 (figure 3.20).

Figure 3.20 : Diagramme total alcalin-silice des échantillons prélevés dans les carottes SK12, SK13 et SK19. Les points sont caractéristiques de cendres provenant du Vésuve (éruption de Pollena, 472AD), les triangles verts celles attribuées à l’éruption d’Avellino et les carrés à du matériel provenant des Champs Phlégréens (type

Agnato Monte Spina). Les triangles roses correspondent à du matériel provenant de l’Etna.

Total alkali-silica diagram of Sk12, SK13 and SK19 samples. Dots represent ash-fall from Vesuvius (Pollena), triangles those from Avellino and squares tephra from Phlegrean Fields (Agnato Monte Spina). Rose triangles

are attributed to Etna material.

Les niveaux de cendres identifiés dans les trois carottes de Shkodra peuvent être rattachées aux trois épisodes éruptifs majeurs connus au cours de l’Holocène. Des mesures complémentaires sont en cours afin de caractériser précisément l’origine de chacun des niveaux et proposer un calendrier des éruptions complémentaire de ceux déjà définis en Adriatique ou sur le territoire Italien.

d. Conclusion

Nous avons identifié et caractérisé des niveaux de cendre dans les trois carottes longues du lac de Shkodra. Les éruptions bien documentées depuis 8000 ans de la province Campanienne (Pollena, Avellino et Agnato Monte Spina) ont été identifiées et fournissent des marqueurs chronostratigraphiques précieux. L’usage des niveaux de téphras tel qu’il est proposé par Lowe et al.,

résolution d’échantillonnage importante du matériel volcanique ; de plus, les cendres peuvent avoir été remaniées (Boygle, 1999). Nous n’utiliserons donc pas les téphras dans l’élaboration du modèle d’âge de la carotte SK19, mais nous vérifierons la cohérence du modèle d’âge avec les données tephrochronologiques.

Notre enregistrement nous permet également de mettre en évidence une éruption de l’Etna, peu

documentée, qui se serait déroulée il y a environ 1695 ± 30 14C BP.